La Varangue

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En deux mots
Après le départ de Constance, avec qui il partageait sa vie, Andrea se retrouve seul. Alors, il joue au jeu que lui a appris sa mère, entrer dans le tableau qu’elle a copié et qui représente un vaste domaine à La Réunion. C’est au cœur de cette végétation luxuriante qu’il va croiser Yoko, qui joue au même jeu.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

La rencontre dans le tableau

Avec une touche de fantastique Virginie Bouyx entraîne ses personnages DANS le tableau qui représente un domaine sur l’île de la Réunion. Un voyage ponctué de souvenirs, de surprises et de jolies réflexions sur l’art et le temps qui passe…

Andrea passe des journées monotones. Après sa journée de travail dans un service logistique d’un secrétariat d’État, il retrouve son studio dans l’est parisien. Un studio que sa compagne a choisi de déserter. Alors pour passer le temps, il va se livrer à une activité que lui a apprise sa mère décédée, se projeter dans un tableau, en l’occurrence la copie d’une œuvre d’un peintre méconnu, F. Liotay. Réalisée par la défunte, cette toile représente un paysage de la Réunion avec sa végétation luxuriante et «une maison coloniale, d’architecture créole, avec varangue et lambrequins. À droite de la propriété, derrière l’extrémité d’un plan d’eau couvert de nénuphars, quelques arbres fruitiers – jacquiers, bananiers, manguiers.» Andrea s’y promène avec le secret espoir de pouvoir y retrouver sa mère. Mais si son vœu n’est pas exaucé, il a la surprise de croiser une jeune fille qui connaît même mieux que lui ce tableau.
Car Yoko a beau être à des milliers de kilomètres d’Andrea, elle a la chance de pouvoir admirer l’original du tableau et jouer le même jeu, se promener dans ce paysage qui n’a rien d’exotique pour elle, puisqu’elle est installée à la Réunion. Et rêver elle aussi de croiser sa mère dont elle est également orpheline.
Comme Virginie Bouyx, nous avons sans doute tous joué à ce petit jeu en nous promenant dans les musées, en nous imaginant faire le plein dans la station-service d’Edward Hopper, en allant vérifier le jeu des joueurs de cartes de Cézanne, on en faisant la sieste après avoir déjeuné sur l’herbe aux côtés d’Édouard Manet. Si dans le roman, les protagonistes cherchent un guide pour comprendre ce qui leur arrive, on pourra leur conseiller Entrer dans un tableau de Françoise Barbe-Gall qui développe cette idée que face à une œuvre, nous suivons un parcours, sommes happés dans l’espace, presque à notre insu. C’est sur cette même idée qu’est née la collection « Voyage dans un tableau de… » qui nous guide dans des œuvres remarquables et c’est sans doute aussi la raison pour laquelle, on suit la romancière dans cet argument fantastique aussi utilisé par Stephen King dans Rose Madder.
Mais ici le fantastique est bien davantage poétique qu’angoissant. Il entretient le souvenir, suscite des émotions et tisse des liens dans le temps et l’espace. Alors on voit le peintre déambuler et à travers son histoire personnelle on comprend mieux la fascination exercée par son tableau.
On peut aussi avoir une lecture écologique de ce riche roman et voir dans ce tableau une métaphore de la nature menacée. Aujourd’hui, il ne reste pas grand-chose de cet endroit idyllique. Le temps et les activités humaines ont petit à petit détruit la maison. Les arbres ont été abattus, les plantes ont été arrachées. Alors oui, il serait formidable de pouvoir réinvestir ce lieu tel qu’il figurait sur la toile. Et se réfugier sous la varangue.

La Varangue
Virginie Bouyx
Éditions Le Pommier
Premier roman
130 p., 15 €
EAN 9782746527195
Paru le 17/08/2023

Ce qu’en dit l’éditeur
Tous deux orphelins de mère, Andréa et Yoko ne se connaissent pas. Lui, jeune agent de logistique dans un ministère, mène une vie de bureau plutôt grise. Elle, lycéenne un peu rêveuse, vit à La Réunion avec son père.
Ils ne le savent pas encore, mais ils ont un point commun: l’un comme l’autre ont pris l’habitude de contempler chez eux une toile représentant le domaine qu’un botaniste du XIXe siècle fit bâtir en l’honneur d’une ancienne esclave dont il s’était épris. De ce domaine désormais englouti par les eaux, seul subsiste ce tableau à la végétation luxuriante d’où émerge une maison blanche de style colonial, avec sa varangue — sorte de galerie en bois servant de véranda. Ce tableau, Andréa et Yoko le contemplent intensément, si intensément qu’ils finissent par y plonger, découvrant ce qui se cache derrière tel arbre du voyageur, allant à la rencontre de ce qui est au-delà du cadre, la plage, l’océan. Et chacun de nourrir l’espoir que, sous la varangue, sa mère l’attend. À chercher ainsi au même endroit l’image d’une absente, comment ne pourraient-ils pas s’y rencontrer ?
Avec beaucoup de pudeur et de délicatesse, dans une langue belle et émouvante, ce court roman aux allures de conte écologique nous parle de la disparition des êtres chers, de l’inexorable montée des eaux et de la place du rêve dans nos vies.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Actualitté

Les premières pages du livre
« Andréa referma avec négligence la porte de l’appartement. Un geste indescriptible qui faisait prétendre à Constance, lorsqu’ils vivaient encore ensemble, qu’il n’aurait pas procédé différemment s’il avait voulu la laisser ouverte. Ce geste agaçait Constance, comme, à la fin, la plupart de ce que faisait Andréa, et celui- ci se demandait parfois s’il n’aurait pas dû se méfier, si la crise n’était pas finalement partie de là plus que de toute autre chose, de cette manière dont il ne pouvait se débarrasser de fermer les portes et qu’elle lui reprochait depuis le premier jour.
Il referma donc la porte de l’appartement de la même façon qu’à l’accoutumée, puis il accrocha son blouson à la patère, passa derrière le bar de la cuisine ouverte se laver les mains et termina lourdement sa course sur le canapé avant de se dire qu’il lui faudrait bientôt réfléchir à ce qu’il allait manger. Il rentrait tôt mais malgré l’heure gagnée sur son horaire habituel cette soirée ne différait en rien des précédentes, comme, très certainement, elle ne différerait en rien des suivantes. En y songeant, le jeune homme fut pris d’une de ces crises de mélancolie qui, une ou deux fois par mois, s’abattaient sur lui sans crier gare, s’immisçaient dans chacun des pores de sa peau et entre chacun des méandres de son cerveau pourtant déjà bien encombrés de chiffres et de références de fournitures de bureau.
Faute de mieux et malgré son master en histoire contemporaine, Andréa était depuis deux ans contractuel dans un ministère de second rang où il occupait les fonctions d’agent de logistique. Chaque jour il faisait voyager, d’un bureau à l’autre et dans des parafeurs hors d’âge, devis, bons de commande et factures diverses. À intervalles réguliers, il réceptionnait rames de papier, toners, chemises en carton ou stylos- bille qu’il orientait vers différents services au moyen de courriels stéréotypés et de diables maniés par deux agents proches de la retraite. Il s’occupait également de l’organisation des cocktails et accueillait les prestataires appelés pour repenser l’aménagement et la décoration du bureau à peine refait d’un nouveau secrétaire d’État – les secrétaires d’État, en effet, changeaient souvent. Pour ce travail, il partageait avec trois personnes une petite pièce située à l’extrémité d’un couloir à la peinture écaillée et dont la fenêtre donnait sur une arrière- cour sordide. Le chef de son service, petit gros fuyant, presque une caricature, était le seul titulaire de l’équipe. Deux de ses collègues bénéficiaient comme lui de contrats de trois ans et le troisième changeait régulièrement: il s’agissait d’un poste de vacataire que l’on renouvelait sans cesse et qui par chance n’entrait pas dans le calcul des effectifs. Tous les mois, le Trésor public versait sur le compte d’Andréa, en rétribution de ses bons et loyaux services, un traitement équivalent à celui d’un fonctionnaire de catégorie C qui lui permettait tout juste de régler les frais afférant à la location à une vague cousine d’un petit studio dans l’Est parisien, à ses maigres dépenses courantes ainsi qu’à un ou deux trajets mensuels chez son père qui, depuis le décès de sa mère quinze ans plus tôt, supportait mal la solitude de sa maison sur la côte atlantique. Dans les moments de désespoir relatif tels que celui qu’il vivait en cette fin d’après- midi, une seule chose pouvait soulager Andréa. Il ne s’agissait pas de se servir un verre, ni plusieurs, encore moins de fumer un joint, mais simplement de se plonger dans la contemplation d’un tableau. Ou, plus précisément, dans le tableau lui- même.
Sans bouger du canapé sur lequel il s’était affalé, il leva donc les yeux vers la toile jadis accrochée dans sa chambre d’enfant et qu’il conservait maintenant sur l’un des murs de ce qui chez lui faisait à la fois office de salon, de cuisine et de chambre à coucher. Le tableau n’était pas si grand, un mètre de long tout au plus et à peu près la moitié de largeur, mais dans l’appartement minuscule il paraissait immense. On y voyait au premier plan, sur la gauche, un véritable fouillis d’arbres et de plantes tropicales – palmiers nains, filaos, bougainvilliers, fougères, orchidées et hibiscus… énumérait sa mère en le berçant dans ses bras – et puis cet éventail immense et formidable, comme la roue d’un paon, endémique de Madagascar et que l’on appelle arbre du voyageur – un nom qui suffit à faire rêver. Sur la droite, après le tronc énorme d’une essence inconnue, une allée bien entretenue, bordée de palmiers, menant à une maison d’un blanc crème, baignée de soleil et que l’on devinait très vaste malgré la distance. Une maison coloniale, d’architecture créole, avec varangue et lambrequins. À droite de la propriété, derrière l’extrémité d’un plan d’eau couvert de nénuphars, quelques arbres fruitiers – jacquiers, bananiers, manguiers. Au loin enfin, des collines basses et bleutées qui se détachaient sur un ciel où les nuages s’amoncelaient, annonçant la pluie, le vent, peut- être l’orage. «Le vent qui fait chanter les palmes», murmurait Nina. D’un chant identique à celui des gouttes d’eau sur le bois de la véranda.
Il ne fallait jamais longtemps au jeune homme pour entrer dans le tableau et s’y abandonner complètement, dans la chaleur du soleil et les parfums de pays lointains. Un jour même, il s’y était presque perdu. C’était peu après la mort de sa mère, ils n’avaient pas eu le temps d’en explorer ensemble tous les recoins, elle ne pouvait plus le guider et, de l’autre côté du bassin, le jeune garçon, se laissant distraire par la logique presque scientifique qu’il pressentait dans l’agencement des plantes, avait manqué ne pas retrouver son chemin. Mais depuis, les lieux lui étaient devenus familiers. Il avait ses habitudes dans le jardin et connaissait les moindres recoins de la villa, tout comme ceux des bâtiments de service dissimulés juste derrière sa masse imposante. L’artiste cependant avait pris soin de laisser çà et là des pistes vers des espaces inviolés que l’on devinait à peine entre les coups de pinceau, de sorte qu’à chacun de ses voyages Andréa était encore susceptible, s’il le souhaitait, de de s’engager un peu plus loin, de découvrir un endroit nouveau sans même aller jusqu’à la naissance des collines ni jusqu’aux limites du domaine au-delà desquelles, par une superstition idiote devenue habitude, il ne s’aventurait jamais – il ne s’y aventurait jamais alors qu’il savait pourtant, selon ce que lui en avait dit sa mère lors de l’une de leurs dernières promenades, qu’un peu plus loin vers la gauche, de l’autre côté du cadre, se trouvaient l’océan, les plages et la barrière de corail.
Le jeune homme possédait bien d’autres lieux de promenade, conservés par exemple dans les vieux livres d’art posés sur sa table basse près d’un anthurium aux fleurs d’un rouge éclatant. Il aimait, en particulier, les miniatures persanes, la finesse du dessin des chevaux fougueux et des palais colorés. Et les estampes chinoises et japonaises, fleurs et oiseaux, paysages de montagne et d’eau s’écoulant de ses ouvrages au parfum de grimoires. Tous ces mondes que sa mère lui détaillait autrefois avec la nostalgie des exilés. Pourtant, jamais il n’y avait retrouvé l’atmosphère de la belle demeure de bois blanc et de son luxuriant jardin. «Pour entrer dans un tableau, lui chuchotait sa mère dans la quiétude de sa chambre d’enfant, il faut y trouver un intérêt particulier.» Et cet intérêt particulier, il le ressentait sans peine pour ce monde qu’elle avait peint. Peut- être juste ment parce qu’elle l’avait peint.
Cette toile était quasiment la seule que Nina eut réalisée, et achevée. Ses autres tentatives en la matière s’étaient limitées à quelques natures mortes et à une demi-douzaine de copies vendues aux touristes sur le parvis de Notre- Dame, un jour de déménagement, lorsqu’elle était étudiante. Mais aucune, à la connaissance de son fils, ne représentait un tel paysage. Ce tableau, elle ne pouvait s’en séparer, c’était le plus réussi, il marquait le début de ses rêves et de sa vie d’adulte. Elle l’avait copié à dix-sept ans, peu avant de partir pour Paris, lors d’une exposition temporaire organisée à Rennes près de l’appartement de ses parents. Il figurait parmi toute une série d’œuvres d’artistes des anciennes colonies européennes rescapées d’une collection particulière, mais, inexplicablement, il l’avait frappée plus que les autres et elle était parvenue, avec son sourire en biais, ses grands yeux rieurs et son talent, à amadouer suffisamment le gardien pour venir l’y reproduire aux heures de faible affluence. À mesure qu’elle avançait dans son travail, elle avait été frappée par les chemins de traverse, les petites choses et les odeurs dissimulées, l’air de rien, dans les circonvolutions du jardin et les couloirs de la demeure. «Tu vois, c’est un tableau beaucoup plus riche qu’on ne le pense», disait-elle à son fils une fois leur promenade achevée. Puis elle l’embrassait sur le front, éteignait la lumière et quittait la chambre. Fort de cette certitude partagée, l’enfant s’endormait, ses yeux se refermant doucement sur la date de réalisation de l’œuvre originale – 1863 – et la signature de l’artiste – F. Liotay – qui flottaient au bas du tronc gigantesque à la naissance de l’allée. Ce nom, il l’avait, depuis, recherché sur Internet, dans les livres d’histoire de l’art de sa mère et les bibliothèques, sans autre résultat que de vagues renvois à quelques homonymes : Francis Liotay, directeur commercial d’une entreprise spécialisée dans la conception et la fabrication de vannes pour l’industrie, François Liotay, naturaliste décédé – justement – en 1863, un autre François Liotay, professeur à l’université Laval, ou encore Ferdinand Liotay, poète méconnu de la première moitié du dix-neuvième siècle.
Oubliant le bruit des couvercles de poubelles qui retombent et les voix joyeuses résonnant dans la cour de son immeuble parisien, le jeune homme s’engagea sur les graviers, écoutant avec délice les crissements sous ses semelles et le chant des oiseaux se préparant à la nuit. Cela faisait deux semaines, au moins, qu’il n’était pas venu et, à chacun de ses pas, le calme du lieu prenait un peu plus possession de lui. Lorsqu’il vivait avec Constance, il ne pouvait s’abandonner ainsi, et il avait, durant leur relation, délaissé bien trop longtemps le tableau. Cela, il ne pouvait – ni ne voulait – se le permettre. Car ce n’était que lorsqu’il se promenait parmi les essences, ou lorsqu’il pénétrait dans la maison au bout de l’allée, qu’il revivait son enfance trop courte. Et il espérait encore, malgré les années, retrouver sa mère, en raviver un peu plus le souvenir pour l’inscrire enfin dans sa vie d’adulte.
Mais il n’y avait jamais personne, ni dans la maison ni dans le jardin.
Ce soir-là pourtant, alors que le ciel s’assombrissait et que le vent se levait, faisant s’entrechoquer les palmes dans un délicat concert, Andréa aperçut la silhouette d’une jeune fille brune aux pieds nus qui, venant de la limite gauche du cadre, courait se réfugier sous la varangue. »

À propos de l’auteur
BOUYX_virginie_©hannah_assoulineVirginie Bouyx © Photo Hannah Assouline

Virginie Bouyx a vécu en Russie et en Chine et travaille actuellement à Paris. Elle écrit surtout de la fiction, mais on lui demande souvent si elle n’est pas tentée par le récit de voyage. Cela dit, ses textes de fiction sont, pour beaucoup, un peu comme des récits de voyage, un moyen de conserver les images et le souvenir de lieux qu’elle a traversés. Avocate de formation, elle a publié deux recueils de nouvelles, Les Fleuristes (Gallimard, 2013) et Villes chinoises (Gallimard, 2014). Elle a reçu en 2015 le prix François-Mauriac de l’Académie française. La Varangue est son premier roman. (Source: revue-boutsdumonde.com / Éditions Le Pommier)

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