Crédit illimité

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En deux mots
De galère en galère, Diego est contraint d’aller demander de l’aide à un père honni. Le grand patron lui accordera les 50000 euros demandés à condition qu’il endosse le rôle de DRH et licencie quinze personnes. Une fois le contrat accepté, les choses ne vont pas se passer comme prévu.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

L’exécuteur des basses œuvres se rebiffe

Nicolas Rey se frotte à la grande entreprise et cela fait des étincelles! Son narrateur, chargé par son père de licencier un groupe d’employés, ne va pas endosser le costume du liquidateur. Un revirement qui nous vaut un petit bijou, humour compris.

Quel bonheur de lecture! Et quelle virtuosité. Arriver à faire d’un malheureux sans le sou amoureux de son analyste et chargé par son père de licencier une quinzaine de personnes un roman drôle, l’histoire d’un amour éperdu et une fable optimiste sur fond de misère économique, ce n’était pas gagné d’avance! Pourtant Nicolas Rey a relevé le défi haut la main.
Quand s’ouvre le roman, c’est le ciel qui tombe sur la tête de Diego Lambert. Le bilan qu’il dresse de sa situation est loin de faire envie. À la manière de François Hollande face à Sarkozy, il use de l’anaphore pour appuyer là où ça fait mal: « Moi, Diego Lambert, quarante-neuf ans, vieil adolescent attardé avec deux prothèses de hanche en céramique, sponsorisé autant que massacré par son père. Moi, Diego Lambert, alcoolique et ancien cocaïnomane sans chéquier et sans permis de conduire. Moi, Diego Lambert, interdit bancaire et incapable d’offrir un week-end au bord de la mer à l’éventuelle femme de sa vie les soirs où elle aurait trop peur de mourir. » L’ultime solution, qu’il se refusait à envisager jusque-là parce qu’il avait été trop maltraité par son géniteur, consiste à quémander 50000 € à son père, PDG d’une grosse entreprise qui fait commerce de céréales.
Ce dernier lui propose alors un marché. Il remplacera provisoirement sa DRH et devra procéder rapidement à une série de licenciements. Un dégraissage qui satisfera les actionnaires et fera grimper le cours en bourse.
Diego est bien contraint d’accepter et va faire défiler les victimes désignées dans son bureau. Mais Diego est libre dans sa tête et se range du côté des victimes d’une société qui se porte fort bien. Il va imaginer une solution qui plaira aux actionnaires sans pour autant procéder à des licenciements.
Pour son père, cette solution est acceptable, mais ne correspond pas au contrat passé. Aussi refuse-t-il à son fils de lui remettre la somme convenue. De quoi attiser la colère de Diego.
Car il entendait couvrir de cadeaux Anne Bellay, sa psy dont il est éperdument amoureux et à laquelle il a remis les 64 lettres écrites après chacune de leurs séances en guise d’adieu. Car il s’est bien rendu compte qu’il n’avait aucune chance qu’elle partage sa passion.
Sauf qu’après la lecture de ces missives, elle accepte finalement de le revoir. Tout espoir n’est donc pas perdu.
Avec maestria, Nicolas Rey va nous offrir un feu d’artifice final qu’il serait dommage de dévoiler ici. Soulignons plutôt combien cette excursion amorale dans l’univers de la grande entreprise est tout sauf politiquement correcte. En courts chapitres qu’une écriture nerveuse fait passer presque trop vite, on navigue entre le roman noir, la bluette romantique et, comme dit l’éditeur, la «farce œdipienne». Sans oublier la critique acerbe de ce patronat qui garde les yeux rivés sur le cours de bourse au détriment de ses employés. Sans avoir l’air d’y toucher – avec désinvolture et un humour froid – Nicolas Rey nous appelle à la vigilance et nous rappelle qu’à cœur vaillant rien n’est impossible, quitte à tricher un peu!

Crédit illimité
Nicolas Rey
Éditions Au Diable Vauvert
Roman
224 p., 18 €
EAN 9791030705157
Paru le 25/08/2022

Où?
Le roman est situé principalement dans les Hauts de France, du côté de Saint-Omer.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Diego Lambert n’a plus le choix. Il doit licencier quinze salariés de l’usine de son père s’il ne veut pas finir sur la paille. Mais rien ne va se dérouler comme prévu, jusqu’à l’irréparable. Dans cette fiction d’une ironie féroce et d’une beauté nouvelle, Nicolas Rey invente le crime parfait !
« Un roman plein d’humour et de folie à dévorer d’urgence. » Librairie Les Accents
« Nicolas Rey nous régale avec un texte où l’on retrouve l’humour, le désespoir, les situations géniales qui font la saveur de ce dandy romantique inégalable. » Librairie Les Mots et les Choses
« Une Conjuration des imbéciles à la française. Nicolas Rey retire avec brio les masques et faux-semblants du monde de l’entreprise. » Librairie La Colline aux livres

Les critiques
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Les premières pages du livre
« 1
À l’heure où je vous parle, je me trouve sur une terrasse en face de la gare de Lyon. Ma profession ? Interdit bancaire jusqu’à la gueule avec des kilos de dettes et d’impôts impayés. Je suis mort. Je peux juste régler mon café. Je peux juste regarder les pauvres gens qui s’enfoncent en forniquant histoire de pondre une poussette supplémentaire. Je peux juste penser à tous ceux qui tiennent le coup grâce au jardinage, à leur fox-terrier, au golf, au self du midi, à l’acuponcture, à leur résidence secondaire, à leur rêve d’aller vivre à Dubaï, à la prière, à la diététique, à leur copine Jennifer, à Ibiza, à Roland-Garros et au Bistro Romain de ce soir.

Il faut tenir, les doigts crispés sur son surf, sur ses actions, sur la danse brésilienne, sur l’hypnose ou sur la petite dynamique de groupe. Moi, je ne tiens plus. Je vais me lever et je vais prendre un taxi que je ne peux pas payer. Arrivé devant chez moi, je tends ma carte Black au chauffeur. Je fais le code. Je connais déjà la suite :

« Paiement refusé, il me dit.
— Je suis au courant, je rétorque.
— Vous avez un distributeur en face, si vous voulez.
— Ça ne changera rien. Je suis fauché, monsieur.
— Pourquoi vous ne me l’avez pas dit avant ?
— Parce que vous ne m’auriez jamais pris, avant.
— Et le métro, vous connaissez ?
— Je ne suis pas encore assez au point pour prendre le métro.
— Alors, on fait quoi, maintenant, connard ?
— Je veux bien laver votre berline si vous voulez.
— …
— Je monte chez moi. Je prends un seau, du liquide vaisselle, une éponge et j’y vais. Je suis dur à la tâche vous savez.
— Y a pas un proche qui pourrait vous dépanner ?
— Je n’ai plus de proches.
— C’est-à-dire ?
— C’est-à-dire que je n’ai plus que des lointains.
— Tirez-vous. »

De retour dans mon loft, je n’ai pas ouvert mon courrier. J’ai juste compté les enveloppes des impôts d’un côté et celles de la banque de l’autre côté. Je ne savais pas trop ce que cela signifiait mais la Société Générale l’emportait largement.

2
Reprenons. Je m’appelle Diego Lambert et je suis totalement ruiné. La banque va mettre en vente mon appartement, je suis poursuivi par les impôts, fiché à la Banque de France, je suis incapable de vous dire par quel miracle mon téléphone portable continue encore de fonctionner et, pire que tout, mon abonnement à la chaîne OCS a été résilié.

On ne devient pas pauvre en une seule prise. On savoure avant. On commence par compter ses sous. Et c’est déjà trop tard. On descend les marches les unes après les autres. Ensuite, on dégringole.

D’abord, il y a l’ultime crédit que l’on vous refuse. Arrivent les temps difficiles de l’aveu à ses proches. Et puis, on se retourne vers sa garde rapprochée, à savoir ses grands-parents.

C’est peu dire que je les ai sucés jusqu’à l’os, ces deux-là. Mon grand-père a vendu sa Golf neuve et m’a filé la recette en billets de cinq cents. Ma grand-mère a cédé tous ses bijoux Cartier : « De toute façon, je n’ai jamais aimé tes cousins, ils ont réussi trop facilement », m’a-t-elle confié un soir avec un triste sourire. J’ai tenu six mois avec ce petit pactole fortement convenable.

Ensuite, j’ai taxé ma petite sœur chérie, laquelle, n’ayant pas un sou, a emprunté la carte bleue de son mari en tâchant de ne pas dépasser le plafond autorisé. Elle s’est fait pincer au bout de quinze jours.

Son mari lui a dit que l’existence était une chose assez simple, en fait, qu’elle devait juste choisir entre lui ou moi. Enchaînant les inséminations artificielles dans l’espoir d’un enfant, elle a opté pour son mari. Difficile de lui en vouloir de manière acharnée sur ce coup-là. Ma mère, avec sa retraite d’enseignante à deux mille euros brut par mois, ne m’intéressait pas.

Non, à présent, c’était une fois de plus l’heure du grand combat, de l’affrontement terrible, du carnage évident : mon père et moi. Dans quel état allais-je finir cette fois-ci ? À genoux, allongé dans la poussière, bavant des caillots de sang à ses pieds ? Mon père : un maître en manipulation, en chantage affectif, en violence, en hurlement, en racisme, en népotisme, en perversité. Mon père règne sans partage sur notre territoire familial en règle générale et sur le Mal en particulier. Il a même réussi à faire en sorte que ses proches le plaignent alors qu’il a semé le malheur et la profonde tristesse dans le cœur des siens et qu’il possède toujours deux tours d’avance sur la vie de chacun d’entre nous.

3
Un matin, je me suis enfilé un Xanax et vingt minutes plus tard, je me suis rasé sans me couper. Puis, pour la première fois de mon existence, j’ai réussi à prendre le métro. Je suis arrivé au siège de l’entreprise multinationale. Je me suis annoncé à François, le secrétaire particulier de mon géniteur. Cet homme m’avait vu grandir. Il avait dépassé depuis longtemps l’âge de la retraite mais restait fidèle à mon père. Il avait tout sacrifié pour ce dernier. C’était le seul à connaître les moindres secrets de son patron. J’ai frappé à la porte d’entrée du royaume. Je me suis installé face à lui. Son bureau était comme dans mes souvenirs : totalement vide, pas la moindre trace d’un ordinateur, pas un dossier. Juste deux fauteuils en cuir où il recevait les visiteurs. La décoration aussi était réduite au minimum : des rideaux pourpres pour protéger du soleil et au mur une grande photo en noir et blanc de la vallée de la Durance. Vêtu de l’une de ses éternelles vestes à petits carreaux, mon père buvait son thé en lisant le Wall Street Journal.

Il a commencé sans quitter son journal des yeux :

« Que puis-je pour toi, mon cher fils ?
— J’ai des problèmes de liquidité, Papa.
— De quel ordre ?
— J’ai besoin de cinquante mille euros. »

Il a posé lentement sa tasse de thé et son journal. Il a levé ses yeux bleu délavé vers moi en faisant tourner sa chevalière en or :

« Et le métier d’écrivain, ça ne rapporte pas ?
— Non.
— Et celui de scénariste ?
— Non plus.
— Et celui de réalisateur ?
— Encore moins.
— Acteur ?
— Rien du tout.
— Journaliste ?
— C’est sans espoir, Papa.
— Et pourquoi c’est sans espoir ?
— Parce que je suis un mâle blanc hétérosexuel de presque cinquante ans. L’époque est sans merci. »

Mon père s’est levé. Il a ouvert la porte de son bureau et a articulé : « Passe me voir, demain, à sept heures, en costume cravate, s’il te plaît. »
Il a tendu la joue pour que je l’embrasse.
Lui n’embrassait jamais personne.

4
Le lendemain matin, mon père jubilait dans son fauteuil en cuir comme un gosse qui vient de réaliser une belle bêtise. Il tapotait de sa main droite un sac posé sur son bureau. Avant de prendre la parole, il a conservé le silence un long moment. Il a remonté une jambe de son pantalon jusqu’en dessous de son genou et s’est gratté le mollet. Je le connaissais par cœur. C’était le signe chez lui qu’il allait faire feu. Il m’a annoncé fièrement :

« Diego, il y a cinquante mille euros là dedans !

— Merci Papa.
— À une condition !
— Laquelle ?
— Que tu travailles pour la première fois de ta vie.
— Sans problème. Dis-moi ce que je dois faire.
— Remplacer Béatrice Forlaine.
— Qui est Béatrice Forlaine ?
— La DRH d’une de mes entreprises. Une entreprise de désherbant. Ça a même été ma première boîte en fait. Béatrice est en arrêt maladie pour un mois.
— C’est grave ?
— Dépression à mon avis.
— Pourquoi ?
— Parce qu’elle a choisi de se mettre en dépression pendant le mois que va durer la restructuration de l’entreprise.
— Et alors ?

Et alors, le métier de DRH, dans ces cas-là, c’est le pire de tous. Le plus ingrat. Tout le monde va te détester. Si tu arrives à résister à ça, tu auras mérité cet argent.
— Merci Papa.
— File, le chauffeur t’attend. Ton premier rendez-vous est à huit heures trente. Tu vas commencer par rencontrer un magasinier père de quatre enfants. Sur la fiche, Béatrice a inscrit que sa femme est atteinte d’une maladie génétique dont je n’arrive pas à déchiffrer le nom.
— Formidable.
— Bon Dieu comme je t’envie !
— Je ne vois pas trop ce que Dieu a à voir là-dedans, Papa.
— Oh, tu sais, Dieu, le Diable, c’est combines et compagnie tout ça. Il n’y a qu’une cloison qui les sépare. Tu ne vas pas me faire croire qu’ils ne se croisent pas de temps en temps, ces deux-là ! »

5
Antonio Lambert, mon père, possédait de nombreuses entreprises dans toute l’Europe et le monde entier. Il était un PDG reconnu, affichant les meilleurs bilans, estimé par les actionnaires et les salariés. Ses décisions, ses analyses, son charme, son éternel optimisme dans toutes les situations faisaient de lui un leader incontesté. Il venait du Sud. Alors, quoi qu’il arrive, trois cent soixante-cinq jours par an, il prenait tous les matins son petit déjeuner sur sa terrasse, quitte à porter deux manteaux sur ses épaules. Dès qu’il arrivait à son bureau, tous ses collaborateurs vous diront, de la standardiste au chef marketing, qu’ils avaient l’étrange sentiment que plus rien de grave ne pouvait se produire et que si jamais une situation se dégradait, mon père aurait avec certitude une solution. Antonio Lambert était pour ses salariés comme une drogue apaisante, une assurance vie. Il avait une façon très particulière de vous saluer le matin. Il vous serrait la main fortement et vous demandait comment vous alliez. Mais il ne vous quittait pas des yeux et ne disait plus un mot avant d’entendre votre réponse. Surtout, il se taisait tant qu’il n’était pas certain d’avoir bien entendu tout ce que vous aviez envie et besoin de lui dire. Ainsi, comme le silence continuait, vous vous laissiez aller à lui en avouer plus que d’ordinaire. Oui, dans le monde professionnel, cet homme inspirait à ses proches une confiance hors du commun.

Il y avait donc, entre autres, une entreprise de désherbant dans le Nord de la France nommée Ovadis, à Saint-Omer, qui commercialisait des fournitures pour l’agriculture, et faisait le commerce de céréales. Idéalement placée dans la plaine d’Arras, proche du port de Dunkerque, Ovadis avait fort à faire avec une concurrence faite de coopératives agricoles dynamiques. En un mot, l’entreprise vendait tout ce dont les agriculteurs avaient besoin pour produire : engrais, semences, plans, produits phytosanitaires. En échange, la boîte leur achetait plus tard tout ce que les agriculteurs avaient produit : du blé, de l’orge, des pommes de terre. L’entreprise possédait plusieurs entrepôts et magasins, des bureaux et des silos pour stocker les céréales.

Cinquante personnes travaillaient sur le site et vivaient au rythme des saisons et des cultures. La période de pointe se situait à l’époque de la moisson où les agriculteurs venaient livrer leurs récoltes. Alors, on faisait appel à des stagiaires et des CDD qui venaient grossir les rangs de ces travailleurs.

Après des années de succès, l’affaire traversait une période difficile à cause des normes sur les céréales, l’arrivée des lois contre les OGM pour l’agriculture et l’immense pression des écologistes.

La situation était limpide pour ma belle personne. Mon père m’avait nommé dans le rôle de la pire des putes : celui du liquidateur. Me nommer au poste de pseudo DRH, en fait chef du personnel, faisait de moi l’affreux capitaliste qui allait devoir se séparer de quinze salariés. On remplaçait Béatrice Forlaine, actuellement en dépression nerveuse, par le fils du boss.

Béatrice Forlaine, DRH très humaine, appréciée de tous, à laquelle tout le monde venait se confier, qui les avait tous embauchés, qui assurait leur formation, parfois leur promotion, qui gérait les congés comme les petites avances pour les fins de mois difficiles, Béatrice, remplacée par un Parisien affublé d’une barbe de trois jours et des cheveux hirsutes.

Arrivé dans mon nouveau bureau de la Défense, je réalise vite qu’il n’y a aucune latitude pour effectuer ma triste tâche, uniquement ce que la loi impose et aucun budget de négociation. Aline Forbac, ma toute nouvelle assistante, vient de quitter Saint-Omer pour me rejoindre à Paris. Aline semble être une femme d’une rare gentillesse. En revanche, je ne serai jamais tenté de la harceler sexuellement. Elle me raconte l’annonce de la restructuration par mail, le tsunami suscité, l’immense détresse de tous les salariés, largués dans une région sinistrée depuis longtemps par l’emploi, et encore plus par la crise. C’était elle qui avait aussi réceptionné le deuxième mail, celui dans lequel était jointe la liste des quinze victimes à sacrifier.

J’ai annulé mon premier rendez-vous. Je ne me sentais pas d’attaque pour commencer ma journée en disant à un père de quatre enfants et à sa femme handicapée que le type était viré sur-le-champ.

J’ai demandé à Aline les grandes lignes de ce plan social. Il n’y avait rien de très original : raisons économiques, préavis, mois de salaire par année passée dans l’entreprise, congés payés, coordonnées de Pôle emploi. « Putain, j’ai pensé, ils se sont défoncés vingt ans pour cette boîte et moi, je vais leur filer l’adresse postale de Pôle emploi… »

Mon prochain rendez-vous était à neuf heures trente. D’un seul coup, je me suis senti bien seul dans mon grand bureau. À neuf heures vingt-neuf, la porte s’est ouverte et un couple est apparu. J’ai regardé Aline d’un air désespéré mais elle a pris l’air désolé de la meuf qui veut dire : « J’ai trop la honte, je vais m’en vouloir toute ma vie mais j’ai oublié de te prévenir sur ce coup-là. »

J’ai proposé au couple de prendre place. Ils se tenaient la main comme si on venait de leur annoncer la mort de leur putain de gosse ou un truc dans le genre.

« C’est quoi le problème mes amours ? j’ai fait.
— C’est que nous sommes mariés depuis seize ans, monsieur.
— Félicitations.
— Et que nous travaillons tous les deux pour votre entreprise.
— …
— Et que nous sommes licenciés tous les deux.
— Chiotte.
— Comme vous dites.
— Et bien sûr, vous avez des enfants ?
— Trois enfants que nous devons élever, un loyer et plusieurs crédits.
— Bah oui, ce serait pas drôle, sinon.
— …
— Écoutez, je viens d’arriver ce matin. Laissez-moi étudier votre cas et je vous rappelle en fin de semaine.
— Merci monsieur.
— …
— Merci. Vraiment merci. »

À dix heures, j’ai appelé Aline pour la prévenir que j’aurais du retard lors de ma prochaine exécution. Je suis passé par la sortie de service, je suis allé m’acheter un macaron à la pistache et je l’ai savouré assis sur un banc. Il y avait un adolescent trop grand qui tenait sa mère par le bras et j’ai trouvé ça très gracieux.

Quelque chose clochait malgré tout. Je ne comprenais pas l’objectif de mon père dans cette mission. Il m’avait confié une tâche dont la raison m’échappait complètement. Virer des gens pour cinquante mille euros, c’était largement dans mes cordes. Il le savait. Je le savais. La terre entière le savait. Alors pour quoi faire ? Quel était le coup d’après ? »

Extrait
« Je me suis retrouvé seul sur ma chaise, Et là tout s’est effondré. Qui j’étais? Moi, Diego Lambert, quarante-neuf ans, vieil adolescent attardé avec deux prothèses de hanche en céramique, sponsorisé autant que massacré par son père. Moi, Diego Lambert, alcoolique et ancien cocaïnomane sans chéquier et sans permis de conduire. Moi, Diego Lambert, interdit bancaire et incapable d’offrir un week-end au bord de la mer à l’éventuelle femme de sa vie les soirs où elle aurait trop peur de mourir. Qui suis-je? Moi, Diego Lambert, face à une femme sublime, mariée, sûrement heureuse en ménage, mère de famille au métier épanouissant ?
On a beau dire que l’amour est un enfant de bohème qui ne connaît jamais de loi, mes chances de réussir une vie de bohème avec Anne Bellay étaient tout de même assez faibles, pour être franc juste quelques secondes. » p. 68

À propos de l’auteur
REY_Nicolas_©JP_BaltelNicolas Rey © Photo JP Baltel

Lauréat du Prix de Flore avec Mémoire courte, Nicolas Rey a publié romans, nouvelles et chroniques. Dos au mur, son dixième livre au Diable vauvert, a reçu le Prix Gatsby. (Source: Au Diable Vauvert)

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Le café des petits miracles

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En deux mots:
Nelly aime son prof de philo, mais ce dernier ne voit en elle qu’une charmante collaboratrice. En désespoir de cause, elle part pour Venise où la magie des lieux et une histoire de famille enfouie vont lui offrir de quoi panser ses bleus à l’âme.

Ma note:
★★★ (j’ai bien aimé)

Ma chronique:

De Paris à Venise, d’un amour à l’autre

La recette de Nicolas Barreau a beau être à chaque fois la même, elle n’en reste pas moins très efficace. Ce voyage à Venise en apporte une nouvelle preuve.

Héloïse d’Ormesson nous offre chaque année depuis 2015 un nouveau roman de Nicolas Barreau (un pseudonyme derrière lequel les journalistes allemands ont cru reconnaître l’éditrice allemande Daniela Thiele). En 2014, avec Le sourire des femmes, il – conservons pour l’instant le masculin – avait d’emblée trouvé un large public, déjà avide de ce que l’on appelle aujourd’hui les feel good books. Suivront, avec le même succès Tu me trouveras au bout du monde, La Vie en Rosalie et Un soir à Paris.
Le café des petits miracles utilise les mêmes ingrédients de la comédie romantique que les ouvrages précédents et réussit à nouveau à nous concocter une délicieuse recette, pour peu que l’on adhère à sa croyance en la devise des chevaliers, « ces trois mots magnifiques et puissants inscrits sur leurs armoiries et drapeaux: Amor Vincit Omnia» (l’amour triomphe de tout).
Trois mois qui sont aussi inscrits sur l’anneau que Nelly a hérité de sa grand-mère et qui vont la mener à Venise. Mais n’anticipons pas.
Au début du livre la jeune femme est à Paris, amoureuse de son prof de philo. Une flamme qu’elle n’a pas osé déclarer, attendant le moment opportun. Quand ce dernier l’invite à l’accompagner Outre-Atlantique pour un séminaire, on se dit que l’opportunité est bien belle. Sauf que Nelly ne peut prendre l’avion, victime d’une phobie liée à un accident qui l’a traumatisée. Elle devra patienter… et laissera passer sa chance.
C’est en désespoir de cause qu’elle prend le train pour Venise par un froid matin de janvier, histoire de se changer les idées, de découvrir la Sérénissime, mais surtout pas pour tomber dans les bras du premier dragueur venu. Il ne va d’ailleurs pas tarder à surgir, le beau Valentino, pour lui proposer de la guider dans la ville. Mais Nelly ne veut pas se laisser conter fleurette. « Elle aspirait à l’amour, certes. Mais pas à une aventure avec un séducteur (aussi sympathique fût-il), aventure qui serait terminée avant même d’avoir eu le temps d’épeler le mot «avventura». Un Italien ne pouvait s’empêcher de chercher à conquérir le cœur d’une jolie femme — c’était une sorte de sport national. » Mais quelquefois les circonstances – un sac qui tombe sur une gondole – vous poussent à réviser votre jugement.
On se doute bien qu’après quelques rendez-vous manqués et autant de quiproquo, l’amour va finir par l’emporter.
Comme dans la chanson de Jo Dassin, dans ce petit café un peu à l’écart,
« Au rendez-vous des amours sans abri
On était bien, on se sentait seuls au monde
On n’avait rien, mais on avait toute la vie ».
Si l’histoire est certes cousue de fil blanc, elle nous permet de déambuler dans Venise, d’apprendre plus joyeusement que dans un guide de voyage la topographie, l’architecture, l’histoire de cette ville sans doute tout aussi romantique que Paris.
Et quel mal y aurait-il à se laisser entraîner par le charme, l’émotion, la douceur des choses?

Le café des petits miracles
Nicolas Barreau
Éditions Héloïse d’Ormesson
Roman
304 p., 18 €
EAN : 9782350874388
Paru le 8 février 2018

Où?
Le roman se déroule en France, à Paris ainsi qu’à Venise et aux alentours.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Timide et romantique, Éléonore adore s’évader dans la lecture et croit aux présages, petits messagers du destin. N’ayant pas hérité de l’intrépidité de sa grand-mère, elle n’est pas le genre à prendre une décision sur un coup de tête. Mais la vie est parfois imprévisible ! Et une phrase énigmatique trouvée dans un vieux livre peut avoir des conséquences inattendues, de celles qui bouleversent une existence. Éléonore l’ignore encore, par ce froid matin de janvier, quand elle saute dans un train pour Venise…
Destination la Sérénissime où Nicolas Barreau nous embarque dans une magnifique histoire, d’un campo l’autre, au gré des calli et au pied des campanili. Son Café des petits miracles nous invite à prendre le bonheur par la main et à croire en l’amour.
Venezia, amore mio!

Les critiques
Babelio
Blog Des pages et des îles 

Les premières pages du livre
« PROLOGUE
Nelly aimait la lenteur. Elle était plus encline à flâner qu’à se hâter, et elle réfléchissait très longuement avant de prendre une décision. Par ce clair après-midi d’automne, tandis qu’elle se promenait au bord de la Seine et que le serpent de tôle se pressant le long du quai se figeait sous les coups de klaxon, elle ne put s’empêcher de penser à Paul Virilio et à ses théories sur « l’immobilité fulgurante ».
Oui, il était fâcheux que l’être humain essaie toujours de repousser ses limites, et l’accélération croissante du monde ne mènerait à rien de bon. Son mémoire de licence sur Virilio avait toutefois mené Nelly à Daniel Beauchamps, ce qui était une excellente chose. Voilà déjà onze mois, trois semaines et cinq jours qu’elle assistait le professeur de philosophie, et aussi longtemps qu’elle était secrètement amoureuse de lui.
Enfin, très secrètement. Nelly se persuadait parfois que la perspective de leur bonheur prochain était presque plus belle que sa concrétisation, qui se produirait forcément un jour. Qu’y avait-il de plus euphorisant que d’être allongé dans son lit, sous le dais nocturne des possibilités, et de rêver à des choses qui pourraient arriver?
Un sourire hésitant traversa le visage de Nelly, qui, instinctivement, serra plus fort la bandoulière de son sac en cuir. Ce matin-là, Daniel Beauchamps lui avait laissé un message car il voulait discuter avec elle! Se faisait-elle des idées ou le ton du professeur était-il différent, pas comme d’habitude?
L’homme de grande taille, prévenant, qui traînait légèrement la jambe droite (un accident de vélo dans sa jeunesse, pas tout à fait guérie), l’avait aussitôt charmée avec ses yeux bleu translucide, si vifs. Elle n’oublierait jamais que, pour son premier jour de travail, il était venu à l’université en avance, juste pour elle. Cela faisait presque un an que Nelly, plus que ponctuelle, avait monté rapidement l’escalier de la faculté de philosophie, pour constater avec étonnement que les bureaux étaient encore vides. Seul le secrétariat trahissait une présence humaine – une tasse de café au lait solitaire fumait sur un bureau, derrière lequel personne n’était assis : même Mme Borel, auprès de qui Nelly devait se présenter, se faisait attendre. La jeune femme avait donc fait des allées et venues dans le couloir, indécise, pour finir par frapper à la porte de Beauchamps. Alors qu’elle s’apprêtait à baisser prudemment la poignée, elle avait vu, au bout du couloir, le professeur se diriger vers elle, le pas rapide, de sa démarche légèrement balancée.
– J’en étais sûr, avait-il dit, ses yeux scintillant chaleureusement derrière de grandes lunettes. Ma nouvelle assistante est déjà là, et il n’y a personne pour l’accueillir. – Il lui avait tendu la main en souriant, avant de tourner la clé dans la serrure et de l’inviter à entrer. – Après vous, mademoiselle Delacourt, après vous ! Je suis désolé que vous ayez dû attendre. Mon équipe a parfois une conception démesurément large du cum tempore. – Il avait écarté pour elle une chaise devant son bureau encombré, avant de se laisser tomber dans son fauteuil en cuir. – Quoi qu’il en soit : bienvenue dans notre bande de clampins. Les choses ne peuvent que s’améliorer avec vous, je le sens. Puis-je vous offrir un café avant que Mme Borel ne donne signe de vie? Ce qui va probablement durer encore un certain temps…
Il lui avait adressé un clin d’œil, et c’est à cet instant qu’il avait ravi le cœur de Nelly.
Certes, ce n’était pas la première fois qu’on conquérait son cœur; pendant ses études, il y avait bien eu l’un ou l’autre camarade pour lui plaire. Cependant, il s’agissait maintenant de la vraie vie. Elle avait un vrai travail. Et le Pr Beauchamps était un homme, un vrai, pas un garçon amoureux qui chercherait maladroitement ses seins ou ne saurait pas vraiment ce qu’on dit à une femme.
En tant que fille d’une libraire passionnée, qui n’hésitait pas à installer le parc de la petite Nelly devant les rayonnages surchargés de sa boutique à Quimper, et pouvait, plongée dans un roman captivant, oublier son enfant (laquelle sortait de l’étagère un livre après l’autre et jouait paisiblement avec, absorbée dans cette activité), Nelly aimait les livres par-dessus tout. Et en tant que fille d’un affectueux ingénieur du bâtiment qui faisait sauter la petite sur ses genoux et était parti bien trop tôt – un accident tragique, dont Nelly ne parlait jamais, ayant entraîné ses parents dans la mort –, elle était tombée amoureuse de cet homme. Il était plus âgé sans être vieux, cultivé sans être prétentieux, et avait de toute évidence un faible pour les femmes (ce dont Nelly devait prendre connaissance avec un certain malaise teinté de jalousie).
Heureusement, le Pr Beauchamps n’était pas beau. Nelly Delacourt nourrissait une profonde méfiance envers les hommes séduisants, qui étaient en général très imbus d’eux-mêmes et n’avaient rien dans le crâne, tant la vie leur facilitait la tâche. Avec sa démarche gauche, son nez de boxeur prononcé au-dessus de lèvres fines que resserrait la concentration, Beauchamps n’aurait jamais remporté un concours de beauté, mais son regard intelligent et son sourire aimable rendaient extrêmement désirable, aux yeux de Nelly, l’homme capable de donner des cours sur Paul Virilio et Jean Baudrillard aussi intéressants et divertissants.
Au cours des semaines suivantes, elle s’était renseignée discrètement sur son mentor. Divorcé, il vivait apparemment sans petite amie non loin du parc des Buttes-Chaumont, et, avait-elle appris, vouait une grande admiration à Frank Sinatra. C’était déjà un début.
Il faut dire que Nelly connaissait tout Sinatra. Enfant, elle avait le droit de manipuler les vieux disques de la collection de son père, un honneur particulier. Concentrée au plus haut point, elle posait délicatement le fragile saphir sur la galette de vinyle noir, comme papa le lui avait montré, puis la voix veloutée de Frank Sinatra s’élevait, après de légers craquements. Une certaine magie venait emplir le salon, et la petite fille aux boucles brunes, assise dans le grand fauteuil à oreilles, jambes ramenées vers elle, regardait ses parents évoluer sur les notes de Somethin’ Stupid ou Strangers in the Night. Le monde était alors en ordre, et Nelly se rappelait bien l’atmosphère de ces après-midis, quand musique et pénombre l’enveloppaient comme un cocon de soie – un puissant sentiment de sécurité qu’elle n’avait plus jamais éprouvé dans sa vie. Restaient les chansons de Sinatra, et une nostalgie indéfinie qui s’emparait d’elle quand elle les écoutait. »

Extrait
« Se laisser aller à discuter avec des étrangers n’avait jamais été une bonne idée.
Elle se redressa et eut un geste évasif de la main.
– Ah, oubliez ça ! Trop compliqué. Je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps, il vaut mieux que j’y aille.
Elle se leva et lissa son trench.
– Non, il ne vaut pas ! s’exclama-t-il en se redressant précipitamment, lui barrant la vue sur Notre-Dame avec ses deux mètres. Je trouve tout ça devient vraiment excitant ! Tell me more, s’il te plaît.
– Je ne vous connais même pas.
– Je suis Sean, répondit-il avec un sourire désarmant. Et j’adore d’écouter les histoires compliquées. Tu sais ce qu’on dit à la maison, dans le Maine ?
Nelly secoua la tête.
– Non, que dit-on dans le Maine ?
– Aussi long que tu vis, rien n’est simple. Life is trouble. Only death is not, you know, fit Sean qui mit son étui à guitare sur l’épaule et lui tendit une main comme un battoir. Viens, on va boire quelque chose. – Remarquant son hésitation, il eut un nouveau sourire. – Allez, viens ! Dans le Maine, on dit aussi tu ne dois jamais laisser seule une malheureuse femme, avant qu’elle a ri encore.
Nelly se mordit la lèvre inférieure.
– Très drôle ! Je parie que vous venez de l’inventer. »

À propos de l’auteur
Sous le pseudonyme de Nicolas Barreau se cache un auteur franco-allemand qui travaille dans le monde de l’édition. Après le succès phénoménal du Sourire des femmes et de Tu me trouveras au bout du monde et de La Vie en Rosalie, Le café des petits miracles est aussi promis à devenir un nouveau best-seller international. (Source : Éditions Héloïse d’Ormesson)

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