La Trompette de Satchmo

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En deux mots:
La famille Karnofsky doit quitter sa Lituanie natale, les actes antisémites leur faisant craindre pour leur vie. Arrivés à la Nouvelle-Orléans, ils vont se faire des amis, comme ce garçon turbulent baptisé «Satchelmouth» et qui deviendra le grand Louis Armstrong.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Sur un air de jazz New Orleans

Pour son premier roman Michèle Hayat a retrouvé un épisode déterminant de la vie de Louis Armstrong et nous entraîne à la Nouvelle Orléans au début du XXe siècle dans les pas d’une famille lituanienne condamnée à l’exil.

Morris et Ester Karnofsky mènent une vie plutôt agréable à Vilna. Habile artisan, Morris réalise des bijoux en ambre qu’il vend jusqu’aux États-Unis tandis qu’Ester fait de la couture. Son savoir-faire lui ayant même permis de «fidéliser une clientèle non juive avec laquelle s’étaient noués des liens d’amitié». Mais à l’orée du XXe siècle une menace nauséabonde plane sur la Lituanie, l’antisémitisme. D’intimidations en exactions, le danger gagne de jour en jour en gravité, si bien que la décision la plus raisonnable est de partir.
Morris contacte alors monsieur Samuelson, un client régulier avec lequel il avait fini par nouer des liens d’amitié. Ce dernier lui propose alors de venir s’installer à la Nouvelle-Orléans où il est persuadé qu’il pourra trouver un avenir meilleur.
C’est le cœur gros que la famille embarque pour le Nouveau Monde avec les quelques économies que leur a rapporté la vente de leurs biens.
L’exil est toujours une souffrance et les Karnofsky vont en faire l’amère expérience. Installés dans une ville qu’ils ne connaissent pas, dans un quartier pauvre où règne la violence et où le gagne-pain de nombreuses femmes est la prostitution, ce n’est pas la volonté farouche de réussir et le discours positif de Morris qui va changer l’opinion de ses fils en particulier. Ester aussi doute d’avoir fait le bon choix.
Mais au fil des jours et des rencontres, les choses vont peu à peu s’améliorer.
Et même si l’aîné de la famille décide de partir s’installer en Palestine, ils commencent à trouver leur place dans cette société cosmopolite.
Quand Ester croise un petit noir au regard vif et décide de l’aider, elle ne sait pas encore – et lui encore moins –qu’elle va contribuer à faire de ce gamin le grand Louis Armstrong.
Michèle Hayat, en choisissant de ne pas nous proposer une biographie du jazzman a trouvé un angle très original pour son premier roman. C’est à travers le regard des Karnofsky que l’on va suivre l’ascension du jeune homme auquel Ester a offert sa première trompette. Du coup, ce roman devient aussi celui de la solidarité entre les minorités, une nouvelle incarnation du rêve américain et un portrait du sud des États-Unis au début du XXe siècle. Les émotions des uns venant se mêler à celles des autres, couronnées par le parcours de «satchmo» qui, comme nous l’apprend Wikipédia est la contraction de satchel-mouth, littéralement bouche-sacoche, qui n’oubliera jamais celle qui s’est battue pour lui mettre le pied à l’étrier. N’oublions pas de souligner, en guise de conclusion, que la romancière s’est parfaitement documentée et que l’histoire qu’elle nous livre est en grande partie vraie, sans que jamais le souffle romanesque n’en pâtisse. C’est, vous l’aurez compris, très réussi.

La trompette de Satchmo
Michèle Hayat
Éditions Écriture
Roman
000 p., 18 €
EAN 9782359053098
Paru le 8/01/2020

Où?
Le roman se déroule d’abord en Lituanie, à Vilna, puis aux États-Unis, principalement à la Nouvelle-Orléans, via Saint-Pétersbourg. On y évoque aussi la Palestine et notamment Tel Aviv

Quand?
L’action se situe à compter de 1898 et s’étend sur toute la première moitié du XXe siècle.

Ce qu’en dit l’éditeur
En 1900, Ester Karnofsky a quitté la Lituanie et les persécutions antisémites pour émigrer à La Nouvelle Orléans. Privée de ses deux fils, elle mène une existence terne au côté d’un époux dont elle s’éloigne peu à peu.
Dans le quartier de la prostitution, elle rencontre par hasard un gamin livré à lui-même, turbulent et bagarreur, surnommé «Satchelmouth» à cause de sa bouche en sacoche. Il a sept ans, il est noir et abandonné par son père. Ester le prend sous son aile. Intriguée par son don pour la musique, elle lui offre, avec son mari, sa première trompette…
S’inspirant de faits réels, Michèle Hayat, dont c’est le premier roman, conte avec sensibilité l’histoire d’une femme qui reprend vie dans les pas de celui qui deviendra «Satchmo», plus connu sous le nom de… Louis Armstrong. Elle offre ainsi un portrait saisissant de la cité qui vit naître le jazz au tournant du XXe siècle.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Blog Le jars jase jazz 

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Vilna, 1898
Ester Karnofsky ne travaillait jamais le jeudi ; à Vilna, c’était jour de marché et pour rien au monde elle n’aurait manqué ce rendez-vous sur la place de la cathédrale. Elle exposait des colifichets en ambre que Morris, son mari, fabriquait dans sa boutique de la rue Pilies. Habile artisan, il découpait la résine minérale avec une extrême précision, pour laisser intacts les fossiles incrustés dans la matière. Son atelier fournissait de nombreuses boutiques de Lituanie et parfois même d’Amérique. À La Nouvelle-Orléans, par exemple, Mr Samuelson lui commandait des bijoux en ambre de la Baltique deux ou trois fois par an et, entre eux, s’était établie une amitié cordiale.
Elle, Ester, était couturière de la bourgeoisie lituanienne. Ces dames ne manquaient jamais, le jour de marché, de lui prendre un colifichet et de lui faire la conversation, souvent couverte par le son des cloches.
Une partie de la place était réservée à l’habillement et à l’artisanat, l’autre, aux maraîchers, aux poissonniers et aux commerçants de denrées alimentaires. Devant la cathédrale, les petites marchandes de fleurs disposaient leurs bouquets et s’amusaient à qui sauterait le plus de marches.
On croisait des gens de la ville, des ruraux, des bourgeoises élégantes, des femmes de la campagne en sabots avec un fichu sur la tête et des provinciales qui avaient l’air de sortir d’un comité de salut public.
Ester aimait ce mélange des genres et l’agitation de cette place qui prenait vie, rompant avec l’austérité du dimanche au sortir de la messe.
Dans le centre de Vilna, presque tout le monde se connaissait, au moins de vue. Les maisons souvent basses, aux volets de couleur, s’alignaient sur d’étroites rues pavées surplombées de clochers gothiques et baroques ou de bâtiments néoclassiques. L’histoire de cette architecture séculaire, Ester et Morris l’avaient découverte au fil de leurs promenades.
La communauté juive, dont les Karnofsky faisaient partie, représentait le cœur de Vilna, avec ses traditions, ses écoles hébraïques, son centre culturel et ses synagogues où l’on ne manquait jamais de remercier le bon duc Gédiminas d’avoir accueilli, au XIVe siècle, des juifs en errance.
Les Karnofsky habitaient dans la rue très fréquentée du Gaon de Vilna, le grand sage juif du XVIIIe siècle.
À vingt-cinq ans, Ester était maman d’un petit garçon de deux ans, Alex. Son mari, de dix ans plus âgé, lui offrait une vie paisible, sans soucis. Grâce à son talent de couturière, elle avait réussi à fidéliser une clientèle non juive avec laquelle s’étaient noués des liens d’amitié.
Son salon était encombré de mannequins en bois, de tissus, de catalogues de mode et d’une machine à coudre à pédale. Son métier lui permettait de rester chez elle et de s’occuper de son enfant.
Si la population non juive lituanienne n’appréciait pas beaucoup ces « Litvaks », avec leur yiddish et la place qu’ils occupaient à Vilna dans des commerces florissants, les Karnofsky n’avaient pas encore eu l’occasion de se plaindre. Ils étaient traditionalistes mais peu religieux. Intégrés à la culture lituanienne, ils avaient décidé d’un commun accord que, plus tard, leurs enfants fréquenteraient l’école publique.
Cet après-midi-là, Ester préparait deux essayages importants, ceux de Mme Glaubitz et de sa fille, des clientes de la haute bourgeoisie qui se rendaient régulièrement chez elle pour renouveler leur garde-robe. Les relations étaient courtoises, respectueuses, et jamais elle n’avait entendu de leur part des insinuations antisémites. Mère et fille venaient ensemble la plupart du temps, les bras chargés de magnifiques tissus qu’elles déposaient sur les fauteuils de Mme Karnofsky. Elles consultaient les catalogues, essayaient les toilettes sous l’œil avisé d’Ester. Les essayages terminés, elle leur servait du thé avec un ou deux gâteaux faits maison, discutant de choses et d’autres dans la bonne humeur. Puis, Mme Glaubitz et sa fille prenaient congé en remerciant Mme Karnofsky et en se flattant d’avoir trouvé « leur couturière ».
Quand Ester arrivait aux finitions des robes, elle passait à la boutique de Morris et choisissait pour ses clientes des colliers en ambre coloré assortis à leur toilette. Souvent, elle dessinait elle-même les modèles qui seraient en parfaite harmonie avec les vêtements.
Quelquefois, les « dames de la haute », comme les appelait Mme Karnofsky, l’invitaient chez elles pour un thé, un concert de piano ou un après-midi culturel. À vrai dire, Ester n’y était pas très à l’aise. Elle n’aimait pas cette ambiance mondaine, mais elle refusait rarement ces invitations qui lui avaient amené de nombreuses clientes.
Mais en cette année 1898, la situation commença à se dégrader. C’est Morris qui, le premier, sentit un vent mauvais se lever sur Vilna. Sa clientèle diminuait, devenait agressive, revendicative. Elle se plaignait des prix, du travail imparfait des bijoux. Son fournisseur d’ambre rechignait à lui envoyer la marchandise, prétextant des retards sur l’approvisionnement.
Au début, Morris n’en parla pas à Ester. Elle avait mis au monde un deuxième garçon, David, âgé maintenant de cinq ans, et elle avait bien du mal à concilier son travail et l’éducation de ses enfants. Il ne voulait pas l’inquiéter.
Mais les choses allèrent très vite. Un après-midi, Ester trouva sur sa porte un papier la traitant de « sale juive ». Dans les escaliers, on se mit à la saluer du bout des lèvres ou à l’ignorer. L’hostilité grandissante des voisins pesait sur les Karnofsky comme un danger imminent. Ester était de moins en moins la bienvenue aux manifestions mondaines de ses clientes. Mme Glaubitz envoya même quelqu’un reprendre les tissus qu’elle lui avait confiés.
La vie devint oppressante pour la communauté juive. Une synagogue avait été vandalisée, la plaque apposée en mémoire du Gaon de Vilna brisée et deux rabbins avaient été agressés, dont un mortellement.
L’année suivante, il parut évident aux Karnofsky qu’il fallait se résoudre à quitter la Lituanie et son régime tsariste. En effet, Ester et Morris furent attaqués dans la même journée avec une brutalité inouïe. Mme Karnofsky s’était absentée pour accompagner ses enfants à l’école. De retour chez elle, elle avait trouvé la porte de l’appartement fracturée, le salon vandalisé, les mannequins en bois cassés, la machine à coudre volée, les catalogues déchirés.
Elle crut d’abord à un cambriolage, mais toutes les autres pièces étaient en ordre, aucune armoire ouverte, aucun objet déplacé. Elle revint au salon, perplexe. Elle y découvrit, sur la table, une feuille écrite à la main : « Ton mari achète de l’ambre avec le prix exorbitant de tes robes. Tu es une voleuse ! »
Ester courut à la boutique de Morris en sanglotant. Un attroupement s’était formé. Affolée, elle se fraya un passage en bousculant les curieux massés sur l’étroit trottoir. Elle s’approcha et essuya en pleurant le « sale juif » écrit à la craie sur ce qui restait de la vitrine. Sur les présentoirs, les bijoux avaient disparu. Assis sur sa chaise de bureau, Morris était sous le choc, incrédule devant ce saccage auquel, pourtant, il s’attendait un jour ou l’autre.

Extraits
« Nouvelle-Orléans, décembre 1899
Cher Monsieur,
J’ai bien reçu votre lettre qui m’a beaucoup attristé. Nous faisons affaire depuis tant d’années ! Je n’ai jamais eu à me plaindre de votre compétence et de votre honnêteté. Ne vous excusez donc pas.
Depuis quelque temps, je pense à prendre un associé. Ma femme est décédée il y a deux ans. Nous n’avons pu, hélas, avoir d’enfants. Je me fais vieux et j’ai de sérieux problèmes cardiaques. Je vous propose, si La Nouvelle-Orléans vous tente, de partager mon activité. J’en serais très heureux. Je suis sûr que nous ferons de l’excellent travail tous les deux.
Ma bijouterie se trouve dans le quartier noir, qu’on appelle « Storyville » ou « District », mais il vaudra mieux chercher votre appartement dans le quartier français.
Réfléchissez à ma proposition. N’hésitez pas à me poser des questions. Je suis à votre disposition pour vous fournir tous les renseignements nécessaires.
Dans l’attente du plaisir de vous lire, je vous prie de croire, cher Monsieur Karnofsky, en mes sentiments les meilleurs.
Samuelson »

« Après un voyage long et éprouvant, le bateau entra dans le port de La Nouvelle-Orléans. La famille Karnofsky était épuisée. L’agitation des quais du Mississippi, la chaleur moite, le débarquement de marchandises des cargos, le bruit des sirènes, les cris des dockers dégoulinant de transpiration les agressèrent violemment. Dans ce tumulte, ils posèrent leurs bagages.
Perdus sur ce quai immense, noyés dans une foule colorée, bruyante, parfois grossière, ils cherchèrent désespérément Mr Samuelson. Peut-être ne le voyaient-ils pas? Ils l’attendirent longtemps, en vain. »

À propos de l’auteur
Michèle Hayat est auteure d’un premier roman inspiré de faits réels, La trompette de Satchmo (2020). (Source : Éditions Écriture)

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