Aux Amours

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En deux mots
Une femme blonde sous une capeline. Était-ce une illusion ou une vraie personne ? toujours est-il qu’elle fait naître une passion inextinguible puisque le narrateur va prendre la plume pour lui écrire une lettre en une phrase qui va courir sur une centaine de pages.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Esméralda, Béatrice, Pénélope, Shéhérazade…

En une phrase qui court sur cent pages, Loïc Demey raconte la quête d’un homme pour la femme dont il est épris, la cherche et la rêve. Un premier roman à la fois original et exigeant.

Peut-être avez-vous noté la frilosité des éditeurs à qualifier les ouvrages qu’ils publient. Désormais, on laisse au lecteur le soin de découvrir ce qu’est un roman, un poème en prose, un récit. Cette entrée en matière pour souligner combien Loïc Demey fait preuve d’originalité. Après trois recueils de poésie, il nous offre un premier roman sous forme de longue phrase, de lettre à l’être aimée.
Une quête qui commence par ces trois mots «Où êtes-vous» et va se boucler 100 pages plus loin avec cette même interrogation «où êtes-vous lorsque je patiente aux amours». Constat d’échec à retrouver la femme qui a suscité tant de passion, tant de désir, tant d’envie? Oui et non, car si la belle et sensuelle Lise lui échappe encore, l’auteur aura pu poser sur le papier ce chant d’amour, dire la palette de sensations qu’il éprouve, recherché dans sa mémoire tous les petits détails qui racontent leur rencontre, des couleurs du papier peint à la température qu’il faisait et de sa façon de se vêtir au paysage traversé.
Certes, il faut se laisser happer par ce texte qui devrait dérouter plus d’un lecteur, mais si l’on plonge, alors l’exercice est aussi vivifiant qu’une traversée en apnée. Un exercice qui nous offre aussi de suivre les circonvolutions d’un cerveau qui, pour ne penser qu’à une seule chose, voit cependant affluer de nombreuses images, rêves, envies. Oui, Lise est une fête, oui, Lise est un fantasme, oui, Lise est le creuset de l’imagination de cet amoureux transi.
Un amoureux qui pourrait bien être le héros malheureux d’un opéra, d’un drame transposé en Italie ou il répondrait au nom de Sfortunato, et après avoir vidé deux bouteilles de vin, n’hésiterait pas à «échanger son âme contre un morceau de son ombre» pour enfin pouvoir approcher sa dulcinée, la jeune femme blonde à la robe en coquelicots, et alors se voir incapable de prononcer un mot. Un malheur qui va alors le plonger dans le désespoir. Jusqu’à ce que l’imagination ne reprenne le pouvoir.
Car on peut aussi lire cette phrase comme un hommage à l’art qui permet de transcender la douleur, à la littérature qui ouvre la route des possibles. Si Lise est insaisissable, alors elle peut aussi devenir une autre héroïne, Esméralda, Béatrice, Pénélope, Shéhérazade…
«Du plus loin que vous êtes je crois à votre venue, j’inventorie chaque signe mouvant du panorama, je veux dire les lieux prétendus de mon corps que vous habitez, l’endroit de ma pensée où vous résidez, j’espère ainsi qu’on espère sous le ciel dont les étoiles déjà ont succombé au temps, déjà se sont endormies lorsque leur brillance nous atteint, nous affecte et nous console de n’être que des grains façonnant un rocher sublime».

Aux amours
Loïc Demey
Éditions Buchet-Chastel
Roman
112 p., 12 €
EAN 9782283034613
Paru le 11/03/2021

Ce qu’en dit l’éditeur
… demain vos paroles, votre visage et votre silhouette se seront effacés alors je vous inventerai encore, je vous chercherai encore, je vous attendrai ailleurs et nous nous retrouverons comme si jamais nous ne nous étions quittés, vous serez une autre déambulant dans une nouvelle histoire, la même mais au cœur d’une scène différente que je façonne, inlassablement, jusqu’à ce que vous consentiez à m’apparaître…
Un homme attend une femme qui ne vient pas. Il va à sa rencontre en empruntant le chemin des rêveries.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
La cause littéraire (Philippe Leuckx)
Blog Le petit poucet des mots
Le blog du petit carré jaune
Blog Le triangle masqué


Lecture par l’auteur de Aux Amours, rencontre animée par Camille Thomine © Production Maison de la Poésie

Les premières pages du livre
« Où êtes-vous, je veux dire à quel endroit, dans quelle ville, vers quelle maison de quel quartier de cette ville, je veux dire le nom du passage, de la placette, de la rue que regardent vos fenêtres, chemin du Désert, avenue Louise-Labé, allée de la Muette, je veux dire le numéro bis ou ter de cette habitation, les coordonnées géographiques, la longitude précise et la juste latitude, l’altitude circonstanciée, la température moyenne en été, la proximité ou non de l’océan, la compagnie éventuelle des montagnes, d’un ruisseau masqué sous une natte de roseaux à massette, l’horizon chatoyant des champs de colza, d’une roseraie buissonneuse, d’un gisement de jacinthes sauvages, je veux dire les pigments de la façade et des contrevents, le vernis craquelé de la porte d’entrée, le toit en tuiles ou paré d’ardoises, un petit jardin à l’arrière ocellé de bosquets de pivoines rouges, une terrasse couverte de caillebotis, l’ombre d’un acacia et sans doute n’y suis-je pas du tout, je me perds en erreurs parce que vous vivez dans un immeuble de quelques étages, trois ou quatre sans ascenseur, vous louez un appartement prolongé d’un étroit balcon sur lequel vous avez installé une table, deux chaises en vis-à-vis et des pots de fleurs, des impatiens, des pétunias, des bacs où grandissent des herbes aromatiques, thym, estragon, basilic, je veux dire une maison ou un appartement, les paysages qui s’étendent autour et pas seulement, aussi la partie de ce logement où vous demeurez le plus souvent, votre chambre, la cuisine, la salle à manger, je veux dire le papier peint sans motifs ou la peinture laiteuse des murs, la lame de parquet qui grince au pied de l’escalier, la pose en chevron du carrelage, la décoration frugale, ce tableau révélant en peu de traits les courbes d’une jeune femme, les luminaires en métal ajouré, les ampoules qui accordent une lumière souple, tamisée, la commode en bois de noyer sur laquelle joue un vieux tourne-disque, la musique d’un compositeur islandais qui ravive vos souvenirs d’un ancien voyage, le miroir où je n’aperçois pas votre reflet et votre position dans cette pièce, assise dans un fauteuil bleu d’Anvers au dossier capitonné ou allongée sur le sofa en velours, peut-être debout derrière le voilage gris d’un rideau que vous repoussez en poursuivant du regard une automobile de la même teinte, quoique légèrement plus claire, qui s’esquive dans le virage serré que trace la route pour éviter l’étang, je veux dire l’endroit, la pièce, votre position comme le moment, l’heure du soir, de la nuit ou en cette fin d’après-midi quand vous décidez de me rejoindre, je veux dire vos lèvres en flopée de nuages, vos yeux orageux, le nez foudre, votre visage aux couleurs hâlées des lisières à l’instant du crépuscule, des pieds grêles sur des talons argentés, les cheveux noirs emmêlés de vent, votre blue-jean retroussé qui met à nu vos chevilles et les liserons qui s’enroulent autour, vos pas qui sinuent entre les flaques, sur les trottoirs rincés puisque le ciel se vide, débonde en monceaux de flotte et d’étincelles, se déverse dans les rues en tambourinant les têtes, les eaux remontent la terre et les graviers ocres des parkings, les caniveaux dégorgent, le dos de la rivière bientôt se cambrera, elle débordera, inondera les caves, les venelles et les courettes que traverse votre souffle brusque et court, ce tic ravissant qui éclot au coin de votre bouche si s’élève votre mécontentement, le regard froncé et l’air de m’en vouloir d’avoir insisté, maintenant, j’aimerais vous voir maintenant, tellement insisté et que vous marchiez à moi et que vous traversiez la ville sous l’averse, j’aurais pu attendre, nous avons déjà tant attendu, nous ne sommes plus à un déluge près, votre envie soudaine de filer qui surprend puis dépasse celle de m’embrasser, celle de réchauffer vos doigts au cœur battant de mon torse, ce demi-tour qui me laisse seul à côté de l’arbre au tronc creux sous lequel je n’ai pas osé me réfugier afin d’être aussi détrempé que vous qui n’arriverez pas jusqu’à moi, il est tard, trop tard, vous êtes repartie avant de me parvenir, les lignes de lampadaires tour à tour s’illuminent, les rares passants qui résistaient à l’appel du souper rentrent chez eux ou repoussent l’échéance, boivent un dernier verre dans l’un des bars aux néons orange et grésillants qui encerclent la grand-place, un dernier verre au bout d’un dernier verre, les magasins plient et sortent les cartons, baissent les rideaux, les vitrines se rembrunissent, les boutons d’or et les dents-de-lion s’ensommeillent embobelinés dans leurs pétales, les chauves-souris partent à la chasse, les chiens errants se faufilent sous le feuillage des haies quand même la pluie s’en est allée ou alors autre chose, une autre histoire, encore la nôtre mais dans un cadre changeant que je crée pour nous, l’allure lente, qui flâne, votre robe en pâtis de coquelicots, des ballerines jaunes à moirures, la peau ambrée de vos bras et de vos cuisses couvée par les premiers rayons de soleil, la clarté tiède et blanche de début mai, vous n’avez rien prévu de faire aujourd’hui, vous n’avez établi aucun plan, juste vous rendre où mes mots prétendent vous mener, à l’intérieur de la chapelle Sainte-Hélène, au bord du canal de la Sambre que vous poursuivez jusqu’au grand saule, à l’extrémité de la presqu’île aux Orangers où sur le banc je me tourne, me retourne, guettant l’illusion précédant votre présence et je vous appelle pour vous conduire ici, je vous appelle sans prononcer votre prénom, je vous appelle les paupières closes en espérant jusqu’à cent, je vous appelle en fixant les confins de l’allée de tilleuls, je vous appelle en chuchotant les mélodies que vous affectionnez, je vous appelle entre les plumes des cygnes, à travers les roues des bicyclettes, jetant des cailloux qui rebondissent à la surface quiète de l’eau, je vous appelle depuis la première marche de la passerelle, je vous appelle en me rongeant les ongles, rajustant le col de ma chemise et époussetant les particules de terre qui couvrent mes chaussures à force de gratter le sol, je vous appelle et vous êtes là, assise auprès de moi, je ne vous ai pas vue approcher, … »

Extrait
« Il s’agit de professer coûte que coûte l’inconcevable pour un jour se donner raison, esquisser notre vie, la prévoir, l’agencer pour se préparer à la recevoir, ainsi se vérifient les prodiges et les vœux ressassés, du plus loin que vous êtes je crois à votre venue, j’inventorie chaque signe mouvant du panorama, je veux dire les lieux prétendus de mon corps que vous habitez, l’endroit de ma pensée où vous résidez, j’espère ainsi qu’on espère sous le ciel dont les étoiles déjà ont succombé au temps, déjà se sont endormies lorsque leur brillance nous atteint, nous affecte et nous console de n’être que des grains façonnant un rocher sublime » p. 95

À propos de l’auteur
DEMEY_loic_DRLoïc Demey © Photo DR

Loïc Demey est l’auteur de Je, d’un accident ou d’amour (Cheyne éditeur). (Source: Éditions Buchet Chastel)

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