D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds

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D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds
Jón Kalman Stefánsson
Gallimard
Roman
Traduit de l’islandais par Éric Boury
448 p., 22,50 €
ISBN: 9782070145959
Paru en août 2015

Où?
Le roman se déroule en Islande, principalement à Keflavík, mais également à Reykjavik et tout au long de villages aux noms imprononçables. Un séjour à Copenhague est aussi évoqué.

Quand?
L’action se situe d’une part de nos jours avec des retours en arrière en 1980 et l’évocation d’épisodes plus anciens.

Ce qu’en dit l’éditeur
«Elle est plus belle que tout ce qu’il a pu voir et rêver jusque-là, à cet instant, il ne se souvient de rien qui puisse soutenir la comparaison, sans doute devrait-il couper court à tout ça, faire preuve d’un peu de courage et de virilité, pourtant il ne fait rien, comme s’il se débattait avec un ennemi plus grand que lui, plus fort aussi, c’est insupportable, il serre à nouveau les poings, récitant inconsciemment son poème d’amour. Elle s’en rend compte et lui dit, si je dénoue mes cheveux, alors tu sauras que je suis nue sous ma robe, alors tu sauras que je t’aime.»
Ari regarde le diplôme d’honneur décerné à son grand-père, le célèbre capitaine et armateur Oddur, alors que son avion entame sa descente vers l’aéroport de Keflavík. Son père lui a fait parvenir un colis plein de souvenirs qui le poussent à quitter sa maison d’édition danoise pour rentrer en Islande. Mais s’il ne le sait pas encore, c’est vers sa mémoire qu’Ari se dirige, la mémoire de ses grands-parents et de leur vie de pêcheurs du Norðfjörður, de son enfance à Keflavík, dans cette ville «qui n’existe pas», et vers le souvenir de sa mère décédée.
Jón Kalman Stefánsson entremêle trois époques et trois générations qui condensent un siècle d’histoire islandaise. Lorsque Ari atterrit, il foule la terre de ses ancêtres mais aussi de ses propres enfants, une terre que Stefánsson peuple de personnages merveilleux, de figures marquées par le sel marin autant que par la lyre. Ari l’ancien poète bien sûr, mais aussi sa grand-mère Margrét, que certains déclareront démente au moment où d’autres céderont devant ses cheveux dénoués. Et c’est précisément à ce croisement de la folie et de l’érotisme que la plume de Jón Kalman Stefánsson nous saisit, avec simplicité, de toute sa beauté.

Ce que j’en pense
***
Y a-t-il une manière islandaise de raconter les histoires ? Sans certitude sur ce point, je crois pouvoir affirmer qu’il y a une manière Stefánssonienne. On pourra la résumer à une sorte d’introspection poétique. L’auteur ne se contente pas de raconter, de retracer des faits, mais questionne régulièrement ce qu’il affirme, ajoutant à ses réflexions une note philosophique. Il pourra aussi dérouter le lecteur avec quelques belles évidences, à commencer par le titre de ce beau et rude roman.
Son personnage principal s’appelle Ari. On va le retrouver à plusieurs époques. Au moment où commence le livre, il roule vers Keflavík. Un retour aux sources pour cet homme qui a grandi dans cette ville improbable qu’il a choisi de quitter pour être éditeur au Danemark.
Car la vie dans ce coin hostile d’Islande ne s’est développée qu’à partir de 1898, quand un scientifique a eu l’idée de publier un rapport indiquant que les fjords et la baie étaient propices à la pêche «et par conséquent toute l’histoire d’Ari fait suite à la parution de ces quelques lignes écrites par le naturaliste Bjarni et publiées dans la revue Andvari. La vie naît par les mots et la mort habite le silence. C’est pourquoi il nous faut continuer d’écrire, de conter, de marmonner des vers de poésie et des jurons, ainsi nous maintiendrons la faucheuse à distance, quelques instants.»
Ari va par conséquent s’attacher à cette mission, écrire et conter et transmettre, mais à partir du Danemark où il devient éditeur.
Quand il retrouve son ami, c’est non seulement un rendez-vous avec son enfance et son adolescence, quand il voulait être pêcheur, qui lui revient en mémoire. Toute l’histoire familiale ressurgit. On va le suivre au moment où, adolescent, il choisit d’être pêcheur. Un destin qui semble tout tracé, car le poisson est quasiment la seule activité économique.
Puis, on le retrouve sur les pas de sa famille, depuis le grand-père Oddur qui incarne au mieux la définition de ces conditions de vie dantesques : «Keflavík a trois points cardinaux : le vent, la mer et l’éternité.»
Trois points cardinaux que l’auteur creuse davantage encore avec l’évocation de ses parents et notamment de sa mère décédée. Une mort qui va entraîner les soubresauts de sa propre existence.
Au fil des récits, on est littéralement pris dans cette narration comme dans un filet de pêche. On sent la vie, on envisage même le grand large, mais on finit toujours par rester emprisonné. À l’image de ces sentiments qui n’arrivent pas à être exprimés «Oddur serre les poings, c’est sa manière à lui de déclarer sa flamme, elle le sait, c’est ainsi que se tisse le chant d’amour qu’il lui destine.»
La manière Stefánssonienne de raconter des histoires est aussi là. Dans ce souci de ne jamais oublier la poésie, notamment et surtout face à l’hostilité du climat, à la rudesse des marins-pêcheurs, aux drames qui rongent les existences. C’est violent et c’est beau. C’est islandais et c’est universel.

Autres critiques
Babelio
Le JDD (Alexandre Fillon)
L’Express (Baptiste Liger)
Blog D’une berge à l’autre
Blog Baz’Art
Le blog des livres qui rêvent
Blog Ma tasse de thé

Extrait
« Le vent insistant semblait provenir de deux directions en même temps, les bourrasques salées, chargées de poussière et d’embruns, nous frappaient tour à tour, le ciel était si loin que nos prières ne l’atteignaient jamais et s’arrêtaient à mi-chemin avant de retomber comme des oiseaux défunts ou changées en grêle, et l’eau potable avait un goût de sel, comme si nous buvions la mer. Ce lieu est inhabitable, tout s’y oppose, la raison, le vent et la lave. Pourtant, nous y avons vécu toutes ces années durant, tous ces siècles, aussi entêtés que cette pierre ponce, muets au sein de l’histoire comme la mousse qui la colonise et la réduit en poussière, nous mériterions qu’on nous naturalise, qu’on nous décerne une médaille et qu’on écrive un livre qui parlerait de nous. »

A propos de l’auteur
Né à Reykjavik en 1963, Jón Kalman Stefánsson achève ses études au collège en 1982 puis travaille dans les secteurs de la pêche et de la maçonnerie jusqu’en 1986. Il entame jusqu’en 1991, sans les terminer, des études de littérature à l’université. Il donne des cours dans différentes écoles et rédige des articles pour un journal, à Copenhague. Il rentre en Islande et , jusqu’en 2000, il s’occupe de la Bibliothèque municipale de Mosfellsbaer. Depuis, il se consacre à l’écriture de contes et de romans. (Source : Babelio)

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2 réflexions sur “D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds

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