Les Terres animales

PETITMANGIN_les_terres_animales  RL_automne_2023

En deux mots
Une poignée de survivants continuent à vivre sur le vaste territoire contaminé par un accident nucléaire. Bientôt rejoints par un groupe de chasseurs ouzbeks, ils semblent avoir trouvé leurs marques. Jusqu’au jour où Sarah annonce à Fred qu’elle est enceinte. C’est alors que tout bascule.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Survivre et donner la vie

Dans son nouveau roman, Laurent Petitmangin imagine une poignée de survivants décidés à rester sur leurs terres après un accident nucléaire. Jusqu’au jour où l’annonce d’une naissance va remettre en question leur équilibre précaire.

Ils ne sont plus qu’une poignée d’humains à avoir choisi de rester après avoir été victimes d’un accident nucléaire qui a contaminé leurs terres pour des décennies, voire des siècles. Un choix déraisonnable, mais qu’ils ont choisi d’assumer. Pour Marc, Alessandro, Lorna, Sarah et Fred il est d’abord question de prouver qu’il est possible de survivre dans ce milieu hostile et qu’en prenant un minimum de précautions, le quotidien peut même être agréable. Pour Sarah et Fred, il n’était en outre pas question d’abandonner leur fille Vic qui repose au cimetière, mais dont le souvenir continue à les habiter.
En faisant le compte des réserves disponibles dans les maisons et surtout les magasins abandonnés en urgence, ils se rendent compte que s’ils ne sont pas trop regardants sur les dates de péremption, ils pourront tenir pendant des années.
Leur autre atout, ce sont les liens amicaux qu’ils ont tissé au fil des jours et qui leur permettent d’entretenir un semblant de vie sociale. De ce point de vue, l’arrivée d’un groupe de chasseurs ouzbeks est aussi l’occasion de nouveaux échanges, car l’habileté au tir de ces derniers va leur permettre de se libérer des drones de surveillance qui n’arrêtent pas de survoler le territoire.
Entre parties de chasse, escapades et menus travaux, la vie est tranquille. Fred a même repris sa caméra, lui qui s’était lancé dans un film documentaire avant la catastrophe.
Mais quand Sarah lui annonce qu’elle est enceinte, il s’interroge sur la destinée sa progéniture: «Qu’est-ce qu’un enfant peut faire dans un pays comme cela? Quel avenir lui prépare-t-on? C’est quoi sa vie? Tout seul, sans aucun autre enfant dans la zone, coin pourri de chez pourri, sans avenir, sans la moindre prospérité, où chaque bouffée d’air est une gageure et où chaque aliment est suspect. (…) Cette question commence pourtant à me bouffer le cerveau, je sais qu’il faut qu’on l’aborde, et je sais surtout qu’il n’y a pas trente-six mille façons d’y répondre.»
Laurent Petitmangin donne alternativement la parole à Fred et Sarah pour confronter les points de vue et offrir au lecteur l’occasion de suivre leurs raisonnements, pour comprendre leurs choix.
Après le formidable Ce qu’il faut de nuit (prix Stanislas, prix Femina des lycéens) en 2020 et Ainsi Berlin en 2021, Laurent Petitmangin change à nouveau de registre pour nous offrir un roman survivaliste, dans la veine du désormais classique Malevil de Robert Merle ou plus récemment de l’apocalyptique La route du regretté Cormac McCarthy ou encore de Dans la forêt de Jean Hegland. On y trouvera aussi en cette rentrée 2023 des points communs avec Jardin des oubliés de Mouloud Akkouche, notamment l’aspect survie dans un monde hostile et la question de la génération future, des thèmes qui vont sûrement irriguer bon nombre d’ouvrages dans les mois et années qui viennent.
Car si l’avenir s’annonce anxiogène – la menace nucléaire, aussi bien par un accident dans une centrale que par volonté belliqueuse n’ayant jamais été si forte qu’en ce moment – le pire n’est jamais certain. C’est aussi le message de ce roman dont on peut certes avoir une lecture écologique, mais qui est bien davantage le révélateur de nos angoisses collectives.

Signalons la rencontre organisée par la Librairie 47° Nord, le 22 septembre à 20 h à Mulhouse avec Laurent Petitmangin.

Les Terres animales
Laurent Petitmangin
Éditions la manufacture de livres
Roman
224 p., 18,90 €
EAN 9782358879996
Paru le 24/08/2023

Où?
Le roman est situé principalement après un accident nucléaire dans un lieu qui n’est situé précisément.

Quand?
L’action se déroule peut-être dans un futur plus ou moins proche.

Ce qu’en dit l’éditeur
Il y avait là de petites villes avec leurs églises, quelques commerces, des champs, et au loin, la centrale. C’était un coin paisible entouré de montagnes et de forêts. Jusqu’à l’accident. Il a fallu évacuer, condamner la zone, fuir les radiations. Certains ont choisi de rester malgré tout. Trop de souvenirs les attachaient à ces lieux, ils n’auraient pas vraiment trouvé leur place ailleurs. Marc, Alessandro, Lorna, Sarah et Fred sont de ceux-là. Leur amitié leur permet de tenir bon, de se faire les témoins inutiles de ce désert humain à l’herbe grasse et à la terre empoisonnée. Rien ne devait les faire fléchir, les séparer. Il suffit pourtant d’une étincelle pour que renaisse la soif d’un avenir différent: un enfant bientôt sera parmi eux.
Laurent Petitmangin, toujours aussi bouleversant d’humanité, nous raconte les souvenirs indélébiles, les instincts irrépressibles et la vie qui toujours impose sa loi au cœur de ces terres rendues au règne animal.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com


Laurent Petitmangin présente son roman «Les Terres animales» © Production La Manufacture de livres

Les premières pages du livre
« Fred
Il faudrait dire le silence. Longtemps. Le silence qui éprend la crénelure des arbres. La fine dentelle de ceux-ci, bien détachée du ciel lavé, qui n’attend que le printemps pour s’enrichir et foisonner. Dans trois semaines, ces arbres seront magnifiques, débourrés d’un vert déjà strident ou encore tendre. Partout le renouveau. Partout un motif d’espoir. Pas ici.

Je marche, et je continue de me demander si je fais bien de poser mes pieds là, à cet endroit. Je cherche des traces de pas sur lesquels poser les miens, comme si c’était seulement miné. Comme si ça servait à quelque chose. Les pas d’avant n’ont pas tué la radioactivité, l’ont peut-être dispersée tout au plus, ça ne sert donc à rien, mais je le fais quand même. Il y a tellement de gestes qu’on fait et qui n’ont plus de sens. Arrivé à la maison, je prendrai le temps de les décontaminer, ces chaussures, selon un protocole qui me pèse chaque jour davantage. Une demi-heure à brosser, dans le bon ordre, avec les ustensiles adéquats, sinon c’est mort, mieux vaut ne rien faire. Entrer dans une baraque en poussant la porte, se déchausser à la va-vite, à quoi ça ressemble bon Dieu ? Ça devait être simple. Je ne m’en souviens plus, les sas, les douches, les vestiaires ont pourri ma mémoire.
Le chemin est maintenant torsadé. Une empreinte, celle d’une roue monstrueuse, d’un engin d’un autre temps, une trace figée, déjà stratifiée, qu’aucune pluie, aucun déluge n’entamera jamais. Des crans profonds à s’en casser les chevilles. Aucune herbe n’ose y repousser. J’imagine cette roue, je cherche à gauche et à droite la trace parallèle, en vain, à croire que l’engin, monstre cyclope, ne reposait que sur elle. Qu’est-il venu faire ? Une mission vite repliée, quand il s’est dit qu’il était trop tard, ou bien trop tôt pour tenter quoi que ce soit. Et comme si on m’entendait, l’empreinte s’évanouit. Aucune trace de demi-tour ou d’une quelconque manœuvre, elle s’évanouit. Le chemin devient plus fin, ourlé sur ses bords, un chemin de village et de paix. Si je coupe à gauche, la maison n’est plus loin. Une traversée courte et feuillue, un sacré raccourci, que je ne veux prendre. Ses hautes tiges sont toutes toxiques. Belles, mais profondément délétères. Cette nature, faut-il l’appeler encore ainsi, ne cesse de nous inviter au faux pas, comme s’il fallait nous épuiser un par un.
Alors je fais le détour. Une terre déjà emprun¬tée, sans davantage de garanties. J’en suis à sauver ce qui peut être sauvé, à tenir le plus longtemps possible. J’accomplis tous ces gestes dérisoires, qu’on nous a dit de faire, un jour, comme un dernier testament, à nous, fous, qui restions, qui voulions rester. Ultime dédouanement des autorités. Et tous ces gestes qu’on s’est construits, rien de bien rationnel, rien de scientifique. Une intuition plutôt. Des gestes vite devenus superstitions, qui dureront tant que nous durerons. Une vie empesée à jamais, avec ses précautions, les compteurs Geiger qu’on promène inlassablement, un attirail qu’on aimerait jeter au diable, sans que personne s’y risque.
Ailleurs, peut-être. Notre groupe, lui, garde cette discipline. Conscients que lâcher c’est tomber, on se promène avec masque, combinaison et compteur. Et on nettoie et récure à chaque fois, les ongles coupés ras, chaque écorchure soigneusement protégée. Ne rien rapporter de cette vérole chez nous. J’imagine que dans la Grande Armée ou à Verdun, cela se passait ainsi. La certitude de ne pas y échapper. Mais on prenait soin de les nettoyer les croquenots, tant qu’à faire, que ç’ait un peu de gueule, vu d’en haut, vu d’ailleurs. Cette discipline miraculeuse quand tout part à vau-l’eau: preuve de notre plus grande humanité? ou de notre infinie flétrissure? Je n’en sais rien, je fais comme les grognards et les poilus, je frotte, je lustre. Je respecte les bains de décontamination, et dans le bon ordre.
Enlever la terre, cette terre qui ne changera plus, ou dans des milliers d’années. Cette terre qui recouvre Vic.

Nous ne nous ressemblons pas. Bien sûr, pour les autres, ceux hors zone, nous sommes les mêmes. Mais c’est faux. Nos raisons, nos trajectoires sont différentes.
Seules nos perspectives tendent peut-être à se rapprocher, à se fondre dans une même inconnue. Certains sont venus pour l’argent. Une folie, vite arrêtée, du gouvernement précédent qui avait cherché des personnes pour tenir l’endroit, des gardes forestiers en somme. Il y eut alors des gens pour effectuer ce travail payé grassement, même s’ils se doutaient qu’il n’y avait rien d’anodin à revenir un an après dans une zone qui avait vécu dix Fukushima. Certains pensèrent toucher le pactole, puis trouver un moyen de se barrer. On s’échappe toutefois difficilement de la zone. On peut demander, c’est possible, il y a des dossiers à remplir, de longues démarches qu’ils font durer à l’envi : personne n’est pressé de nous voir rappliquer dans la vraie vie, et si on n’est pas contagieux c’est tout comme. Un ou deux réussirent à sortir par les voies légales, ils rendirent le fric, et restèrent longtemps à l’isolement de l’autre côté, dans un camp. Le filet des sorties s’est tari depuis, on a compris, on n’insiste plus, et on se fait discrets.
On pourrait croire qu’il est facile de se sauver, la zone est immense, tout un massif.
Immense, mais électrifiée sur tout son pourtour, et gardée. Par des hommes, et des drones qui nous sur¬¬volent sans répit et collectent chaque jour l’intégralité de nos faits et gestes. On a essayé de les dézinguer ces putains de drones, mais ils sont plus vifs que des étourneaux. Et ils volent si haut. Il paraît qu’il y a des tirs automatiques, comme jadis à Berlin, je ne veux même pas y croire. De toute façon, ce n’est pas mon problème, je n’ai aucune envie de sortir, je suis là pour durer, aussi longtemps que mon corps le voudra. Je suis là pour aller voir Vic tous les jours, tôt le matin, ou en fin d’après-midi. J’ignore ce qu’elle préfère, si elle aime que je la surprenne ainsi. Je lui raconte ce qui se passe maintenant, cette végétation ragaillardie, les animaux plus nombreux, dont j’aimerais dire qu’ils sont différents, mais non, ils ressemblent à ceux qu’on a toujours connus, pas de patte en plus, peut-être crèvent-ils simplement plus tôt, peut-être les femelles ont-elles les ovaires défoncés, pourtant on en voit de plus en plus, de ces animaux. Ils se rassemblent le soir, ils chantent et crient ensemble, des sarabandes réjouissantes, que je raconte à Vic. J’entends son gazouillis, parfois.
Les chiens, c’est différent. Ils ont quitté le village. On entend leurs aboiements en bruit de fond, en marge. Des aboiements sempiternels, et de plus en plus sauvages.
Eux aussi, on dirait qu’ils ont besoin de se rassembler, de faire meute, et quand on en voit un on se méfie, ils ont l’air prêts à tout, encore plus au bout de leur vie que nous.
Lorna, qui a pas mal bourlingué, me dit que c’est ainsi dans certains bleds du tiers-monde.
Sarah ne va plus voir Vic. La dernière fois que nous y sommes allés ensemble, il y a longtemps, elle s’est agenouillée, et a raclé le sol. Je n’ai eu le temps de rien faire, juste observer ses mains pétrir la terre pour en garder une belle poignée. Une terre qui bruissait à cinq cents millisieverts, une raclure d’enfer, à lui pourrir les mains. J’ai crié: «Lâche, c’est dangereux!
– Laisse-moi», m’a-t-elle répondu, et elle a conservé cette terre jusqu’à la maison, comme si elle portait le feu, ou quelque chose d’aussi sacré. Un geste inutile comme nous en faisons peu, débile. Beau aussi. Ce n’est qu’après, bien après, que nous l’avons confinée, cette terre, plombée et coulée dans un bloc de béton qui reste dans l’âtre de notre cheminée. J’ai surveillé pendant de longues semaines les mains de Sarah, je n’y ai rien vu, comme si, pour cette fois seulement, nous étions quittes.

Nous vivons de peu, nos corps se sont habitués. Nous vivons comme l’humanité aurait dû vivre depuis longtemps, comme ces hommes, au Bangladesh ou ailleurs, qui le font bien, et montrent si peu de besoins. L’eau de pluie sauvée dans d’immenses cuves. Et nous avons quelques carrés où la terre n’est pas si mauvaise. »

Extraits
« Les petits vieux m’ont interpellé un jour, bien après: «Alors, tu ne viens plus avec ta caméra? On a encore des choses à te raconter, tu sais? Mais tu serais avisé de te dépêcher, on ne va pas durer des siècles.» J’ai repris mon matos, j’ai recommencé à filmer, des bandes qui n’iront nulle part. Il faudra certainement plusieurs générations pour qu’on veuille en faire quelque chose. Je les indexe avec la plus grande maniaquerie, comme si j’étais dépositaire d’une partie de l’histoire du monde. Il y a des images sur Sarah, et Vic, avant. Elles faisaient partie de l’endroit, je les avais filmées. Vic y est encore en bonne santé. » p. 55

« Il y a une question à laquelle on n’a toujours pas répondu, même si elle nous brûle la tête: «Qu’est-ce qu’un enfant peut faire dans un pays comme cela?» Quel avenir lui prépare-t-on? C’est quoi sa vie ? Tout seul, sans aucun autre enfant dans la zone, coin pourri de chez pourri, sans avenir, sans la moindre prospérité, où chaque bouffée d’air est une gageure et où chaque aliment est suspect. Jamais — comme s’il ne fallait pas insulter l’avenir, ou nous porter malheur par des spéculations bien trop hâtives — un de nous n’a osé aborder le sujet. Et avec Sarah, on n’en parle pas davantage. Cette question commence pourtant à me bouffer le cerveau, je sais qu’il faut qu’on l’aborde, et je sais surtout qu’il n’y a pas trente-six mille façons d’y répondre. » p. 143-144

À propos de l’auteur
PETITMANGIN_laurent_©pascal-itoLaurent Petitmangin © Photo Pascal Ito

Laurent Petitmangin est né en 1965 en Lorraine au sein d’une famille de cheminots. Il passe ses vingt premières années à Metz puis quitte sa ville natale pour poursuivre des études supérieures à Lyon. Il rentre chez Air France, société pour laquelle il travaille encore aujourd’hui. Grand lecteur, il écrit depuis une dizaine d’années. Ce qu’il faut de nuit, son premier roman publié à la rentrée littéraire 2020, a remporté un immense succès critique et public en France comme à l’étranger, imposant d’emblée son auteur comme l’une des voix à suivre de la scène littéraire française. Après Ainsi Berlin (2021), il a publié Les Terres animales (2023). (Source: Agence Trames)

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