Ubasute

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En deux mots
Pierre a décidé d’exaucer le vœu de sa mère et de la transporter vers le sommet de la montagne pour son dernier voyage. Tout au long de l’ascension, il va évoquer avec elle leurs souvenirs, leur histoire familiale.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

En route pour le dernier voyage

Dans un court et émouvant premier roman, Isabel Gutierrez raconte comment un fils exauce le vœu de sa mère de mourir sur une montagne. Une ultime ascension d’une grande richesse.

Comme nous l’apprend Wikipédia, l’Ubasute est «au Japon une pratique consistant à porter un infirme ou un parent âgé sur une montagne, ou un autre endroit éloigné et désolé, pour le laisser mourir.» Se sachant condamnée, c’est le choix que fait Marie, avec la complicité de son fils Pierre, chargée de confectionner une chaise à dos pour transporter sa mère là-haut sur la montagne, dans la petite grotte sous un grand rocher.
Cet ultime voyage a beau se faire avec une économie de mots, le cœur parle et retrace tous les liens qui ont uni la famille au fil des ans, les moments heureux et les périodes plus difficiles qu’il aura fallu apprendre à surmonter. Pierre peut remonter jusqu’à l’enfance, jusqu’à ces belles années où ils partaient en famille en vacances à la mer, où avec ses sœurs ils avaient pris l’appareil photo de son père pour immortaliser leur amour en réalisant ce cliché de leurs deux corps enlacés sous la tente. Un cliché qui prendra quelques années plus tard le statut d’une relique. Car, après une course en montagne, c’est le corps déchiré par une chute mortelle qui leur sera ramené. «Une absence infinie remplissait nos journées d’enfants et finissait, apprivoisée, par devenir une présence douce et voluptueuse. Nous savions croiser nos regards, les filles et moi, lorsque le tien s’égarait ou se diluait dans le temps. Tu restais alors séparée de nous par une virgule, toi, la voix des mille et une nuits devenue aphone tout à coup, et nous faisions parler les choses à ta place.»
Comment faire le deuil, comment combler le vide abyssal qui s’est alors ouvert? Il aura fallu jouer avec le temps, avec les souvenirs…
«Au bout de longs mois, j’aurais appris à deviner ta présence autour de moi. Dans l’air mêlé tout à coup, dans le lait de la lumière, une voix qui court dans les épicéas du vallon derrière la maison, dans la fraîcheur des vents catabatiques d’été, une trace de rires laissée dans la poudreuse fraîche de l’hiver.»
C’est avec infiniment de pudeur et tout autant de poésie qu’Isabel Gutierrez construit ce magnifique chant d’amour. En remontant à la douleur des grands-parents ayant dû s’exiler de l’Espagne franquiste, elle tisse la trame du tissu familial. Un tissu que l’on sent épais, un peu rêche, mais solide. De plus en plus solide.
«Dans ce temps des mémoires, je découvris d’autres temps. Le temps du regard, celui de l’absence et des retrouvailles. Le temps de la solitude qui deviendrait un jour émerveillement de l’âme. Le temps du silence et des ombres qui s’allongent sur les hautes plaines.»

Ubasute
Isabel Gutierrez
Éditions La fosse aux ours
Premier roman
126 p., 15 €
EAN 9782357071667
Paru le 19/08/2021

Où?
Le roman est situé dans les Alpes suisses, du côté de Zermatt pour le dernier voyage. Il y est aussi question d’un voyage dans les Andes, de montagnes et bords de mer et, en remontant dans l’histoire de l’Espagne du côté de Leon et de l’exil, des Asturies en Bretagne, jusqu’à Argelès-sur-Mer.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Marie va mourir. Elle demande son fils de la porter dans la montagne pour la déposer sous le Grand Rocher. Ce court périple est la dernière chance pour Marie de parler à son fils.
Ce roman autour de l’Ubasute, cette tradition ancestrale du Japon qui voulait que l’on abandonne en montagne une personne âgée et malade, brosse le portrait d’une femme lumineuse. C’est un véritable hymne à la vie, à sa beauté et à sa cruauté.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Goodbook
La Croix (Laurence Péan)
France Bleu (À vous de lire – Isabelle Caron)
Actualitté (Émilie Guyonnet)
Audioblog (Extrait du livre lu par Céline Hamel)
Blog Mes écrits d’un jour
Blog Les jardins d’Hélène
Blog Les livres de Joëlle
Blog Sur la route de Jostein
Blog Le petit poucet des mots

Les premières pages du livre
« C’est un jour de très grand vent, un vent de fin d’automne sur la surface de ce monde.
Marie n’en finit pas de rincer son riz blanc.
Depuis ce matin, les branches du cerisier ont commencé à s’entrechoquer dans un bruit de cannes sèches.
C’est son temps.
Depuis trois saisons, chaque jour qui la fait s’approcher de cette partition de bois brisé est comme une sorte de ravissement. Elle les a comptés: deux cent quatre-vingts jours depuis les premières fleurs blanches du printemps jusqu’à la valse dans le vent qui l’a fait sursauter au réveil.
Chaque matin plus attentive à la clarté naissante — du noir dense qui s’efface au bleu transparent qui advient —, elle a profité avec soin du parfum des herbes, fraîches ou séchées, dans son thé.

Chaque matin, elle a noué et dénoué ses cheveux avec toute la conscience de leur poids dans sa main.
Trois saisons à prendre le pouls du départ, trois saisons à se souvenir que chacune serait la dernière.
Lorsque le dernier plein hiver s’était installé elle avait mouillé de manière parcimonieuse la terre mélangée qu’elle était allée chercher dans les carrières à l’automne précédent. Sous ses mains douces et assurées, la chair terreuse avait pris forme. Marie s’était remise à tournasser sur son vieux tour à pédale. Sous ses mains fermes, l’objet était apparu, un petit bol, d’abord un peu lourd et qui s’était allégé, comme aminci, au fil des heures à pédaler. Il avait aujourd’hui la forme de son âme et la douceur des caresses.
Elle jette un coup d’œil à l’objet posé, en attente. Aujourd’hui, grand vent en liesse par le monde.
Le corps un peu lâche de Marie s’avance près de la fenêtre, un corps lourd d’usure et de sagesse. Elle regarde dehors et se dit qu’il faut qu’elle appelle son fils.
Elle partirait demain en fin d’après-midi, il allait devoir, lui aussi, commencer ses préparatifs.
Quelques vers lui reviennent en mémoire:
Couronne-toi, jeunesse, d’une feuille plus aiguë!
Le Vent frappe à ta porte comme un Maître de camp
À ta porte timbrée du gantelet de fer.
Et toi, douceur qui vas mourir, couvre-toi la face de ta toge
Et du parfum terrestre de nos mains…
Elle aime les poètes comme on aime une soupe — sans avoir jamais osé l’avouer à personne, la comparaison étant fort peu poétique —, elle aime goûter chacun des mots comme elle s’amuse encore à laisser fondre chaque légume qui compose le potage. La douceur de la courge et l’amertume du fenouil.
Marie n’est pas si âgée mais elle a découvert tardivement ce que vivre signifiait et elle s’en est saisi. Les mains en corbeille, elle a accueilli les odeurs piquantes de la tristesse et de l’amour, les cris de plaisir et de désespoir des hommes, toutes sortes de vies, des couleurs éclatantes, des lumières presque éteintes. Demain, elle partirait gonflée de ce saisissement.
Gonflée comme une outre, cette idée la fait sourire, s’imaginant incarner l’outre des vents odysséens que les marins n’avaient pu se retenir d’ouvrir. Elle vérifierait son poids sur la balance avant de monter sur le dos de son fils, elle serait attentive à ne pas lui peser trop, s’il fallait qu’elle laisse là quelques sacs de mémoire, elle le ferait.

Extraits
« Dans ce temps des mémoires, je découvris d’autres temps. Le temps du regard, celui de l’absence et des retrouvailles. Le temps de la solitude qui deviendrait un jour émerveillement de l’âme. Le temps du silence et des ombres qui s’allongent sur les hautes plaines. » p. 43

« Au bout de longs mois, j’aurais appris à deviner ta présence autour de moi. Dans l’air mêlé tout à coup, dans le lait de la lumière, une voix qui court dans les épicéas du vallon derrière la maison, dans la fraîcheur des vents catabatiques d’été, une trace de rires laissée dans la poudreuse fraîche de l’hiver. Tu seras là, penché au-dessus de ma douleur à l’hôpital, et dans la joie mélangée du retour. » p. 57

« Une absence infinie remplissait nos journées d’enfants et finissait, apprivoisée, par devenir une présence douce et voluptueuse.
Nous savions croiser nos regards, les filles et moi, lorsque le tien s’égarait ou se diluait dans le temps.
Tu restais alors séparée de nous par une virgule, toi, la voix des mille et une nuits devenue aphone tout à coup, et nous faisions parler les choses à ta place. Les arbres, les pierres et la morsure glacée du vent. Et puis, tout à coup, l’écran de tes pensées semblait disparaître, tu découvrais un trou au coude de mon pull, l’élastique rompu au bout de la natte de ma sœur et tu nous revenais du fond de l’Océan. » p. 108

« Ils ne forment plus qu’un seul et même corps, informe, dont on ne saurait reconnaître les bras des jambes. Une seule et même douleur en mouvements presque imperceptibles. Ni l’un ni l’autre ne savent encore s’ils auront la force de s’arracher, de se dénouer. Le fils avance très lentement, il lui semble que sa mère s’est endormie dans son dos. »

« Mon fils, entends-tu les mémoires traverser ma voix silencieuse ? Les souvenirs s’épluchent sur le chemin, en couches, dans ton dos robuste. J’aimerais qu’ils te fassent un chaud manteau quand nous serons dans la montagne. Je ne suis pas bonne couturière, ce sera un manteau en morceaux. Des lambeaux qui, ajustés les uns aux autres, forment une histoire. Demain soir, il faudra nous dire adieu. »

À propos de l’auteur
GUTIERREZ_Isabel_©Philippe-MaloneIsabel Gutierrez © Photo Philippe Malone

Isabel Gutierrez enseigne la littérature et le cinéma à Grenoble. Ubasute est son premier roman. (Source: Éditions la fosse aux ours)

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