Mon petit

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En deux mots
Naëlle grandit chez sa grand-mère Porte de Montreuil et, quand son métier d’infirmière lui en laisse le loisir, chez sa mère à Belleville. Elle s’accommode de cette vie difficile, car l’amour est au rendez-vous. Un amour qu’elle reçoit et qu’elle donne quand elle rencontre Gustave. À 17 ans, elle va se retrouver enceinte de jumeaux et sa vie va basculer dans le drame.

Ma chronique

Le roman du drame absolu

Dans un premier roman bouleversant, Nadège Erika raconte le parcours d’une jeune fille qui tente de sa construire un avenir du côté de Belleville. Mais ses rêves vont se briser avec la perte d’un enfant. Un drame raconté avec une tendresse infinie, dans un contraste saisissant avec la violence subie.

C’est l’histoire de Naëlle. Une histoire qui commence bien, ou presque. Nous sommes dans les années 1990 dans le quartier populaire de Belleville, pas encore envahi par les bobos. C’est là que grandit la fillette, aux côtés de sa grand-mère bretonne, chargée de veiller sur elle et de lui inculquer les principes éducatifs, car sa mère doit subvenir seule aux besoins de sa famille. Et si son salaire d’infirmière n’est pas mirobolant, elle réussit tout de même, au prix d’horaires à rallonge, à assurer l’essentiel et à jongler entre les dettes et les huissiers.
Quand la grand-mère part s’installer Porte de Montreuil, il faut apprendre à composer entre deux « chez soi » et faire la navette entre les domiciles, mais aussi entre deux modes de vie, réglée et studieuse chez l’une, beaucoup plus bohème chez l’autre. « J’ai navigué toute mon enfance entre Belleville et porte de Montreuil, entre deux femmes qui se ressemblaient à peine. Deux maisons, donc, boulevard Davout et rue Piat, deux ventricules d’un même cœur dont les battements ont rythmé mon existence depuis mon entrée au CP jusqu’à la troisième. » Avec ses frères et sœurs, Naëlle se satisfait de la situation, d’autant qu’elle peut profiter des failles du système et faire croire à sa grand-mère qu’elle passe la nuit chez sa mère, ou l’inverse.
Un moyen de s’émanciper, de grandir et d’aller explorer de nouveaux territoires. Quand le beau Gustave s’intéresse à elle, elle s’imagine avoir décroché le gros lot. Car le jeune homme est très convoité. L’histoire d’amour va pourtant se terminer très vite, trop vite. Car Naëlle est enceinte et Gustave n’est pas prêt à jouer les pères de famille. « L’annonce de ma grossesse n’a vraiment réjoui personne. On pouvait dire que je n’étais pas tombée enceinte au meilleur moment. À l’époque, j’étais la seule à travailler. »
Du roman d’initiation écrit d’une plume allègre teintée d’humour, Nadège Erika – un pseudonyme – nous fait alors passer dans le drame absolu. Un cri déchirant emporte alors le lecteur, aussi révolté que bouleversé.
Si ce roman est aussi réussi, c’est qu’il n’y a pas de rupture de ton. C’est avec le même regard, plein de candeur, que la primo-romancière raconte cet épisode si noir. Le contraste n’en est que plus saisissant. On admire aussi le chemin de résilience parcouru jusqu’à ce qu’elle trouve la force de mettre son histoire sur le papier.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Mon petit
Nadège Erika
Éditions Livres Agités
Premier roman
280 p., 20,50 €
EAN 9782493699046
Paru le 25/08/2023

Où ?
Le roman est situé principalement à Paris, principalement dans le quartier de Belleville et à la Porte de Montreuil.

Quand ?
L’action se déroule de 1990 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Mon Petit nous entraine dans les rues de Belleville, dans les pas frénétiques d’une jeune fille décidée à̀ vivre plus tôt que les autres. Sans savoir que les lendemains, parfois, vous scient les jambes.
Rue Piat dans les années 90 : chez Grand-Maman dans la cité HLM, Naëlle porte des robes à col claudine, apprend qu’il faut dire les « intempéries » et non « un temps de merde », s’arrête tous les jours devant chez Madame Ah qui expose des canards sans tête dans son restaurant chinois. Porte de Montreuil : chez Jeanne, sa mère, infirmière, libre et bohème, abonnée aux huissiers, c’est dîners Banania- biscottes, tourne-disque et les Jackson Five à fond.
Entre les deux, avec ses frères et sœurs, Naëlle fait la navette, grandit, pose des questions qui restent sans réponse, rencontre des hommes jamais comme il faut, tombe amoureuse de Gustave, de ses yeux verts et de ses nouvelles Nike et devient mère à dix-neuf ans.
Les éclats de rire et les silences sont toujours là. Le drame fait comme s’il attendait son heure…

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
RFI (Jean-François Cadet)
France Inter
Citéradio (Guillaume Colombat)
Untitled Mag
TV5 Monde
Blog Les livres de Joëlle
Blog Domi C Lire
Blog Les livres de Joëlle
Blog Calliope Pétrichor


Nadège Erika présente son roman dans «Le journal international». © Production TV5 Monde


Nadège Erika est l’invitée de Mathilde Serrell sur France Inter. © Production Radio France

Les premières pages du livre
« 1
J’ai compris ça hier après-midi, en descendant la rue des Fêtes jusqu’à la piscine Alfred-Nakache de la rue Dénoyez. Une piscine rue Dénoyez, dans le quartier, on ose. Cela m’apparaît désormais comme une évidence, c’était ici qu’il fallait que je vienne écrire. Ici que je devais venir me planquer. À Belleville.
Il y a une semaine que j’ai déserté les vingt-sept mètres carrés du logement HLM que je louais depuis quatre ans, à mi-chemin entre la Butte-aux-Cailles et le parc Montsouris. Le parc était ma pièce en rab, mon salon, ma salle à manger. J’y enchaînais les pique-niques à la belle saison, jusqu’à la fin de l’automne si possible, pour ne pas étouffer là-haut, au sixième et dernier étage, avec Sam, mon fils de vingt-six ans. Deux dans un réduit… La promiscuité et l’étroitesse des lieux m’étaient devenues insupportables et je me suis « expulsée » de chez moi – ce n’était pas la première fois. Je n’aurais pas pu écrire là-bas. Trop inconfortable. Il n’y avait ni chaise, ni table, ni bureau, ni fauteuil. Pas de place pour caser tout ça.
Sam était revenu comme un boomerang alors que j’avais pris ce studio après son départ et celui de son frère. Je ne parviens toujours pas à savoir ce qui a motivé son retour – peut-être la difficulté pour lui d’être seul –, et s’il a conscience de la situation dans laquelle il m’a mise. Peut-être même qu’il s’en fout. Une amie d’amie m’a proposé une chambre dans son atelier d’artiste mais il m’a fallu plusieurs semaines avant d’accepter. La culpabilité, sans doute. Et le besoin de cette solitude que je chéris. Il s’agit d’un atelier-logement comme on en trouve quelques-uns à Paris, dans lequel on entre directement dans une vaste pièce à vivre extrêmement haute de plafond, avec des verrières, et sur la droite un coin de travail constitué d’une table à dessin toujours couverte de croquis et de brouillons, sur laquelle est fixé un sous-main de découpe vert assorti aux rideaux, le tout entouré d’une demi-douzaine de chaises volontairement mal assorties. Des artistes viennent parfois y travailler. Cette atmosphère me grise. Dans le prolongement, dans un petit espace mansardé, une chambre avec un petit bureau a été aménagée. C’est là que j’écris. J’écris pour emballer mes tourments dans un corps de papier et mettre des mots sur une histoire qui en a manqué. Au même titre que d’autres fluides corporels, l’écriture, chez moi, est une sécrétion. Et puis je n’ai plus que ça à faire.
J’ai démissionné de la fonction publique il y a peu, où j’ai exercé plusieurs années dans un foyer d’accueil d’urgence pour enfants avant d’atterrir dans une structure qui accueille des mères adolescentes, des ados et des postados en danger ou en difficulté. J’ai fini par tout plaquer. Dans certaines institutions, et particulièrement dans ce secteur, il se passe des choses que je ne veux plus voir ni savoir.
J’ai réussi à obtenir ce que je souhaitais de mon employeur, c’est-à-dire pas grand-chose, néanmoins suffisamment de ronds pour avoir le temps de me poser, de partir prendre l’air et le soleil quelques mois en attendant les indemnités de Pôle emploi. Quitter mon travail était une décision périlleuse ; j’ai quarante-cinq ans, je suis diminuée physiquement et je souffre d’une affection chronique, mais, surtout, je ressens un besoin immense de me laisser aller à ne rien foutre. Profiter de l’instant, c’est ce que je préfère dans la vie.
* *
Mes pas m’ont menée machinalement à Belleville, instinctivement je veux dire. J’ai traversé la rue des Pyrénées, fait un tour rue Piat, me suis arrêtée au numéro 40, devant l’immeuble de mon enfance. Là, j’ai levé la tête pour tenter d’apercevoir du mouvement au septième étage. Même si je n’ai plus le désir d’y vivre, même si j’ai oublié certains lieux et certains repères, même si le quartier a changé et subi une gentrification de plus en plus marquée, Belleville, ça reste chez moi. Belleville, c’est à moi. Je pourrais me coucher là, par terre, et ne plus en bouger. Je ne sais si c’est la proximité avec l’enfance qui me procure cette sensation, mais dans ce quartier, j’ignore toute notion de temporalité. Je pourrais très bien voir Grand-Maman passer sur le trottoir, même un de mes oncles, Le Blond, ou peut-être son frère, Le Brun.
Ma grand-mère parlait de Paris comme on évoque un parent suffisamment bon. Je crois même qu’elle adorait Paris, même si elle a eu plus de mal à l’époque où Chirac était à la mairie, et qu’en s’affairant en cuisine au retour des courses chez René le boucher, elle râlait : « Ils finiront par nous foutre dehors, ils finiront par tous nous foutre dehors ! »
Grand-Maman avait grandi en Bretagne, puis rue de l’École-Polytechnique, dans le 5e arrondissement à Paris, dans une chambre louée au mois par ses parents. Son père était ouvrier, sa mère vendeuse sur les marchés. Plus tard, ils ont vécu avenue Parmentier, dans le 11e arrondissement. Ils louaient un deux pièces, deux chambres de bonne mitoyennes. Ils sont longtemps restés là, avant de déménager à la fin des années 1970 au 40, rue Piat.
À chaque fois qu’elle disait ça : « Ils finiront par tous nous foutre dehors ! », j’avais peur. Je me demandais qui étaient ces Ils dont elle parlait. J’ignorais que ces Ils étaient là, tout proches, qu’ils arrivaient, qu’ils finiraient par nous pousser de là pour qu’ils s’y mettent avec leurs Biocoop, leurs Naturalia, leurs cafés hors de prix, leurs coffee shops en vogue où ils adorent se retrouver pour avaler un pancake et échanger deux, trois mots hystériques sur le nouveau juice bar et ses cheese-cakes à la courgette, qui vient d’ouvrir.
Ils, les Gentrificators.
Ce dont je suis certaine, c’est que ces Ils, même peu nombreux, peuvent prendre beaucoup de place. À l’époque, j’étais à mille lieues d’imaginer qu’après nous avoir foutus dehors ils finiraient par gentrifier nos dégaines et nous voler nos Stan Smith, nos chaussures préférées, jusqu’à ce qu’elles deviennent hors de prix. Car de Belleville à Cergy-Pontoise, les Stan, c’étaient les chaussures des enfants et des grands frères, c’étaient aussi celles des dealers. Cela dit, les grands frères et les dealers étaient bien souvent les mêmes.
Mais il ne suffit pas de porter des sneakers, une chemise au style ethnique ou des jeans effilochés pour éluder le caractère colonisateur du mode de vie que l’on choisit. Il faut tout de même le dire, il faut tout de même le leur dire : ils réhabilitent, ils rénovent, ils aseptisent, ils écrasent, on nécrose.
Fin du game.
À certains égards, ils nous ont même volé notre vocabulaire. Ils kiffent grave ou ils sont vénères, depuis peu ils ont le seum, ils parlent de leurs daronnes, ils sont fons-dé entre deux mots de franglais. Ils disent qu’il déchire vraiment ce petit vin naturel dégoté chez le caviste. Ils disent qu’à l’italien de la rue Oberkampf, c’est une tuerie cette burrata, alors que la burrata est un fromage et qu’une tuerie est un drame. On le sait tous à présent, surtout dans le 11e arrondissement. Ils disent « yoga » entre deux gorgées de thé matcha ou de thé rooibos, ils disent « cool », ils disent beaucoup « c’est juste » alors que c’est tout sauf juste. C’est juste dingue comme c’est injuste même. Ils disent aussi, toujours avec un quasi-dédain, voire un sourire en coin : « Je n’ai pas la télé chez moi », alors qu’ils regardent tous la télé sur leur iPad. Mais c’est stylé de ne pas avoir la télé, et surtout de le faire savoir. Ils disent Timeline, ils se prennent pour le Che lorsqu’ils signent une pétition sur Change.org. Quand ils font un don à la Fondation Abbé Pierre et qu’ils foutent leurs vieilles fringues à la benne du Relais ou à celle de la Ressourcerie, ils disent « bienveillance ». Ils disent de plus en plus « méditation en pleine conscience », ou plutôt « mindfulness meditation », ils disent très souvent burn-out et déplorent le montant de leurs impôts quand moi j’ai rêvé d’en payer. Ils aiment tellement se plaindre de ne pas avoir de blé, ils n’assument pas leur confort. C’est dommage. Ils ont tous un grand-père paysan et un aïeul résistant, et de la même façon, dans cinquante ans, leurs petits-enfants auront tous une grand-mère qui, durant l’autre guerre, celle de la Covid-19, aura été aide-soignante.
Ils me font flipper.
Vraiment.
On devrait pouvoir les swiper left.

2
J’ai le sentiment d’avoir toujours eu à remonter la rue de Belleville. La semaine dernière encore, alors que je me rendais rue Haxo, entre les stations de métro Télégraphe et porte des Lilas, je suis instinctivement sortie à Belleville. Comme ça, sans réfléchir, comme une somnambule de journée, sans doute pour aller l’embrasser sur sa grosse bouche de métro. Je l’adore.
Je suis passée devant La Vielleuse, une brasserie que j’ai toujours connue sans jamais ou presque y entrer, j’ai contourné la pharmacie, le magasin de fringues bon marché, et c’est seulement arrivée devant Les Folies et en regardant ce bistrot aux allures d’antan, ses lumières familières et ses lueurs d’hier, que je me suis demandé ce que je foutais là.
Et pourtant, j’ai commencé la énième ascension de ma colline préférée. Je suis restée sur le trottoir de droite, j’ai jeté un coup d’œil au graff’ de la rue Dénoyez. En passant devant la rue de Tourtille, j’ai vu les canards laqués suspendus tête en bas (sauf qu’ils n’ont plus de tête) que Mme Ah expose dans son restaurant chinois. C’est ainsi qu’on l’appelait. On disait : « Je vais chez Mme Ah. » Je ne sais plus vraiment pourquoi, mais tout le quartier disait ça alors que son restaurant s’appelle le Rouleau de printemps. Des années que je n’y ai pas mangé. Des années aussi que plus personne ne parle de Mme Ah. Ici, ça grouille de clients qui remontent d’un shopping rue Beaurepaire et quai de Valmy, ou qui descendent de leur pavillon à Jourdain.
Belleville est tout autre, pourtant Belleville est comme avant, j’ai toujours l’impression d’avoir six ou sept ans quand je viens ici. Je me souviens que dès qu’il neigeait, avec les autres gamins du quartier je me glissais dans de grands sacs-poubelles et je dévalais les pentes enneigées. Je n’en ai aucune nostalgie. Mes tourments sont bien trop hérités de cette époque-là pour que je la regrette, en dépit de la douceur de certains souvenirs.
À l’angle de la rue Julien-Lacroix, j’ai levé très haut la tête pour lire cette phrase de l’artiste Ben, comme écrite à la craie sur une ardoise géante, au sommet d’un immeuble en pierre, à la lisière du ciel : Il faut se méfier des mots. Quand j’étais petite, il y avait aussi : N’importe qui peut avoir une idée, et je me demandais alors ce qui aurait pu faire douter du contraire. Bien sûr que n’importe qui peut avoir une idée, même une idée pourrie.
La composition artistique de Ben me semble avoir toujours été là. J’ai l’impression de connaître ces ouvriers façonnés par l’artiste, qui tiennent l’ardoise du bout des doigts. Quand je regarde ces deux statues, je me revois petite. Dans mon imaginaire d’enfant, je pensais que ces bonshommes étaient des mecs du quartier. Après tout, pourquoi n’aurais-je pas encore le droit de penser qu’il s’agit de « vraies gens » ?
Le trottoir de droite, c’est celui que je préfère, c’est même celui que je connais le mieux. Comme quand on est plus agile d’une main, ou que l’on a son côté de lit, moi, j’ai mon côté de Belleville. Ici, j’entends les voix des fantômes, les percussions et la trompette, j’entends les enfants de la chorale des cerfs-volants de Ménilmontant qui chantent : Les jolies rues de Belleville, colorées, parfumées au printemps. Avouez qu’on a la belle vie en remontant Ménilmontant.
En continuant ma balade, je suis passée devant un magasin de chaussures un peu foutoir, une solderie peut-être. À côté, la bijouterie très fantaisie où j’achetais tant de créoles et autres bijoux en plastoc était toujours là, avec le tabac un peu plus loin. J’ai tourné à droite, dépassé la boulangerie verte à l’angle Piat-Belleville. Le pain y était très bon, mais pas les croissants, disaient les adultes. Des familles venues d’Afrique du Nord allaient y chercher leur kesra. Nous, c’était la baguette, eux cette galette de semoule algérienne dont la douceur me fait encore penser aujourd’hui à un dessert.

Extraits
« Même si je n’ai plus le désir d’y vivre, même si j’ai oublié certains lieux et certains repères, même si le quartier a changé et subi une gentrification de plus en plus marquée, Belleville, ça reste chez moi. Belleville, c’est à moi. Je pourrais me coucher là, par terre, et ne plus en bouger. Je ne sais si c’est la proximité avec l’enfance qui me procure cette sensation, mais dans ce quartier, j’ignore toute notion de temporalité.
Je pourrais très bien voir Grand-Maman passer sur le trottoir, même un de mes oncles, Le Blond, ou peut-être son frère, Le Brun.
L’heure a filé. Les souvenirs s’estompent. Je dévale l’escalier de l’immeuble de ma jeunesse, quitte la rue Piat, retourne rue de Belleville que je remonte à pied. Grand-Maman m’accompagne toujours dans ma tête. Je repense à son enfance. Bien que née à Paris, ses parents l’ont aussitôt envoyée chez une tante à Carnoët, en Bretagne, où elle est restée jusqu’à son entrée au cours préparatoire. Ils étaient trop pauvres, la chambre de bonne qu’ils occupaient trop petite pour la garder avec eux, et ses grands-parents trop affairés à travailler.
Grand-Maman nous a raconté que lorsqu’elle avait appris que ma mère, encore mineure, était enceinte de mon frère, elle lui avait demandé : « Mais pourquoi un Noir ? Il n’y a pas suffisamment de Blancs ? Tu ne pouvais pas nous ramener un Breton ? » Et elle a ajouté : « Aujourd’hui, j’ai honte d’avoir dit ça à votre mère et je trouve que j’ai été bête. Si on venait me dire que quelqu’un s’est trompé à la maternité et qu’il fallait vous rendre contre des petits blonds, je refuserais et je garderais mon oiseau des îles et mes trois petites Négresses. » p. 43-44

« J’ai navigué toute mon enfance entre Belleville et porte de Montreuil, entre deux femmes qui se ressemblaient à peine. Deux maisons, donc, boulevard Davout et rue Piat, deux ventricules d’un même cœur dont les battements ont rythmé mon existence depuis mon entrée au CP jusqu’à la troisième. » p. 47

« On pouvait dire que je n’étais pas tombée enceinte au meilleur moment. À l’époque, j’étais la seule à travailler. Jeanne n’allait pas très bien, Raphaël se laissait porter par le quartier et les consommations suspectes qui allaient avec, mes sœurs étaient encore adolescentes, Le Brun marchait de traviole à cause de la came, et Le Blond avait fait comme Grand-Maman : il avait quitté Paris.
En plus de bosser, de faire les courses, de dépanner du flouze, dès que je m’offrais quelque chose, une fringue, des chaussures, des cosmétiques, il y avait toujours quelqu’un à la maison pour me les piquer et ça me rendait dingue. » p. 137

« La mort de Tiago a été une intoxication infinie et lente. La mort de ton enfant, c’est pour toujours, à chaque instant. Tu ne dis jamais la mort de ton enfant au passé, tu ne dis pas « à la mort de mon fils ». La mort de ton enfant, c’est tout le temps, c’est partout, tu en es la crypte. Ton existence même est focalisée sur la mort de ton enfant, ton enfant, ton enfant, ton enfant. J’étais cette mère-là.
Le Dr Machin, lui, ne s’est jamais soucié de cela. Il n’a rien voulu savoir malgré l’appel du médecin de Robert-Debré à son cabinet. Il s’est uniquement fendu d’un mot de condoléances griffonné sur une carte de visite à l’en-tête d’un CHU d’une commune huppée du 92. » p. 209

À propos de l’autrice
ERIKA_Nadege_@Nassima_BoutadjineNadège Erika © Photo Nassima Boutadjine

Chez Nadège Erika, l’écriture est un rempart à la douleur et à l’injustice. C’est un autre moyen de s’intéresser à ceux qui ont un genou à terre et qu’elle porte à bout de bras dans son quotidien d’éducatrice spécialisée dans le médico-social. Et sa manière de refuser le statu quo.
« J’ai souvent eu l’écriture pour me défendre : tout ce que je n’avais pas dit, tout ce que je n’avais pas eu, se régulait par l’écrit », dit-elle. Cela l’a sauvée d’une forme de vie faite de renoncements, et c’est sans doute la raison pour laquelle son écriture est impulsive, engagée, nourrie aussi à la culture hip-hop. Mon écriture est comme moi, héritière de violences, explique-t-elle. Donnez-moi la mort et la haine, j’écrirai la mort et la haine. Donnez-moi l’amour, montrez-moi des coquelicots, j’écrirai leur beauté, leur douceur et leur vulnérabilité. » Mon Petit est son premier roman. (Source : Éditions Livres Agités)

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