C’était ton vœu

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En deux mots
Quand son grand-père Hyppolyte décède, 44 ans après son retour de Dachau, sa petite-fille se plonge dans ses souvenirs. C’est en vers libres qu’elle exauce son souhait de rendre compte de son expérience de déporté.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

«Je veux que l’on sache ce que nous avons vécu dans les bagnes nazis »

À la mort de son grand-père, Céline Didier retrouve un cahier de souvenirs. C’est en vers libres qu’elle exauce le souhait de ce résistant et déporté de raconter son expérience, de dire l’indicible.

Il faut l’écrire cette histoire, l’histoire de Simone et Polyte, l’histoire des résistants, l’histoire aussi du con qui a envoyé le grand-père en camp de concentration. Même si on s’en fout un peu de sa vie de con.
Oui, il faut l’écrire car Hippolyte vient de mourir, 44 ans après être revenu de Dachau. De lui, il reste la figure du grand-père qui décide à 18 ans de s’engager et qui part pour le Maroc. De lui, il reste ce ruban rouge de la légion d’honneur «qui faisait joli». De lui, il reste un cahier avec un minaret sur la couverture où sont couchés les souvenirs, avec ces mots: «personnel et privé».
Voilà donc la petite-fille de résistants explorant cette autobiographie succincte, égrenant les dates et la vie de cet homme engagé. Jusqu’à ce retour en France, jusqu’à cet été 1944 et ces quelques mots entourés de deux dates:
«29 juin
Branle-bas de combat dans la prison Évacuation très rapide des prisonniers
avec leurs baluchons
direction la sortie.
«Minute inoubliable !
Devant le portail
des SS
Oui des boches.
Nous étions 800 et quelques résistants français
livrés à l’ennemi
par la police
soi-disant française »
Chargés dans des cars
direction Perrache
Entassés dans un train
direction l’Allemagne
2 juillet
Arrivée du convoi dans le camp de Dachau.»
Si le carnet n’en dit pas plus, il reste des notes, des brouillons pour dire les horreurs endurées, l’indicible. Et, après le choc de ces lignes insoutenables, la volonté de répondre à l’appel de son grand-père, de témoigner, de ne pas laisser son histoire sombrer dans l’oubli. De suivre le souhait émis dans la préface de ce récit sobrement intitulé Souvenirs:
«Je veux que, plus tard, les descendants de ma famille sachent quelle lutte continue et sournoise nous avons menée pour libérer notre beau pays. Je veux surtout que l’on sache la vie terrible que nous avons vécue dans les bagnes nazis».
Est-ce un hasard si Céline Didier s’est installée dans la Bretagne de Joseph Ponthus pour se lancer dans l’écriture de ce livre? Toujours est-il qu’elle s’est rapprochée du style de l’auteur des Carnets d’usine pour remplir son devoir de mémoire. Les vers libres donnent tout à la fois une dimension poétique et une fluidité de lecture à ces pages dont Hippolyte serait sans doute fier. Et c’est sans doute le plus beau compliment à faire à l’écrivaine.

C’était ton vœu
Céline Didier
Éditions Lunatique
Premier roman
166 p., 18 €
EAN 9782383980285
Paru le 01/12/2022

Où?
Le roman est situé principalement en France, à Corgenon, un quartier de Buellas, Ceyzériat, Paris, Reims, le Cher et le Loiret, à Lyon et Bourg-en-Bresse, au Maroc notamment à Casablanca et dans l’Atlas et en Allemagne, à Dachau et Kempten ainsi qu’en Bavière.

Quand?
L’action se déroule de 1920 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Quarante-quatre ans après Dachau décède le grand-père de Céline Didier, Hippolyte. Elle a alors 12 1/2 ans. Elle en a 44 quand elle prend la plume et se plonge dans les souvenirs de résistant et de déporté d’Hippolyte. Ses souvenirs, il ne les a pas racontés, il les avait précieusement consignés dans un petit cahier qu’il a tenu secret et que Céline Didier découvre longtemps après. Vient alors le moment où elle est poussée par l’envie et la nécessité de remplir le devoir de mémoire que ses mots implorent. Et elle exauce son vœu à sa façon : introspective, intime et poétique.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Remue.net (Jacques Josse)
Ouest-France (Pierre Wadoux)
Blog Joellebooks
Blog Un livre après l’autre

Les premières pages du livre
« Et si on l’écrivait cette histoire
Et si on l’écrivait cette histoire
cette histoire tant de fois racontée
tant de fois évoquée
par bribes
Des bribes d’histoire
des bouts
des séquences
des anecdotes
Tellement par bribes
qu’on a du mal à l’écrire cette histoire
à la raconter d’une traite
entière
On n’est plus sûrs
on hésite
on ne sait plus dans quel sens cela s’est passé
on ne sait plus par quel bout la prendre
pour la restituer
au plus juste

On ne sait plus
ce qui est de l’ordre de la réalité
de l’imagination
On se demande si on ne mélange pas tout
il y a des incohérences dans notre récit
ce récit qu’on avait pourtant l’impression de maîtriser
Et si on l’écrivait cette histoire?!
Et si on remettait tout à plat
pour retrouver le sens de cette histoire
pour retranscrire la vraie histoire
celle qui s’est vraiment passée
celle qu’on n’a pas envie d’oublier
celle qui nous rend si fiers
d’appartenir à cette lignée
une lignée de résistants
d’hommes et de femmes
qui n’acceptent pas tout
qui n’ont pas envie d’accepter l’inacceptable
qui savent que ce qui est train de se passer est injuste
C’est insupportable l’injustice
Non ils n’accepteront pas
Ont-ils conscience à ce moment-là
qu’ils risquent leur vie?
Qui sait

Ce qui est sûr
c’est qu’ils y vont!
Là où leur conscience les mène
là où ils savent que c’est juste
Et ils n’hésitent pas
Ils y vont!
Advienne que pourra!
Qu’aurait-on fait à leur place?
Je me suis souvent posé cette question
moi qui ne supporte pas l’injustice
Ce n’est pas une coquetterie de ma part
de ne pas «supporter» l’injustice
comme quelqu’un qui ne «supporterait» pas le lin
et qui préférerait le coton
Non c’est viscéral
je ne supporte pas l’injustice, les injustices
ça me met hors de moi
ça me met la larme à l’œil, comme on dit
Une sacrée larme à l’œil!
C’est plutôt comme des sanglots qu’on garde en nous
on n’en fait jaillir qu’une larme
car on n’assume pas d’avoir envie de chialer
Chialer, oui, littéralement
à pleines larmes

tellement on est dégoûtés, écœurés, tristes
d’observer de telles injustices dans la vie
la vie de tous les jours
Mais on veut faire bonne figure
alors on n’autorise qu’une seule larme
à pointer le bout de son nez au coin de l’œil
comme pour réprimer notre hyperémotivité
car on se sent cons d’avoir envie de pleurer
en plein petit déjeuner
juste en entendant un «fait divers» à la radio
alors qu’on ne connaît pas la personne
qu’on n’est pas directement concernés
mais c’est plus fort que nous, les hypersensibles
ça y est on est pris aux tripes
on vit cette injustice de tout notre être
et c’est impossible, impensable
on a envie de pleurer, de se révolter
Mais on est là devant un bol de thé
et la situation ne s’y prête pas
là, à ce moment-là, on sait qu’on ne peut rien faire
on est impuissants
on ne va pas changer le cours des choses
on ne va pas changer le monde
en mangeant nos tartines
Alors on laisse juste venir cette petite larme

au coin de l’œil
comme si on s’autorisait quand même
à exprimer quelque chose
à montrer qu’on n’est pas d’accord
que c’est injuste
que la vie est parfois dure
un peu trop dure
et souvent avec les mêmes
ceux qui ne le méritent pas
Hippolyte et Simone
je ne sais pas s’ils ont eu la larme à l’œil
en voyant ce qui se passait dans leur pays
dans leurs villages
durant cette guerre
mais ce qui est sûr
c’est qu’ils n’ont pas accepté les bras ballants
cette situation
Ils y sont allés !
Où?
Là où ils savaient que c’était plus juste
pour eux
pour la société
pour nous
les suivants

les descendants
Ils étaient encore jeunes
mais je suis sûre qu’au fond
ils pensaient déjà à nous
nous, les suivants
nous à qui ils ne pouvaient pas léguer
une telle société
dans laquelle il aurait été impossible de vivre
Alors ils y sont allés !
Défendre leurs idéaux
combattre les absurdités de cette guerre
même si c’était au risque de leur vie
mais le savaient-ils seulement
Bien sûr ils le savaient
que ce n’était pas un jeu
qu’ils la risquaient leur vie
et pourtant il était impossible pour eux
impossible de ne rien faire
impossible de ne pas bouger
impossible de ne pas s’engager
impossible de ne pas lutter
impossible de laisser faire
sans réagir
sans se rebeller

se rebeller, étrange ce mot
comme si défendre une vie juste
c’était être rebelle…
Ils y sont allés !
Là où ils savaient qu’ils agiraient pour la bonne cause
là où c’était une évidence
là où Polyte se fera courser
Il a pourtant couru à toute vitesse, paraît-il
pour les semer
pour ne pas se faire attraper
pour ne pas se faire choper
pour ne pas se faire avoir
pour ne pas se faire piéger
pour les mater
et pourtant ils l’ont bien rattrapé
Dénoncé il a été
par un de ceux qui aurait pu choisir
de combattre à ses côtés
Cela aurait pourtant été logique
un gars du coin
ça se bat avec les autres gars du coin!
Qu’est-ce qu’il est allé faire avec l’ennemi celui-là?
Qu’est-ce qui pousse quelqu’un
à choisir le mauvais camp?

Le camp du méchant!
Qu’avait-il à y gagner ce gars du coin?
Ce gars qui connaissait mon grand-père
et qui l’a pourtant trahi
Pourquoi, pour quoi?
Va savoir ce qui fait prendre de telles décisions à ces
cons
ces cons qui font du mal par un simple geste
un geste tout bête
Par un acte d’aucune bravoure
ce con
il a envoyé mon grand-père aux camps !
Et là on ne parle pas de choisir son camp
du camp des gentils
ou du camp des méchants
non les camps dont on parle
ceux où il a envoyé mon grand-père
par seulement quelques mots
les mots de la dénonciation
ceux qui ne demandent pas beaucoup d’effort
il suffit juste de donner une information
à quelqu’un qui saura quoi en faire
par ces quelques mots
donnés au camp des méchants
ce con a envoyé mon grand-père aux camps !

Les camps de concentration!
Je crois bien que ce con
— je n’arrive pas l’appeler autrement
con c’est basique
ça ne me demande pas trop d’effort
à moi non plus
là, maintenant
de l’appeler comme ça
c’est court, c’est efficace
et je crois que ça le résume bien
con
tout simplement —
Eh bien je crois bien me rappeler
qu’il a bien payé sa connerie
ce con
car si j’ai bien tout compris
mais c’est un peu confus
comme si je n’arrivais jamais à me rappeler exactement
ce qu’il lui était arrivé à ce con
peut-être tout simplement
parce qu’en fait sa vie ne m’intéresse pas
il n’en vaut pas la peine
N’empêche que je crois bien que ledit con
s’est fait avoir et qu’il a mal fini
C’est con

Alors, on l’écrit cette histoire?!
Elle en vaut la peine
je le sais
on le sait tous
il faut qu’on la mette noir sur blanc
cette histoire
pour qu’elle ne s’efface pas
qu’on ne l’oublie pas
On leur doit bien ça
à Simone et Polyte
à tous les résistants
qui ont risqué leur vie
pour leurs idéaux
leurs valeurs
leurs principes
pour une vie meilleure
pour nous
nous, les suivants, les descendants
Alors, on l’écrit cette histoire?! »

Extrait
« Je veux que, plus tard, les descendants de ma famille sachent quelle lutte continue et sournoise nous avons menée pour libérer notre beau pays. Je veux surtout que l’on sache la vie terrible que nous avons vécue dans les bagnes nazis » p. 108

À propos de l’auteur
DIDIER_Celine_DRCéline Didier © Photo DR

Céline Didier est née en 1976 à Bourg-en-Bresse, dans l’Ain. Vit actuellement à Lorient. C’est en Bretagne que Céline Didier a posé ses valises en 2012. Elle n’en est pas repartie. Elle ne se lasse pas de cette région pour laquelle elle a eu immédiatement un coup de cœur, faisant même passer la capitale des Gaules en deuxième position. Lyon, elle y était arrivée pour étudier l’histoire et y était restée une quinzaine d’années. Son métier dans les domaines de la culture et de la communication (action culturelle autour du livre et de l’écrit, archéologie préventive, art contemporain…) et sa vie personnelle l’ont ensuite amenée à parcourir d’autres contrées, plus ou moins éloignées… de la Méditerranée au Morbihan. L’écriture fait partie de son quotidien professionnel depuis longtemps. Elle a d’ailleurs également corédigé des ouvrages thématiques sur les politiques culturelles. Mais c’est un autre type d’écriture plus personnelle, sans contraintes, sans éléments de langage, qu’elle a eu envie d’explorer. Elle se donne alors toute liberté de ton, de style, pour aborder une histoire très personnelle qui résonne aussi de façon universelle. Par une écriture intime et directe, elle plonge dans l’histoire de son grand-père en mettant au jour les traces qu’il en reste – souvenirs et écrits –, tente de comprendre les silences, questionne l’engagement, la filiation, la transmission et la vie… après la déportation. Cela donne naissance à son premier livre intitulé C’était ton vœu et publié aux éditions Lunatique. Un extrait de C’était ton vœu a été publié dans le n°9 de la revue Rumeurs (La Rumeur libre éditions) à l’automne 2021. (Source: Éditions Lunatique)

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