L’inconnue du portrait

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En deux mots
Comment Isidore, orphelin autrichien, est devenu l’une des plus belles fortunes américaines? Comment une fille de bien va connaître, grâce à Gustav Klimt, une notoriété mondiale? Comment le syndrome de Stendhal va permettre à une jeune américaine de retrouver ses racines? C’est ce que raconte ce superbe roman qui parcourt le XXe siècle.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Victimes du syndrome de Stendhal

Autour d’un mystérieux tableau de Gustav Klimt, Camille de Peretti a construit un somptueux roman, mêlant secrets de famille et drames, réussites spectaculaires et homicide, histoire de l’art et quêtes passionnées. Une formidable réussite!

Les trois chapitres initiaux de ce beau roman vont nous permettre de faire la connaissance d’une belle galerie de personnages.
Les premiers sont au pied de la bourse de Wall Street. C’est là qu’Isidore travaille comme cireur de chaussures. À 19 ans, il se dit qu’une autre vie est possible en faisant la même chose que ses principaux clients, spéculer. Mais pour cela, il lui reste quelques étapes à franchir, à commencer par initier Bola, un garçon à qui il va laisser sa place pour peu qu’il lui transmette les informations que pourraient lui lâcher les boursicoteurs. En attendant de faire fortune, il se réjouit de pouvoir retrouver Lotte, la jeune fille croisée devant les manèges de Coney Island.
Puis nous faisons la connaissance de Martha, une jeune femme qui ne veut pas se retrouver sur le trottoir à Vienne. Après avoir mis au monde un bébé, elle quitte la capitale autrichienne et va trouver un emploi de dégraisseuse dans une usine de Leobendorf qui traite les plumes pour les couvre-chefs des militaires. Car elle préfère s’éreinter au travail que de subir les assauts des hommes.
Ensuite, on se retrouve dans un cabinet d’avocat à Houston, au Texas. Michelle vient consulter un homme de loi pour savoir si le père de sa fille Pearl, née d’un «accident de capote», peut-être confondu par un test ADN. Comme il s’agit d’une grosse fortune et que la jeune mère semble sûre d’elle, le «meilleur avocat de Houston» voit dans cette requête une belle opportunité et accepte de porter l’affaire en justice.
Enfin, on découvre Franz Brombeere, un Viennois fortuné, arrivant dans l’atelier de Gustav Klimt et portant sous le bras une toile du maître. Cette dernière représente une jeune femme l’épaule nue, portant un grand chapeau, et un boa autour du cou. Les atours d’une prostituée. Or, c’est ce qui gêne Franz, car il a reconnu le modèle. Il est tombé amoureux de cette femme engagée au service de sa famille et souhaite que l’artiste corrige son tableau en y supprimant cette connotation qui le perturbe. C’est la seule œuvre de Klimt connue comme un repeint.
En passant d’un récit à l’autre et en alternant les temporalités, Camille de Peretti nous offre un roman total. On voit au fur et à mesure se tisser les liens entre la Vienne du début du XXe siècle et le New York de la fin du siècle. On est pris dans le tourbillon de l’Histoire et dans une quête aux secrets de famille au centre de laquelle Isidore et Pearl vont jouer les rôles principaux.
On ne sait trop s’il faut d’abord saluer la virtuosité de la romancière qui a construit un puzzle que l’on prend un plaisir fou à reconstituer, admirant l’ingéniosité de sa créatrice, qui pousse le lecteur à attendre la pose de la dernière pièce pour découvrir un chef d’œuvre ou s’enthousiasmer pour le travail documentaire autour de ce mystérieux Portrait d’une dame de Gustav Klimt qui a aujourd’hui retrouvé sa place à la Galleria Ricci Oddi, à Plaisance, Italie. Car tout est vrai dans la destinée de cette œuvre-double, de son vol à sa restitution, en passant par l’arrestation d’un faussaire et la découverte de sa copie destinée à Bettino Craxi, ancien Président du Conseil italien, comme l’explique fort bien Léa Simone Allegria dans les colonnes de Marianne.
Reste ce formidable tour de force de l’autrice, nous faire préférer sa version, car toujours la fiction l’emportera sur la réalité!
Voilà en tout cas mon premier gros coup de cœur de cette rentrée!

L’inconnue du portrait
Camille de Peretti
Éditions Calmann-Lévy
Roman
368 p., 21,50 €
EAN 9782702185179
Paru le 3/01/2024

Où?
Le roman est situé en Autriche, à Vienne, Leobendorf et Salzbourg, aux États-Unis, à New York, Coney Island et dans les Hamptons ainsi qu’au Texas, à Houston. On y voyage aussi en Italie, à Milan, Rome et Plaisance.

Quand?
L’action se déroule tout au long du XXe siècle.

Ce qu’en dit l’éditeur
« La toile vibrait de beauté. Elle en avait le souffle coupé et se noyait dans l’œil bleu ciel piqueté de vert. Est-ce qu’elle était réellement le sosie de cette inconnue? »
Peint à Vienne en 1910, le tableau de Gustav Klimt Portrait d’une dame est acheté par un collectionneur anonyme en 1916, retouché par le maître un an plus tard, puis volé en 1997, avant de réapparaître en 2019 dans les jardins d’un musée d’art moderne en Italie.
Aucun expert en art, aucun conservateur de musée, aucun enquêteur de police ne sait qui était la jeune femme représentée sur le tableau, ni quels mystères entourent l’histoire mouvementée de son portrait.
Des rues de Vienne en 1900 au Texas des années 1980, du Manhattan de la Grande Dépression à l’Italie contemporaine, Camille de Peretti imagine la destinée de cette jeune femme, ainsi que celles de ses descendants. Une fresque magistrale où se mêlent secrets de familles, succès éclatants, amours contrariées, disparitions et drames retentissants.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com

Les premières pages du livre
Les faits
En 1910, Gustav Klimt peignit le portrait d’une très jeune femme, de trois quarts, cheveux lâchés, affublée d’un grand chapeau marron, une étole de fourrure autour du cou, les épaules dénudées.
Ce tableau, intitulé Backfisch1, fut exposé à la Galerie Miethke, à Vienne, en 1916, et acheté par un inconnu dont les registres de l’époque n’ont pas gardé la trace.
En 1917, un an avant la mort de Klimt, et pour une raison qu’on ignore, le tableau a été remanié par le maître : le chapeau et l’étole ont été supprimés, les épaules recouvertes d’un châle blanc avec un motif de fleurs et les cheveux attachés en un chignon sage.
En 1925, la Galleria Ricci Oddi, à Piacenza (Plaisance), en Italie, fit l’acquisition d’un tableau de Klimt intitulé Portrait d’une dame, sans savoir qu’il était un repeint de Jouvencelle.
Il fallut attendre l’année 1996 pour qu’une étudiante en histoire de l’art de l’université de Plaisance, Claudia Maga, prouve qu’il ne s’agissait pas de deux tableaux différents dont le premier aurait été perdu mais d’une seule et même peinture, certes fortement remaniée.
Étrangement, peu de temps après cette découverte, le 22 février 1997, le tableau fut volé, disparaissant ainsi une seconde fois.
L’enquête piétina jusqu’à l’été 2016, quand un cambrioleur avoua à la police italienne être l’auteur du vol. Le tableau n’était plus en sa possession, néanmoins il annonça que son commanditaire avait promis que l’œuvre serait restituée vingt ans après la date de sa disparition.
En 2019, le jardinier du musée d’Art moderne Ricci Oddi trouva, derrière un buisson de lierre qu’il s’apprêtait à tailler, un sac-poubelle qui renfermait la toile, parfaitement conservée.
Aucun expert en art, aucun conservateur de musée, aucun commissaire d’exposition, aucun enquêteur de police ne sait qui était la jeune femme représentée sur le tableau, ni quels secrets animent l’histoire mouvementée de son portrait.

1. Jouvencelle en allemand.

Première partie

1
— Pour que ça brille, faut cracher !
Le môme ouvrait de grands yeux ahuris. Il devait avoir dans les douze ans, le teint livide sous la crasse qui maculait son visage.
— Cracher sur leurs chaussures, tu te fous de moi ?
Isidore ne se démonta pas.
— Faut cracher, je te dis, ils adorent ça.
Isidore avait une manière bien à lui, pas un long jet de salive mais des mouvements de bouche, pffft, pffft, pffft. Il expulsait ses crachats comme autant de petites billes qui s’en allaient crever baveuses sur le cuir, quelque chose de tonique, de pas dégoûtant. Deux ans qu’il était cireur et qu’il campait sa chaise, sa boîte et son bidon contre les grilles du parc de Bowling Green, des grilles en fer forgé bien serrées, hérissées de piques. Ce n’était pas le pire des petits boulots, 10 cents pour un cirage en bonne et due forme. La plupart de ses clients étaient généreux, certains lui donnaient même le double, ce qui faisait peut-être de lui l’un des cireurs de chaussures les mieux payés de la ville.
— C’est quoi ton vrai prénom ?
— Gabriel.
— Et pourquoi tout le monde t’appelle Boba ?
— Je sais pas.
Isidore se demanda si le môme serait à la hauteur.
Pour fabriquer son cirage, il mélangeait de la cire d’abeille avec des paillettes de savon, de l’essence de térébenthine et de l’eau bouillante. Et un peu de jus de betterave pour que ça brille. Il n’avait donné son truc à personne. Son pote Ben, lui, faisait ça avec des peaux de banane. C’était M. Schmidt qui leur refilait les vieux chiffons.
Mais pour lustrer, pffft, pffft, il fallait cracher.
Rien à dire, cinq minutes par paire, aux heures de pointe, avant l’ouverture et après la fermeture de la Bourse, il pouvait se faire jusqu’à dix paires de l’heure. Quand on savait qu’un bon ouvrier était payé 20 dollars la semaine.
— Fais le calcul… Je tourne à trente paires par jour, c’est-à-dire 3, parfois 4 dollars la journée avec les seigneurs, ça fait 18 dollars par semaine, mec !
Isidore se faisait un peu mousser, mais pour un gamin comme Boba, même 16 dollars par semaine auraient représenté une somme énorme.
— Ouais, enfin, c’est l’emplacement qui veut ça.
Le secret d’Isidore, c’était d’afficher un air toujours content et enjoué. Et de leur parler. Quand il souriait, ses yeux bleus brillaient d’intelligence.
« Comment ça va aujourd’hui, monsieur, comment ça va les affaires ? »
Il avait une bonne frimousse, heureusement, parce qu’à dix-neuf ans, il était vraiment trop vieux pour ce métier.

Isidore n’était pas du genre à élaborer des plans ; il inventait sa vie à mesure qu’il avançait et cette spontanéité lui avait sauvé la mise plus d’une fois. La débrouillardise, quoi. Et puis il savait encaisser les coups et repartir sans moufter. C’était pas de bol. Ses clients, les messieurs en chapeau haut de forme et pantalons à pinces pensaient la même chose : quel gâchis qu’un gamin comme ça ne fasse pas mieux que cireur de chaussures.
C’était pour l’emplacement qu’Isidore avait eu de la chance. Il s’était installé pile au moment où celui qui cirait les chaussures de Bowling Park était parti, et personne ne lui avait demandé comment il avait eu la place et s’il y avait eu un arrangement. Tous les mômes qui se lançaient dans ce métier le savaient, les trottoirs étaient la propriété de ceux qui les gardaient. Isidore avait été élevé à la dure, il n’avait eu droit ni aux caresses ni aux caprices. Il n’était pas de ceux qui poussaient un petit voilier sur le lac de Central Park avec des nounous enrubannées pour les surveiller.
— Comment ça va aujourd’hui, monsieur, comment ça va les affaires ?
L’homme tendit son pied à Isidore. Il n’était pas un régulier mais portait le col blanc et la cravate à larges rayures de ceux qui travaillaient dans le secteur. Isidore se mit immédiatement à l’ouvrage, du nerf, de l’énergie, les banquiers de Wall Street aimaient ça.
— Les affaires, c’est le beau fixe, mon garçon ! Ça monte, ça monte, ça monte !
— Vous avez du RCA2 ?
— Mais oui, mon garçon, mais oui. Tu t’intéresses aux innovations technologiques ?
— Je m’intéresse à tout, monsieur.
Boba regarda Isidore avec des yeux de merlan frit. Il n’avait aucune idée de ce que c’était le RCA, alors que c’était la crème de la crème. Certains disaient qu’un jour on pourrait mettre des postes de radio dans des voitures ! Et tous les clients d’Isidore en avaient acheté. Du RCA, et du Coca-Cola, parce qu’avec la prohibition de l’alcool, l’action Coca avait pris 25 % en un mois. Est-ce que Boba pourrait le remplacer ? Il faudrait bien. De toute façon, Isidore ne voulait plus être cireur, c’était décidé.
À cause de Lotte.
Pffft, pffft, pffft. Isidore serra les mâchoires et accéléra le mouvement de son chiffon. Il souriait à son client, mais avec les autres enfants des rues, les petits rats comme lui, il ne faisait pas de quartier. Si Boba reprenait son bidon, sa boîte de brosses, sa chaise, et la poule aux œufs d’or que représentait Bowling Green, il faudrait qu’il lui reste dévoué.
Isidore aurait pu lui refiler son emplacement et la recette de son cirage magique, et le gamin lui aurait reversé un petit quelque chose ; mais ce qu’Isidore ne voulait pas perdre, c’étaient les bons tuyaux. Depuis qu’il s’était décidé, depuis qu’il avait tout misé sur la Bourse, il ne devait pas se planter. Tout le monde spéculait, pourquoi pas lui ? Chaque jour les gros titres étalaient l’argent facile d’inconnus qui avaient osé se lancer. Des fortunes faites en un rien de temps, des histoires incroyables. Isidore n’était pas plus bête qu’un autre.
— Comment ça va aujourd’hui, monsieur, comment ça va les affaires ?
Dix-huit dollars par semaine lui payaient à l’aise le loyer de la chambre qu’il partageait avec Ben, un café pas mauvais, du salami, des cornichons, des pommes de terre, et une bière de contrebande de temps en temps. Il n’était pas porté sur la bibine et il ne voulait pas d’ennuis avec la police. Et puis 35 cents le verre de gin-tonic dans un speakeasy, merci bien, surtout qu’on risquait d’y laisser ses yeux. On racontait en ville des histoires horribles d’alcool frelaté et allongé avec de l’alcool à brûler qui rendait aveugle.
Dix-huit dollars par semaine, et le dimanche Isidore et son pote Ben allaient au bal du Loew’s Theatre sur Coney Island. Isidore n’était pas bon danseur mais on pouvait dire que les filles lui tournaient autour et qu’il obtenait généralement leurs faveurs.
Les dimanches à Coney Island, il y avait une de ces foules ! Ça se mélangeait entre ouvriers, étudiants, marins, trafiquants et joueurs de base-ball. On y venait en famille, les enfants se baignaient en poussant des hurlements de joie, les plages étaient bondées, on se payait une glace, et puis il y avait le Cyclone, le plus grand manège de montagnes russes du monde ! Le Cyclone qui vous foutait une sacrée frousse. Isidore s’était toujours dit que s’il emmenait une fille là-dedans et qu’elle ne criait pas, alors il l’épouserait. La première fois qu’il était monté dans le wagon et qu’il s’était retrouvé à la perpendiculaire, à retenir sa tête pour ne pas qu’elle tombe en arrière, il avait pensé que son cœur allait décrocher. Vingt-cinq cents le ticket, quand même.
— Merci, monsieur, bonne journée !
Boba attrapa un chiffon.
— Le prochain, je peux le faire ?
Isidore hocha la tête et enfonça ses poings dans ses poches.
— OK, mais t’oublies pas de lui demander comment vont les affaires, hein !

S’il voulait quitter le métier, c’était pour Lotte. Une jeune fille avec une épaisse natte blonde, une robe blanche et des petites bottines très bien cirées. Elle aurait pu crier dans les montagnes russes, ça n’aurait rien changé ; elle incarnait la perfection, teint de porcelaine et joues roses de poupée. La première fois qu’Isidore l’avait vue, elle était entourée d’une nuée d’amies riantes. Une femme d’un certain âge semblait chaperonner le groupe. Il avait imaginé une tante ou une cousine, et la vieille en question avait eu tôt fait de zieuter le jeune homme et de se méfier de lui. Mais c’était la fête à Coney Island et, dans le brouhaha et les rires, il avait réussi à s’approcher de la jeune fille pour lui demander son nom.
— Lotte.
La consonance germanique avait sonné aux oreilles d’Isidore comme un sucre d’orge.
— Lotte ? Ravi de faire ta connaissance, moi c’est Werther.
Il lui avait répondu cela du tac au tac, et la bouche de Lotte avait fait un O, aucun garçon de son âge n’ayant lu Goethe, du moins pas à sa connaissance.
Depuis la Grande Guerre, les immigrés allemands faisaient profil bas sur le continent américain, la propagande antiallemande faisait rage et, dans les lycées, il aurait été impensable d’enseigner Les Souffrances du jeune Werther plutôt que Les Aventures de Tom Sawyer. Bien sûr, Lotte ne pouvait pas imaginer que ce livre était un des seuls qu’Isidore ait jamais lus. Pour le cireur de chaussures, c’était bien plus que de la chance, c’était le destin.
La vieille avait vite mis le holà à leur enthousiasme. Quand un garçon se piquait de parler littérature à une jeune fille, la coucherie n’était pas loin. Pareille à la fermière qui a vu rôder le renard, elle avait voulu éloigner ses oies blanches. Mais heureusement pour Isidore, ces demoiselles avaient insisté pour prendre un granité. Sentant que le temps lui était compté, il avait demandé à Lotte dans quel lycée elle étudiait (Spence, Upper East Side), si elle avait fait les montagnes russes (Une fois seulement, ses amies avaient eu très peur, mais pas elle), si elle venait souvent à Coney Island le dimanche (Oui, souvent, surtout quand il faisait beau), alors ils se verraient peut-être dimanche prochain (Peut-être).
Il avait posé les questions dans le bon ordre, pour ne pas paraître trop insistant, et il lui avait souri son meilleur sourire, son sourire spécial, celui qui faisait que ses clients lâchaient un nickel de plus. Puis il avait attendu le dimanche suivant comme aucun autre jour de toute sa vie auparavant.
Il avait immédiatement été obsédé par elle. Besoin de savoir où elle était, ce qu’elle faisait et où elle irait, si elle pensait à lui comme lui pensait à elle.
Son pote Ben avait rigolé, « Dans cette foule, je ne vois pas comment tu vas la retrouver ! » Mais Isidore n’avait pas mis longtemps à la repérer avec ses amies virevoltantes. À peine avait-il entraperçu la natte blonde, qu’il avait senti tout son être entrer en combustion. Elle était là, et elle aussi l’avait vu. Il avait marché droit dans sa direction, sans aucune timidité, sans aucune retenue. Leur conversation avait repris sans préambule, sans silence gêné. Il avait tellement de questions à lui poser, il voulait tout connaître d’elle, il voulait l’absorber. Il ne devait pas trop la regarder, parce que la bouche de Lotte, les épaules de Lotte, les petits seins de Lotte qu’il devinait sous le fin tissu de coton blanc lui faisaient perdre les pédales. Quand elle avait dû partir, il lui avait pris la main et elle avait eu un mouvement de recul. Isidore en avait été mortifié.
Pourtant, le dimanche suivant, elle était revenue. Le dimanche suivant et tous les autres. Et maintenant, quand Isidore apparaissait, les amies de Lotte se mettaient à glousser.

Le monsieur encravaté a glissé 10 cents dans la main de Boba. Le môme avait craché tout ce qu’il avait pu, on n’aurait pas pu l’accuser de manquer de bonne volonté.
— Écoute-moi, Boba, moi je veux bien te refiler l’emplacement, mais il va falloir que tu les fasses parler.
— Que je les fasse parler de quoi ?
— Bah de leur métier, des bons plans quoi. Comme ça le soir tu me raconteras, tu vois?
Clairement, Boba ne voyait pas.

Lotte avait raconté à Isidore l’histoire de sa famille. Elle était la fille d’un ingénieur allemand débarqué à New York à vingt-deux ans et aujourd’hui magnat de l’hygiène bucco-dentaire, la tuile. D’autant qu’au départ, Isidore avait mal compris. Lorsque Lotte disait « l’usine de papa », il avait cru que le père travaillait dans une usine de dentifrice. Il avait mis un certain nombre de dimanches à saisir que l’usine appartenait au papa en question. Depuis, il s’était acheté un tube de Chlorodon goût frais qu’il recrachait religieusement dans sa cuvette tous les matins d’un air songeur. Il n’avait pas avoué à Lotte qu’il était cireur, mais par souci de cohérence il avait dit qu’il était vendeur de chaussures dans un magasin. Et comme tous les gens qui croient à leur bonne fortune sans en avoir les codes, Isidore était très loin du compte : vendeur de chaussures ou cireur de chaussures, pour Lotte, c’était irrecevable. À la déception affichée sur le visage de la jeune fille, il avait eu un haut-le-cœur. Pourtant, à dix-neuf ans, les épreuves sont à l’amour ce que le vent est au feu, elles éteignent le petit et allument le grand.

— La plupart des gars dont tu vas cirer les pompes travaillent à Wall Street. Toi tu leur demandes comment vont les affaires, comme tu m’as vu faire, puis tu leur dis comme ça « Alors, dans quoi il faut investir en ce moment, monsieur ? » Tu notes bien leur réponse dans ta petite tête, et le soir tu me répètes ce que tu as entendu, c’est pas compliqué ça, non ?
— Non.
Isidore avait choisi Boba parce que c’était le gamin avec la plus innocente bouille du quartier irlandais.
Depuis quelque temps, il imaginait Lotte passant par hasard devant les grilles de Bowling Green et qu’il se retrouvait nez à nez avec elle, la brosse et le chiffon à la main. Il en cauchemardait. C’était décidé, Boba ferait l’affaire. Isidore resterait encore deux ou trois jours avec lui pour voir comment il se débrouillait, et puis il laisserait le môme cracher à sa place.

2. Radio Corporation of America.

2
Des ténèbres épaisses noyaient la chambre du deuxième étage, elles écrasaient de leur poids la mère et l’enfant bouche ouverte. Martha entendit sonner l’angélus, il était 6 heures. Elle tendit le bras jusqu’au berceau de fortune que le gentil voisin du premier étage lui avait fabriqué dans une caisse et attrapa son bébé. Elle souleva sa chemise et posa le petit encore endormi contre son sein de chaleur vivante.
Les mains potelées s’agrippèrent au mamelon et une larme de lait s’écoula. L’enfant se mit à téter en silence. C’était un bébé qui ne pleurait pas, qui n’avait jamais pleuré. Même le jour de sa naissance, Martha l’avait cru mort-né car il n’avait pas émis un son. Cela aurait peut-être été mieux pour eux deux. Elle remonta le drap, il faisait froid. Le bébé la pinçait fort maintenant, la sensation était à la fois douloureuse et suave. Elle regarda par l’unique fenêtre de la pièce, le jour n’était pas levé. La succion ralentit, l’enfant serait bientôt repu. Elle attendit encore quelques minutes, retardant le moment où il lui faudrait poser les pieds sur le plancher froid qui accrochait la poussière. Enfin, encore assommée de sommeil, elle tâtonna jusqu’à la chandelle et l’alluma en frottant une allumette.
La chambre s’éclaira, les contours de la table dans le coin et l’armoire dans laquelle Martha rangeait le linge et le manger se dessinèrent. Elle se baissa pour remuer les braises dans le poêle. Elle couvrait le feu chaque soir et ajoutait un petit morceau de charbon le matin, cela suffisait, le bébé avait huit mois et il était costaud. Elle posa la bouilloire sur la grille pour faire du café. De l’autre côté du mur, elle entendit le voisin pousser un grognement. L’homme était une brute qui battait sa femme et la besognait indifféremment. Elle changea le bébé et l’habilla.
Les mains lui grattaient. Elle avait beau les enduire d’un peu de beurre le soir, surtout sur l’articulation à la base des pouces, l’eczéma desquamait sa peau. À l’usine, les dernières arrivées étaient envoyées aux cuves et les produits qu’ils mettaient dans l’eau vous laissaient des plaques rouges, les irritations étaient insupportables. Martha savait que si elle se grattait ce serait pire que tout. Elle se coupait les ongles ras mais la nuit, ça la démangeait dans ses rêves. Au matin, ses mains avaient saigné et les draps étaient tachés.
Elle fit une toilette sommaire, sa chevelure lui tombait jusqu’aux hanches, elle l’enroula en un chignon bien serré sur le haut de sa tête puis s’aspergea le visage d’eau froide, ce qui acheva de la réveiller tout à fait. Une fois prête, elle coupa une tranche de pain, remit la miche dans le torchon et avala son bol de café debout, le bébé sur la hanche. Elle enfila à l’enfant un gros tricot et jeta un châle sur ses épaules, il fallait se hâter.
La maison de la nourrice faisait face à la manufacture, ce qui était bien pratique. Cette femme, maigre comme une chatte qu’on aurait sauvée de la noyade, avait la garde de sept enfants, tous fils et filles de plumassières. Elle n’était pas mauvaise nourrice, mais elle avait ses têtes. Tantôt d’humeur joyeuse et pleine d’entrain, tantôt excédée, elle portait un long tablier bleu couvert de traces de morve et de larmes car les petits y pleuraient et s’y mouchaient tour à tour.
— Bonjour, madame Prato.
— Bonjour, Martha.
— Je vous le laisse ?
Le bébé tendit les bras à la nourrice qui le prit en souriant. Si seulement tous les bébés pouvaient être aussi faciles que celui-là.
— Oui, c’est ça, laissez-le-moi, allez. À tout à l’heure !
Le prix de la garde comprenait un bol de soupe à midi pour les mères qui allaitaient encore. Elles sortaient de l’usine en courant, les seins gonflés, buvaient leur soupe d’un trait, nourrissaient leur enfant puis repartaient aussi sec, c’était un bon arrangement.
Martha alla se placer dans la file qui s’allongeait devant les portes de la manufacture. Elles étaient une bonne centaine, le chignon tiré dans l’air frais du petit matin. Le travail démarrait à 7 heures et se terminait douze heures plus tard. Martha était aux cuves, avec deux autres filles robustes comme elle. Anna et Zita. La première avait des taches de rousseur et un heureux caractère, la seconde portait son gros ventre en avant pour faire contrepoids lorsqu’elle activait les perches.
Les cuves étaient installées un peu à l’écart du bâtiment principal, à cause des odeurs qu’elles dégageaient. Des odeurs si fortes que les premiers jours, Martha en avait eu mal à la tête, et puis elle s’était habituée. La manufacture était spécialisée dans la confection des panaches des militaires. Lorsque les plumes arrivaient, elles étaient déjà humides et lourdes du mélange d’alcool et d’eau salée qui servait à les désinfecter.
Martha, Anna et Zita étaient au dégraissage. Elles jetaient les sacs de plumes dans les cuves et tournaient l’eau beige rendue laiteuse par le détergent. Des milliers de plumes de grue, grises, qui se collaient et s’entremêlaient les barbes. Peu à peu, le tourbillon de leurs tiges pointues et de leurs minuscules lames fendant la surface prenait un caractère hypnotique, alors il fallait inverser le mouvement, jusqu’à ce qu’enfin les fragiles poisseuses se détachent les unes des autres. C’était un travail répétitif, qui demandait beaucoup de force physique mais, à dix-sept ans, Martha était dure au mal. Elle n’était pas bavarde, moins que ses deux camarades, pourtant Anna et Zita avaient eu tôt fait de prendre la dernière arrivée sous leur protection. Peut-être leur inspirait-elle de la pitié ? Une douceur triste émanait du regard de la jeune femme, comme si son cœur était lesté d’une pierre de silence.
« Sœur d’orageuse mélancolie, / Vois couler la barque éperdue / Sous les étoiles / Au visage muet de la nuit3. »
Martha avait écouté des poètes réciter des vers un soir, c’était si merveilleux. Les belles choses, elle les avait touchées du doigt, pas longtemps, juste assez pour savoir que la poésie existait et qu’elle n’était pas pour elle.
Elle avait attendu la fin de l’hiver, le bébé avait six mois, il était grand temps. Elle avait bourré le landau du peu de choses qui leur appartenait, cousu ses maigres économies dans l’ourlet de sa jupe, attaché son chignon, et elle était partie de bon matin, remontant le Danube sans autre perspective que celle de quitter la grande et impériale ville de Vienne, écrasante de magnificence avec ses façades immaculées, ses calèches et ses voitures vrombissantes. Vienne et ses trottoirs où les dames élégantes en chapeau à plumes croisaient celles qu’on appelait « les filles de la ligne » parce que la police limitait par une ligne invisible le pavé qui leur était concédé pour le racolage. Et Vienne fourmillait de maisons closes, boîtes de nuit et autres cabarets. La marchandise féminine s’offrait publiquement à chaque heure et à tous les prix. Pour les messieurs en haut-de-forme et noire redingote se procurer une femme pour un quart d’heure ou une nuit coûtait aussi peu de peine que d’acheter un paquet de cigarettes. Deux cents couronnes pour une danseuse de l’Opéra, deux couronnes pour une fille des rues mal fardée. Martha n’était pas dupe, dans sa situation, elle aurait rejoint tôt ou tard la cohorte fatiguée des femmes affamées et tristes qui vendaient du plaisir sans plaisir et finissaient toutes à l’hôpital. Elle était jolie, elle avait même posé pour un peintre. Mais elle avait son honneur.
Aujourd’hui, elle menait la vie d’une petite vieille, propre et soignée. Elle ne dépensait rien, à part pour la nourriture, le logement et la garde du bébé. Pas de bal, pas de divertissement, pas de sortie, pas de boisson. Le dimanche, elle allait au lavoir pour le linge de l’enfant puis à la messe pour laver son âme et chérir ses souvenirs d’amour dans le calme froid d’une église. Sa seule fierté coupable, à défaut de s’imaginer libre, était de ne devoir rien à personne.
Elle avait poussé le landau jusqu’à 30 kilomètres de Vienne et s’était arrêtée à Leobendorf devant l’enseigne rouge d’un café. Elle avait passé la porte et demandé au comptoir s’ils avaient du travail. La tenancière l’avait détaillée de la tête aux pieds.
— Allez donc voir à la plumasserie, c’est à la sortie de la ville, au bout de la grand-rue. Ils en embauchent des comme vous.
Elle avait conscience de marcher sur une poutre au-dessus du vide avec un bébé accroché dans le dos. Mais elle savait que les manufactures étaient moins regardantes sur les filles-mères et que, dans les villages, le nombre de bâtards dépassait de beaucoup celui des enfants légitimes.
— Vous devriez quand même me laisser votre mioche le temps d’aller voir.
— C’est vrai ? Je peux vous le laisser ? Vous verrez, il est très sage, il ne pleure jamais.
La femme avait hoché la tête.
— Pour ça, des mioches, moi j’en ai eu sept, alors… les pleurs… j’y suis habituée. Mais ne tardez pas, hein !
Le contremaître lui avait demandé si elle avait de l’expérience.
— Non, mais je suis une bonne travailleuse.
Des références.
— Non, mais je suis une honnête fille.
Cela avait suffi.
Depuis, le dos courbé, elle regardait les journées défiler en faisant tournoyer des plumes à la surface de l’eau. Quand elle se couchait harassée, l’enfant au sein, la chaleur du bébé l’endormait et souvent elle n’avait même pas le courage de le remettre dans le berceau que M. Gruber avait fabriqué.

M. Gruber aimait beaucoup Martha. Il était bien trop vieux pour être son prétendant, mais elle aurait pu lui demander à peu près ce qu’elle voulait, il se serait exécuté, « comme ça, pour rendre service, entre voisins ». Il faisait des risettes au bébé et puis il avait une gentille façon de soulever sa casquette quand ils se croisaient dans l’escalier, comme si Martha était une dame alors qu’elle n’était rien du tout. Plusieurs fois, il lui avait proposé un petit verre de schnaps, « en bonne amitié », mais elle avait refusé.
Ce soir encore, il était venu frapper à sa porte.
— Madame Martha, pardon, je ne voudrais pas déranger, mais je vous ai apporté une part de tarte aux pommes.
Elle était restée sur le seuil.
— Merci beaucoup, monsieur Gruber, c’est très gentil à vous, il ne fallait pas.
L’homme lui souriait.
— Le bébé va bien ?
— Oui, merci, il est sage.
— Il dort ?
— Oui.
— Il ne faudra pas lui donner de la tarte, hein, parce qu’y a du rhum dedans.
M. Gruber se mit à rire, mais Martha eut l’impression que c’était un rire forcé. Elle était si fatiguée, elle aurait dû proposer au voisin d’entrer chez elle et ils auraient pu manger la tarte ensemble, mais quelque chose, elle ne savait pas bien le formuler, quelque chose d’envahissant dans l’insistance de cet homme lui disait de se méfier. Bien sûr, il était prévenant et affable, et elle était si seule, pourquoi aurait-elle refusé l’amitié bienveillante d’un voisin ?
Elle ne voulait surtout pas paraître impolie. Elle avait encore la main posée sur la clenche. À la façon dont M. Gruber se tenait, à la limite de l’entrebâillure, le corps penché, très près d’elle, elle se sentit troublée. C’était une chose subtile, un pressentiment peut-être, une gêne sourde. Il continuait à lui sourire en silence. D’aucuns auraient dit un sourire simiesque, même si Martha n’avait jamais vu de singe de sa vie. Elle sentit qu’il s’imposait à elle, qu’il lui intimait l’ordre tacite de respecter son statut d’homme. Lui refuser cela serait un affront terrible. Elle devait lui rendre les choses faciles.
Elle essaya de se rassurer, de combattre la sensation étrange qui lui nouait la gorge. Elle se faisait des idées. M. Gruber était un ami qui voulait lui venir en aide parce qu’il avait pitié d’elle, elle savait qu’elle inspirait de la pitié à un grand nombre de gens. Si elle avait été courageuse, elle aurait tenté de lire cela dans les yeux de M. Gruber, car elle avait la naïveté de penser que les yeux des gens ne mentaient pas. Mais justement parce qu’elle craignait de rencontrer autre chose qu’un regard d’affabilité, elle gardait les yeux rivés sur le plancher. Cela ne la rendait que plus mignonne, ou plus fragile, qui sait ce que le voisin du premier étage pensait à cet instant d’une jeune fille de dix-sept ans qui s’était fait engrosser et avait fui Vienne avec son bébé pour se réfugier dans une miteuse pension de famille comme celle qu’ils habitaient ?
— Vous allez bien, Martha ?
Il avait posé sa main sur son bras et elle resta immobile.
— Je me fais du souci pour vous, vous savez, ce n’est pas facile d’être une jeune maman…
Il avait pris un accent sincère ; un instant elle se sentit rassurée, peut-être que c’était seulement elle qui avait de mauvaises pensées. M. Gruber était si vieux, il aurait eu l’âge d’être son grand-père !
— Ne vous faites pas de souci pour moi, monsieur Gruber, c’est gentil. C’est juste que les journées sont longues, comme vous savez, je suis fatiguée, je crois que j’ai besoin de dormir.
— Bien sûr, je comprends, dans ce cas…
Cette fois, il la regarda fixement, les pupilles dilatées par le désir. Martha fut parcourue d’un frisson.
— Dans ce cas… Bonne nuit… Martha.
Son cœur se mit à cogner si fort qu’elle eut l’impression que M. Gruber pouvait entendre sa peur. Elle trouva encore la force d’articuler :
— Bonne nuit, monsieur Gruber, merci beaucoup pour la tarte.
Elle referma la porte avec toute la lenteur dont elle était capable, pour ne pas montrer qu’elle avait compris. Elle le craindrait désormais chaque fois qu’ils se croiseraient dans la maison. Elle colla son oreille à la mince porte en bois et entendit le pas posé de l’homme qui redescendait l’escalier, comme s’il appuyait exprès sur chaque marche, comme si ses pas disaient « nous reviendrons ».

3. Georg Trakl, Plainte.

À propos de l’autrice
PERETTI_Camille_de_©celine_nieszawerCamille de Peretti © Photo Céline Nieszawer

Camille de Peretti est l’auteure de sept romans dont Thornytorinx (prix du Premier roman de Chambéry) et Le Sang des Mirabelles (2019). (Source: Éditions Calmann-Lévy)

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Une réflexion sur “L’inconnue du portrait

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