Cavaler seule

SCANLAN_cavaler-seule  RL_automne_2023

En deux mots
Iowa, Dakota, Nebraska… Sonia parcourt le Midwest pour essayer de se construire une vie dans un milieu machiste, celui du cheval. En assemblant les éclats de cette vie difficile, de l’enfance à l’âge mûr, on découvre une vie de travail et de violence, mais aussi de passion.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Une vie avec les chevaux

Après avoir recueilli les confidences de Sonia, qui a passé sa vie auprès des chevaux dans le Midwest, Kathryn Scanlan a construit un roman sans concessions. Avec la volonté farouche se battre contre la violence et le sexisme.

Dès les premières lignes, le ton est donné: «Je suis née le 1er octobre 1962. Je suis née à Dixon, Iowa. Je suis née avec une luxation de la hanche. Le médecin a dit que je ne marcherais jamais. Il doit forcément y avoir une solution, a répondu ma mère. On m’a donc plâtrée des pieds jusqu’au torse en laissant juste l’espace nécessaire pour me langer. J’ai passé cinq mois comme ça. Ensuite, on m’a mis les jambes dans deux plâtres reliés par une barre de fer, et des souliers spéciaux. Au final, j’ai pu marcher.» On comprend d’emblée que la vie de Sonia sera un combat permanent. Si sa famille s’en sort tant bien que mal, elle promène sa solitude jusqu’au jour où elle croise un cheval et sait d’instinct que c’est avec lui qu’elle fera sa vie. Après avoir pu trouver de quoi payer une heure pour le monter, elle va chercher le moyen de rester près de lui et va finir par se faire embaucher par les patrons d’écuries. Là elle fait le dur apprentissage du métier de lad, se levant à quatre heures du matin pour soigner les chevaux, les nourrir, les laver, les entraîner. En la suivant, le lecteur va découvrir comment se pratique l’élevage, comment on sélectionne les chevaux et les jockeys, combien on évalue la valeur d’un cheval et quelles combines se cachent derrière tel ou tel traitement, comment on peut échapper aux contrôles antidopage.
L’univers de Sonia, voyageant d’un hippodrome à l’autre, est dur, violent, macho. Mais c’est celui qu’elle a choisi et où elle se sent bien. Souvent elle préfère ne pas quitter le champ de courses et ne sait rien de ce qui se passe à l’extérieur. Une abnégation qui va faire sa réputation, mais ne va pas la préserver de la violence ambiante.
À 17 ans, elle est violée par un jockey qui s’est introduit dans sa caravane, mais se tait pour ne pas perdre son travail. Et se coupe alors les cheveux très courts.
S’appuyant sur des entretiens enregistrés avec la «vraie» Sonia en 2018, 2020 et 2021, ce roman est construit sur de courtes séquences qui disent avec une langue simple, proche de l’oralité, la dureté de cette existence. Proche du journalisme, le roman présente les faits dans toute leur vérité, souvent brutale. Quand une amie se retrouve paralysée, par exemple, le sort qui lui est réservé tient en deux phrases : «Le mari l’a larguée, bien sûr. Il l’a larguée tout de suite». À cette banalité du machisme ordinaire répond un humour froid qui nait de la juxtaposition des scènes, sur le comportement excentrique des personnages, sur le recul de Sonia face aux événements. Et sur des formules qui claquent comme autant de slogans salvateurs : «Quand vos parents ne s’entendent pas, quand ils se disputent, quand il y a des abus, il vous reste toujours votre cheval. Les jours où rien n’allait, j’allais voir mon cheval et il arrangeait tout. C’est pour ça que je dis toujours que c’est mon cheval qui m’a élevée.»
Sans anthropomorphisme, Kathryn Scanlan explore aussi dans son livre ce lien tout particulier entre l’homme et l’animal, un lien dont Sonia se nourrit, mais qui est aussi l’occasion de colères froides, notamment face à la souffrance qui peut être infligée par les humains, soi-disant supérieurs.

Cavaler seule
Kathryn Scanlan
Éditions La Croisée
Roman
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Laetitia Devaux
200 p., 18€
EAN 9782413080329
Paru le 16/08/2023

Où?
Le roman est situé aux États-Unis, d’abord à Dixon puis à Denton dans l’Iowa. On y voyage ensuite de Jackson, Dakota du Sud à Deerheart, Nebraska, puis comme dans le Michigan et le Kentucky, dans le Wisconsin puis en Floride.

Quand?
L’action se déroule de 1962 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
« J’ai fait plein de chutes, mais je remontais aussitôt. »
Sonia est née dans le Midwest. Dès l’enfance, elle a décidé de devenir entraîneuse de chevaux. Débute alors un long chemin pour trouver sa place au cœur de l’hippodrome, en compagnie des hommes qui ne l’épargnent pas : jockeys excessifs, lads violents, propriétaires exigeants, bagarres et tricheries sur le champ de courses… Malgré tout, il reste ce lien magique avec les chevaux, qu’elle choie, qu’elle guide parfois jusqu’à la victoire. Sonia raconte tout, sans fard, dans une émotion pure.
Cavaler seule, écrit à partir d’une histoire vraie, est un roman qui se lit au triple galop et nous emporte de souvenir lumineux en récits dramatiques. Dans ses pages se révèlent un monde fascinant et le parcours d’une femme en lutte face aux obstacles – une impressionnante leçon de vie, portée par un style étincelant.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Blog Pamolico


Kathryn Scanlan présente «Cavaler seule» © Production Librairie Mollat

Les premières pages du livre
« DANS LE PLÂTRE
Je suis née le 1er octobre 1962. Je suis née à Dixon, Iowa. Je suis née avec une luxation de la hanche. Le médecin a dit que je ne marcherais jamais. Il doit forcément y avoir une solution, a répondu ma mère. On m’a donc plâtrée des pieds jusqu’au torse en laissant juste l’espace nécessaire pour me langer. J’ai passé cinq mois comme ça. Ensuite, on m’a mis les jambes dans deux plâtres reliés par une barre de fer, et des souliers spéciaux. Au final, j’ai pu marcher. Je le dois au Dr Johnson. Ma mère disait toujours : Sans ce bon Dr Johnson…

LE VIEUX
On vivait dans un quartier pauvre, mais on s’y amusait beaucoup. Il y avait des étangs à poissons rouges, un terrain de motocross, la décharge et Jenny Bicyclette. On construisait des radeaux pour descendre le cours d’eau. La terre nous faisait vivre.
Au bout de la rue, il y avait une famille indienne qui avait quitté la réserve – le grand-père, les enfants et les petits-enfants. Les plus jeunes avaient notre âge, alors on passait beaucoup de temps ensemble. Le grand-père aimait bien me parler de sa religion et de ses croyances. J’adorais qu’il me raconte ses histoires et ses contes. Je l’appelais Grand-Père.
Le vieux, tout le monde l’aimait, mais il picolait. Et quand il était ivre, sa fille et son gendre le laissaient à la porte. Moi, je disais : Grand-Père peut venir à la maison, je dormirai avec ma sœur, comme ça, Grand-Père prendra mon lit. Il cuvait dans ma chambre et il rentrait chez lui après.
Sa fille et son gendre n’aimaient pas qu’il boive, mais eux aussi, ils buvaient. Ils se saoulaient et ils se battaient, leurs enfants se réfugiaient chez nous, et on appelait la police. On guettait les flics par la fenêtre de la chambre, et à leur arrivée, ils les embarquaient, menottes aux poings. Un jour, le mari a été emmené sur un brancard parce qu’il avait pris des coups de couteau.

CE N’ÉTAIT PAS SA FAUTE
Quand j’ai eu six ans, on a récupéré un gros chien qui n’arrêtait pas de se jeter sur moi et de descendre ma culotte avec ses pattes dans le jardin. Ce n’était pas sa faute, il n’était pas castré et j’avais pile la bonne taille.
Au bout d’une semaine, ma mère a renvoyé le chien chez l’homme qui nous l’avait donné. À mon retour, le chien avait disparu et j’ai pleuré comme une madeleine.
Puis mon oncle a entendu dire qu’un gars se débarrassait d’un poney shetland, mais c’était un étalon. Mon oncle a quand même emprunté une remorque pour aller le chercher. On louait une maison bon marché entourée d’une petite clôture blanche branlante. On a attaché le poney à un plot en béton sur le devant, là où il y avait plein d’herbe à brouter.
Un jour, des filles sont passées sur leurs juments et le poney s’est mis à hennir, tout excité. Je l’ai attrapé par le licol, il m’a envoyée valser contre le mur de la maison d’un coup de sabot. Ma mère a saisi le plot en béton pour l’arrêter mais il l’a traînée sur la route – du ski sur asphalte. Au bout du compte, un automobiliste lui est venu en aide et à deux, ils ont réussi à ramener le poney. Ma mère était couverte d’écorchures, de bosses et de bleus.
Le poney est reparti juste après ça.

MILK BONES
Avec Regina, la petite voisine qui avait mon âge, on se nourrissait de croquettes pour chien Milk Bones. On les mangeait par poignées qu’on prenait à même le sac.
Le matin, je me préparais seule avant d’aller en classe. Je mettais le rouge à lèvres de ma mère, ses robes et ses chaussures à talons.
En CP, huit filles m’ont plaquée contre les casiers en braillant : Frappez-la, frappez-la ! Je n’avais pas envie de me battre, mais quand l’une d’elles s’est jetée sur moi, j’ai envoyé balader mes talons et je lui ai réglé son compte.
On nous a conduites chez le directeur, et ma mère est arrivée plus tard. La fille avait le visage amoché et un œil au beurre noir. Je croyais qu’on allait me jeter en prison. Ma mère a dit: Ça serait pas mes chaussures, ça? »

Extrait
« Quand vos parents ne s’entendent pas, quand ils se disputent, quand il y a des abus, il vous reste toujours votre cheval. Les jours où rien n’allait, j’allais voir mon cheval et il arrangeait tout. C’est pour ça que je dis toujours que c’est mon cheval qui m’a élevée. » p. 34

À propos de l’auteur
SCANLAN_Kathryn_©librairie_mollatKathryn Scanlan © Photo DR – Librairie Mollat

Titulaire d’un diplôme en peinture, écriture et anglais de l’Université de l’Iowa, ainsi que de la School of the Art Institute de Chicago, Kathryn Scanlan est écrivaine de fiction et de non-fiction. Elle est l’auteure de nombreuses nouvelles et des romans The Dominant Animal (2020) qui a été nommé meilleur livre de l’année par The Guardian, Southwest Review et Publishers Weekly et Kick the Latch, (Cavaler seule). En 2021, elle a reçu le prix de littérature de l’Académie américaine des arts et des lettres. (Source: Fondation Jan Michalski)

Site internet de l’autrice (en anglais)
Compte Twitter de l’autrice
Compte Instagram de l’autrice

Mes livres sur Babelio.com


Focus Littérature

100 chroniques de livre

Challenge NetGalley France 2019

Challenge NetGalley France 2018

Badge Critiques à la Une

NetGalley Challenge 2016

Badge Lecteur professionnel

Tags
#cavalerseule #KathrynScnlan #editionslacroisee #hcdahlem #roman #RentréeLittéraire2023 #litteratureetrangere #litteratureamericaine #litteraturecontemporaine #NetGalleyFrance #RentreeLitteraire23 #rentreelitteraire #rentree2023 #RL2023 #lecture2023 #livre #lecture #books #blog #littérature #bloglitteraire #lecture #jaimelire #lecturedumoment #lire #bouquin #bouquiner #livresaddict #lectrice #lecteurs #livresque #lectureaddict #litterature #instalivre #livrestagram #unLivreunePage #writer #reading #bookoftheday #instabook #litterature #bookstagram #bookstagramfrance #lecturedumoment #bibliophile #avislecture #chroniqueenligne #chroniquelitteraire #jaimelire #lecturedumoment #book #bookobsessed #bookshelf #booklover #bookaddict #reading #bibliophile #bookstagrammer #bookblogger #readersofinstagram #bookcommunity #reader #bloglitteraire #aupouvoirdesmots #enlibrairie

Une réflexion sur “Cavaler seule

Laisser un commentaire