Le bonnet rouge

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En deux mots
De Genève où il participe aux prémices d’une révolution à Paris où il se retrouve en 1789, du côté des mercenaires suisses, Samuel va échapper à la mort et connaître le bagne. C’est alors que son destin va basculer.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Le fabuleux destin du bonnet de bagnard

Daniel de Roulet a voulu savoir qui était l’homme représenté sur la gravure héritée de son père. Ce qu’il a découvert fait l’objet de ce livre qui, au-delà d’une enquête d’historien, retrace l’épopée d’hommes du peuple épris de liberté à l’époque de la Révolution et à qui il redonne leur vraie place. Brillant!

Antoine et Samuel sont aux premières loges lorsqu’éclate un mouvement populaire au cœur de la vieille ville de Genève. Nous sommes le 7 avril 1782 et durant les jours qui suivent une première république démocratique voit le jour. Mais cette tentative affole les cours européennes et pas moins de trois armées vont faire le siège de la ville pour faire avorter ce gouvernement de la population par la population. Piémontais, Français et Bernois réussiront à faire capituler les compatriotes de Rousseau. Mais la graine a germé.
Après une étape à Rolle où il a trouvé refuge, Samuel trouve un emploi aux carrières de Meillerie. C’est aussi là qu’il découvrira l’amour et la jalousie. À nouveau, il va devoir fuir après une violente altercation avec son rival, le fils de l’exploitant. Laissant sa Virginie enceinte, il s’enrôle dans une troupe de mercenaires, les Châteauvieux, et part pour Paris défendre le Roi de France.
Nous sommes alors en 1789 et voilà Samuel au cœur d’un dilemme dont l’histoire fait l’ironie. Payé pour tirer sur ceux qui, comme lui, défendent la démocratie contre l’absolutisme royal, il va choisir avec son régiment de ne pas combattre les révolutionnaires et part en province vers Meaux puis Reims avant de regagner son cantonnement à Nancy. Et c’est en Lorraine qu’avec ses collègues il se rebelle.
Arrêté, il échappe de peu à la peine capitale, mais pas au bagne. Avec sur la tête le bonnet rouge distinctif de ceux qui ne sont pas condamnés à perpétuité, il parvient à chasser sa mélancolie des premiers jours grâce à la lecture de La Nouvelle Héloïse – Étonnant à quel point une feuille de papier écrite remonte le moral d’un bagnard – et aux nouvelles de l’Assemblée nationale où on prend leur défense. Bientôt leur destin va basculer…
Daniel de Roulet a choisi la prose coupée, un peu comme des vers libres, pour raconter cette épopée. Un choix qui donne à ce texte une belle rythmique, un peu comme un chant à la gloire de ces hommes épris de liberté. Ce faisant, il vient aussi illustrer sa jolie formule «la Révolution met tout sens dessus dessous, y compris les mots.»
Des mots choisis pour dire une histoire oubliée ou pour la réécrire à hauteur d’homme. Car, comme il le rappelle dans son précédent livre, Portraits clandestins, dans lequel il rend hommage aux auteurs qui l’ont accompagné dans sa vie d’écrivain, son œuvre est née «en Suisse, d’un gosse privilégié par rapport à d’autres auteurs qui naissent sur un autre continent avec une guerre aux frontières. On est déterminé, et les sujets qu’on aborde sont marqués par le contexte dans lequel on écrit.» À près de 80 ans, on imagine que le sang du Genevois n’a fait qu’un tour quand il a découvert combien l’histoire était manipulée, combien la version des puissants était privilégiée. Alors, il a voyagé, fouillé les archives et redonné à cette poignée d’hommes leur vraie place.
Un petit livre, mais ô combien nécessaire en ces temps troublés où la vérité est plus que jamais remise en question et où il est si facile de créer des fake news.

Le bonnet rouge
Daniel de Roulet
Éditions Héros Limite
Roman
176 p., 18 €
EAN 9782889550807
Paru le 18/08/2023

Où?
Le roman est situé en Suisse, à Genève, Rolle et Meillerie ainsi qu’en France, à Paris, Meaux, Reims, Nancy et Brest.

Quand?
L’action se déroule de 1782 à 1793, si l’on excepte le chapitre final de 2014.

Ce qu’en dit l’éditeur
Depuis 1792, le bonnet rouge est le symbole de la République française. Il rappelle celui, phrygien, des esclaves romains affranchis. Les sans-culottes ont forcé Louis XVI à le porter, Napoléon l’a interdit, la Troisième République en a coiffé Marianne, la Poste l’a collé sur un timbre. Mais en 1792, que se passe-t-il pour rendre si populaire ce symbole de liberté ?
L’histoire du bonnet rouge est liée aux mercenaires suisses chargés, dès le début de la Révolution, de défendre la royauté et les lieux de pouvoir comme la Bastille et les Tuileries. Mais parmi ces soldats, certains se révoltent, alors qu’ils sont casernés à Nancy, et prennent en otage leurs officiers. Pour cela ils seront massacrés, condamnés au gibet, à la roue ou aux galères. Quand les Suisses rebelles, enfermés au bagne de Brest, sont par la suite graciés par l’Assemblée nationale, ils deviendront des héros populaires, porteurs du message révolutionnaire et du fameux bonnet rouge.
Deux millions de mercenaires suisses ont été au service des rois et princes de l’Europe. Daniel de Roulet nous raconte la souffrance, les amours et l’héroïsme de huit d’entre eux, pris dans la tourmente révolutionnaire et qui donnent à ce texte sa matière romanesque.
Écrit en prose coupée, Le bonnet rouge s’appuie sur des sources historiques ainsi que sur une documentation familiale de l’auteur.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
RTS (Ellen Ichters)
RFI (Isabelle Le Gonidec)
Blog La Viduité
Blog de Pierre Ahnne

Les premières pages du livre
(1782)
LA RÉVOLUTION CENEVOISE

Depuis quatre printemps,
le citoyen genevois Jean-Jacques Rousseau est mort
et La nouvelle constitution de sa ville
tarde à être approuvée.
Les gens des bas quartiers,
natifs et bourgeois,
n’entendent plus être soumis
Le roi Louis XVI, inquiet d’une démocratie
aux portes de son royaume, appelle
les Genevois «les Enragés».
Plus d’une fois, ils se sont fait voler leur révolution
par l’intervention de la France.
«Mais ce coup-ci, répète Antoine Bouchaye à son fils,
ils ne nous auront pas si facilement.»

Dans la soirée du 7 avril 1782,
Antoine et son fils Samuel
se trouvent en ville quand un mouvement
populaire et violent
s’en prend à la garnison.
Les soldats n’hésitent pas
à décharger leurs mousquets sur La foule,
laissant dans la rue des morts et des blessés,
Une vieille en train de fermer ses volets
est atteinte par un mauvais tir.
C’en est trop, chassons-les!

Le père et son fils de onze ans,
tout excités,
vont voir les patriciens pris en otage
hôtel des Balances, place Bel-Air.
Ils entendent dire que d’autres privilégiés
sont allés se réfugier dans leurs maisons de campagne.
Le Résident de France aurait fait ses bagages
sans demander son reste.

Le lendemain, une assemblée populaire vote
la nouvelle constitution.
Samuel n’a jamais vu son père si heureux.
Il faut dire que leur vie n’a pas été gaie.

Né à Genève au printemps 1771,
Samuel survit tout juste à sa mère.
Pendant ses trois premières années,
une nourrice lui apprend
à marcher, à manger sans baver,
à dire merci et sourire au monde,

Quand son père vient le reprendre,
il lui montre, dans le jardin d’une église,
la pierre sous laquelle repose sa mère.
«Maintenant tu es assez grand pour comprendre,
elle est morte en te mettant au monde.»
Le père emmène son fils
dans le quartier populaire de la rive droite du Rhône
où il a trouvé du travail.

Samuel grandit entre un établi d’horloger sous les toits
et des enfants de son âge qui apprennent
à compter, à écrire, grâce à un vieil homme
dont les yeux sont trop mauvais
pour manier les brucelles.

À haute voix pour tout l’atelier, Samuel lit
un livre mille fois écorné,
qui provoque chez son père
de temps en temps une larme.

Avec la révolution et le printemps,
la mélancolie du père s’en va.
Chaque soir il participe aux assemblées du quartier,
explique à son fils les principes qui permettent
aux hommes de vivre égaux dans la cité.

Pendant quatre-vingt-quatre jours,
les citoyens organisent une nouvelle république
démocratique et libre
sans la moindre violence.
L’Europe entière en parle.
C’est le début d’une formidable espérance.
La révolution est donc possible.
Les aristocrates de France, d’Autriche et de Sardaigne
se sentent menacés.
Qu’adviendra-t-il de leur particule?

Les patriciens qui ont fui Genève
vont se plaindre à Versailles, à Berne
et même aux pires ennemis de la République,
les Savoyards.
Aux puissants de tout le continent
ils expliquent que la fermentation
des idées de ce Rousseau
va finir par emporter
toute la belle hiérarchie
voulue par les rois et par Dieu.
«La contamination révolutionnaire, voilà le danger.»
À ces mots, Versailles Berne et Turin
dépêchent plusieurs milliers de soldats
chargés de rétablir l’ordre des banques et des affaires.
«Mais ce coup-ci, répète Antoine Bouchaye à son fils,
ils ne nous auront pas si facilement.»

Autour de la ville rebelle,
les troupes de la contre-révolution s’amassent.
Français, Suisses et Sardes
vont donner l’assaut au bastion de la liberté.
Trois armées contre Genève,
douze mille hommes contre
quelques centaines de Genevois mal équipés.
Dans les troupes françaises
se trouve le bataillon du marquis de La Fayette.
Il a soutenu la liberté
des colonies anglaises d’Amérique,
mais veut anéantir celle des Genevois.
Dans les régiments suisses,
quelques dizaines de déserteurs
se portent au secours des assiégés.

Le temple de Genève est aménagé en hôpital,
l’Académie, en corps de garde,
la cathédrale, en dépôt de poudre.
Le blé est distribué de manière équitable.
La ville entière se prépare à repousser l’envahisseur.
Réfugiés à l’extérieur des murs, les patriciens
indiquent aux assiégeants le chemin à emprunter
pour ne pas endommager leurs domaines.

Chaque soir, Samuel et son père vont sur les remparts
voir les soldats du roi de France creuser des tranchées
pour s’approcher de leur ville et l’encercler.
Samuel s’étonne qu’on les laisse faire
quand ils se trouvent à portée de canon.
«Parce que, le père dit, ils finiront
par se ranger à nos idées de liberté.»

Les jours passent,
le dispositif militaire ennemi étrangle Genève.
Quelques bourgeois trouvent que
le bon peuple va trop loin.
De nuit, par le lac, ils s’enfuient.
Ceux qui restent se préparent
à mourir pour leurs idées.
La première révolution démocratique d’Europe
va être écrasée dans le sang.

Dans son atelier transformé en dépôt de munitions,
Antoine Bouchaye lit à ses camarades une lettre
que leur compatriote Rousseau
écrivait quatorze ans plus tôt à un ami:

«Vous êtes prêts à vous ensevelir sous les ruines
de la patrie […] il vous reste un dernier parti à prendre
[…] c’est d’en sortir tous ensemble en plein jour, vos
femmes et vos enfants au milieu de vous.»

Extraits
« Depuis son arrivée au bagne,
Samuel
qui se laissait volontiers aller à la mélancolie,
change beaucoup:
souvent plein d’entrain, apprécié de tous.
Il dit que c’est depuis qu’il a reçu
l’exemplaire de La Nouvelle Héloïse
que lui avait confié André.
Puisqu’il ne peut l’emporter à l’arsenal,
il en apprend par cœur chaque jour une page, et la récite aux autres
avec des éclairs dans les yeux.
Étonnant à quel point
une feuille de papier écrite remonte
le moral d’un bagnard. » p. 96

« Jacques, Samuel et Gédéon
se retrouvent souvent.
Les gens du quartier où ils habitent
près de la barrière du Trône les appellent
les trois Vieux Châteaux,
parce que la Révolution met tout sens dessus dessous,
y compris les mots. » p. 120

À propos de l’auteur
ROULET_Daniel_de_DR_RTSDaniel de Roulet © Photo DR

Né en 1944 à Genève, Daniel de Roulet a grandi à Saint-Imier, commune du Jura bernois, en Suisse. A partir de 1997, après des études en architecture à l’École polytechnique fédérale de Lausanne et des années à travailler en temps qu’informaticien, il se consacre entièrement à l’écriture. Il a écrit plus de trente livres, des romans autant que des essais critiques ou des récits de voyage. Il a composé un cycle de dix romans ayant pour toile de fond la question du nucléaire, d’Hiroshima à Fukushima. Plusieurs de ses ouvrages sont par ailleurs consacrés à ses expériences de marche ou de course à pied, celles-ci étant à la fois les pendants de l’écriture («courir, écrire, c’est les même élan», dit-il), des façons de s’introspecter, et des occasions d’observer le monde d’un point de vue singulier. Daniel de Roulet a, d’après Élisée Reclus, forgé le concept de «mondialité», contrepoint positif de la «mondialisation», auquel il a notamment consacré un ouvrage: Écrire la mondialité (2013). Il s’est également intéressé, dans Dix petites anarchistes (2018), à la tentative de dix femmes qui, à la fin du 19e siècle, quittèrent leur Saint-Imier natal pour fonder une communauté anarchiste en Patagonie. (Source: Éditions Héros-Limite)

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