Ce qu’il reste à faire

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En deux mots
Judith est atteinte d’un cancer. Aidée de sa mère Florence, elle passe par toutes les phases du traitement avant de retrouver sa chambre d’enfant équipée d’un lit médicalisé. Mais la rémission n’est que temporaire et il va falloir retourner à l’hôpital.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

La mère, la fille et son cancer

Dans un court et bouleversant roman, Marie de Chassey raconte le quotidien d’une mère confrontée au cancer de sa fille. Entre espoir et désespoir, combativité et incompréhension.

Florence a décidé de consacrer tout son temps à sa fille, atteinte d’un cancer. «Elle avait passé les premiers mois à l’accompagner à chaque rendez-vous, chaque scanner, chaque séance de chimiothérapie. Elle avait suivi le protocole avec elle. Judith était adulte, mais elle n’avait pas voulu qu’elle porte ce poids toute seule. Ses journées étaient soigneusement planifiées, organisées autour des besoins de sa fille.»
Désormais habituée à la sécheresse des comptes-rendus médicaux – Cancer avec méta. Arrêt des traitements curatifs. Maintien à domicile à la demande de la mère, contre l’avis médical. À rediscuter avec la patiente – elle a pris soin de réaménager la chambre d’enfant avec chaleur et amour, autour du lit médicalisé et de la réserve d’oxygène.
Judith lui en sait gré, même si elle souffre, a de la peine à faire les quelques pas nécessaires à attraper un livre, jusque-là synonyme d’apaisement. Mais au fil des jours tout devient de plus en plus difficile. Théo, chargé des soins, s’en rend bien compte et ses rapports se font de plus en plus alarmants. Mais Florence s’accroche à son rêve. Le cancer peut se soigner, les chances de survie ne sont pas de 0%.
Aussi quand elle découvre que sa fille a fumé la cigarette qui trainait dans son sac à main, elle s’est mise en colère. Elle n’a pas compris qu’il s’agissait d’un petit plaisir. En revanche, elle a accepté la sortie en voiture et la visite dans une boutique de vêtements. Malgré les risques, elle a cru que cette escapade était un bon signe.
Le principe de réalité aura tôt fait de la rattraper. Le compte rendu 31 est alarmant: «Tensions avec la famille. Maintien à domicile compliqué. L’hospitalisation dans notre service serait nécessaire pour une meilleure prise en charge de la douleur et un suivi psy. Alimentation toujours difficile. Asthénie majorée. Transit irrégulier.»
Le style classique, sans fioritures, de Marie de Chassey dit précisément ce drame familial. Au jour le jour on suit Florence, de plus en plus désemparée et Judith, de plus en plus faible.
Avec émotion, on s’attache à cette mère qui tente tant bien que mal de croire à une guérison qui devient de plus en plus hypothétique. Mais peut-on lui en vouloir de ne s’attacher qu’aux signaux positifs. Doit-on l’accabler de négliger les affaires courantes et son métier de traductrice pour ne s’occuper que de sa fille?
À l’heure de la session parlementaire sur la loi consacrée à la fin de vie et aux soins palliatifs, ce récit vient éclairer d’une lumière crue une situation particulière, mais qui a vocation à envoyer un message universel. À la technique et aux traitements anti-douleur administrés aux patients, il conviendrait de porter une oreille attentive aux proches. Car personne n’est là pour tenter de répondre aux questions que Florence se pose sur la pertinence de ces choix, sur les décisions qu’elle est amenée à prendre.
De même, peut-on faire entrer un peu d’humanité dans un univers trop aseptisé, trop clinique? Le débat est ouvert…

Ce qu’il reste à faire
Marie de Chassey
Alma Éditeur
Roman
144 p., 00,00 €
EAN 9782362796180
Paru le 17/08/2023

Où?
Le roman est situé principalement en France, dans un endroit qui n’est pas précisément situé.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Après avoir accompagné sa fille Judith, âgée d’une vingtaine d’années, pendant toute la durée des protocoles de traitement de son cancer, Florence met en place des soins palliatifs à domicile afin qu’elle ne manque de rien. Cependant, malgré l’aide apportée par Théo, un infirmier, elle se sent bientôt dépassée par la tâche tout en s’interrogeant sur le véritable désir de sa fille. Premier roman.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Actualitté (Hocine Bouhadjera)
Wukali (Émile Cougut)
La Presse du soir
Blog Calliope Pétrichor


Marie de Chassey présente son premier roman «Ce qu’il reste à faire» © Production Librairie Mollat

Les premières pages du livre
« Florence a remis les vêtements dans l’armoire grise de la chambre, sans que sa fille le demande. Elle a pris plaisir à les trier par couleur. C’est elle qui les a sortis des valises, les a organisés. Les pulls en haut, les tee-shirts à l’étage du dessous, comme avant.
Avant que sa fille soit là, elle a tout étalé au milieu du salon, a choisi ce qui serait utile. Des piles de tee-shirts, de robes, de pantalons, de shorts. Quelques-uns jamais vus.
Elle n’a gardé que ceux qui lui ont paru chauds, confortables. Ceux qu’elle préfère. Le reste, elle l’a mis dans des housses, avec les affaires d’été.
Sur la commode, elle a disposé quelques objets choisis. A ressorti le tapis à bouclettes de son placard, bordé le couvre-lit bleu et soigneusement placé les coussins assortis.
Elle a voulu lui faire la surprise de cette chambre toute prête. Qu’elle n’ait rien à penser, rien à faire. Lui épargner ces tâches. Sur la porte, elle a conservé le panneau de bois où il est écrit en lettres colorées : Judith.
Sa fille est revenue dans sa chambre d’enfant sans poser de questions.
Peu de temps après le lycée, elle en était partie. Elle s’était installée ailleurs pour poursuivre ses études. Florence l’avait laissée quitter la maison, non sans difficulté. Elle l’avait finalement aidée à trouver un appartement, dans la même ville, pas trop loin. À quelques stations de métro seulement.
Rien n’a changé depuis ce départ. Quelques années sont passées pourtant, jusqu’au jour de son retour. Un retour imprévu, imprévisible.
Toujours les mêmes voisins du dessous, le même nombre de pas de la chambre au salon. La même odeur.
Chaque objet a toujours sa place bien définie. Les coussins s’accordent parfaitement aux tableaux. Le papier peint est dans le même ton que les meubles du salon. La couverture est soigneusement pliée sur le petit fauteuil, rien ne traîne sur le guéridon de l’entrée, la cuisine impeccable.
Tout semble figé.
Pas un bruit. Si l’endroit n’était pas si bien tenu, on le croirait désert. À cette heure-là de la nuit, même l’agitation habituelle de la rue ne monte pas jusque dans l’appartement. Un appartement sur les hauteurs de la banlieue lyonnaise.

Dans ses draps à peine défaits, Florence dort.
Depuis le retour de Judith à la maison, elle a retrouvé le sommeil. Un sommeil peu profond, mais suffisant. Elle n’a plus besoin de somnifères. À l’annonce de la maladie de sa fille, elle avait bien été obligée d’en abuser. Les nuits d’insomnies se succédaient.
Elle tenait à peine debout. Son corps tout entier la trahissait.
Elle avait passé les premiers mois à l’accompagner à chaque rendez-vous, chaque scanner, chaque séance de chimiothérapie. Elle avait suivi le protocole avec elle. Judith était adulte, mais elle n’avait pas voulu qu’elle porte ce poids toute seule.
Ses journées étaient soigneusement planifiées, organisées autour des besoins de sa fille.
Pourtant ces rendez-vous ne l’occupaient pas pleinement, ne l’épargnaient pas du vertige. Les nuits étaient propices aux inquiétudes, aux milliers de «et si» sans fin. Et si le traitement ne marche pas ? Et si elle attrape un rhume ? Et si l’opération échoue ?
Le reste de son temps lui était insupportable.
Ses amis l’avaient vue lentement maigrir, s’assombrir. Ils avaient essayé de l’inviter au cinéma, au théâtre, à dîner.
Essayé de lui changer les idées, avec l’espoir de lui apporter un peu de douceur. Absurde.

Elle n’avait aucune envie de se changer les idées, aucune envie de les voir. Ce qu’elle cherchait, c’était des solutions.
Elle avait passé un temps incalculable, enfermée dans son bureau, à se renseigner sur les différents protocoles possibles, les divers traitements, les régimes alimentaires conseillés, sans trouver de réponses satisfaisantes.
La seule chose qui lui était bénéfique était de s’assommer à coups de somnifères et d’anxiolytiques.
Tout est différent à présent, Judith est revenue.
Son nouvel emploi du temps l’occupe pleinement.
Florence se sent utile. Cela n’est pas loin de la rassurer.
On pourrait facilement craindre qu’elle ne s’épuise, à prendre ainsi soin de sa fille, sans relâche. Mais son regard n’est plus aussi perdu. Il a retrouvé une certaine douceur.
Elle aurait presque repris un peu de poids.
Devant sa glace il lui semble qu’elle se reconnaît de nouveau. Elle n’est plus aussi inquiète.
De temps à autre, seulement, elle se lève en pleine nuit pour être certaine qu’elle respire toujours. Pas besoin d’aller jusqu’à elle, de mettre un doigt sous ses narines comme quand elle était bébé. La machine d’assistance respiratoire fait suffisamment de bruit.
De l’autre côté du couloir, elle peut l’entendre.

Elle est brusquement réveillée par la petite alarme placée sur sa table de nuit. Elle a fait installer une sonnette dans la chambre de Judith pour qu’elle puisse l’appeler. Tout comme cela se fait à l’hôpital.
Elle se lève d’un coup, sans réfléchir. Il y a quelquesjours encore elle aurait sans doute paniqué. Maintenant elle a l’habitude. Très vite, elle a dû s’adapter.
Pas besoin d’enfiler de vêtements. Elle ne dort plus jamais nue. Elle se tient prête. Elle a ressorti de son placard une chemise de nuit.
Elle marche d’un pas rapide jusqu’à la chambre de sa fille. Seulement quelques pas à faire. Dix-neuf exactement.
Elle fait attention à ne pas faire claquer ses talons pour ne pas réveiller les voisins du dessous.
Dans son ancienne chambre d’enfant au papier peint défraîchi, Judith est là. Elle a réussi à se hisser hors de son lit, à s’avancer jusqu’au fauteuil près de la bibliothèque. Impossible de faire un pas de plus. Elle s’est effondrée. Malgré sa petite vingtaine, elle a cette couleur de peau étrange des gens malades. Tantôt grise, tantôt verte, cireuse. Ses cheveux roux contrastent avec cette pâleur. Florence lui a toujours trouvé quelque chose d’une héroïne tragique, enfant déjà.
Elle est encore plus belle quand elle pleure.
Entre deux tentatives de respiration, Judith essaye de l’appeler. Elle a retiré le masque qui lui recouvre habituellement le visage, celui qui l’aide à respirer.

Florence peut voir ses lèvres bouger, se tordre. Rien ne sort de sa bouche. Mais elle n’a pas besoin d’entendre les mots de sa fille. Elle sait. Elle la connaît par cœur.
Elle se précipite à ses côtés. Passe ses mains sous sa tête, tente de la soutenir, de la calmer.
Elle n’est même pas surprise. Cette scène lui est devenue habituelle. Judith est régulièrement prise de panique pendant son sommeil. Elle ne sait pas à quoi cela est dû.
Elle lui murmure à l’oreille :
—Je suis là…
Je suis là.
Elle pose délicatement ses lèvres sur son front, lui donne un baiser. L’enveloppe comme si elle tenait contre elle un nouveau-né.
Elle lui met le masque à oxygène. Enclenche la machine.
Pas d’hésitation dans ses gestes.
Elle lui répète :
—Ne t’inquiète pas. Je suis là.
Les lèvres de Judith ne balbutient pas un mot précis. Pas même ces deux syllabes si lisibles que sont « maman », qui font se rejoindre les lèvres dans un rythme régulier. Mais Florence ne doute pas que sa fille ait juste besoin d’être tenue contre elle. De ce simple contact. Comme elle le réclamait lorsque, enfant, elle se réveillait en pleine nuit, effrayée par le noir, le trop grand silence, les cauchemars.

Et maintenant, il faut attendre.
Elle ne peut rien faire d’autre qu’attendre en la serrant tout contre elle.
Comme si ses caresses pouvaient quelque chose.
Judith se laisse faire, se laisse manipuler.
Si elle en avait eu la force, elle lui aurait souri.
Florence en est convaincue.
Seules dans cette chambre, elles attendent que cela passe.
Que la saturation en oxygène revienne à un niveau convenable, que l’angoisse disparaisse. Que le silence reprenne sa place.
Elle ne sait jamais combien de temps il faut pour que l’écran de saturation affiche 93. Que Judith cesse d’inspirer, d’expirer avec autant de difficulté. Mais elle le sait, cela finit toujours par arriver. Judith parvient toujours à s’endormir.
Alors, elle peut enfin la remettre dans son lit. Un lit médicalisé, qu’elle loue depuis son retour à la maison.
Elle la porte. Elle est devenue si légère.
Avant de sortir, elle allume la petite lampe posée sur la table de nuit.
Dehors le jour s’est sûrement levé, mais les rideaux sont tirés. Pas de témoins.
Pas un son ne traverse les murs.
Le bruit de l’assistance respiratoire remplit tout l’espace.

Extrait
« Lors de sa seconde visite dans l’unité de soins palliatifs on le lui a dit, sans détour, Judith ne guérira pas, Judith va mourir.
Il n’y a pas de mots dans la langue française pour désigner un parent qui perd son enfant.
Pas de mots pour consoler.
Elle ne veut pas être consolée.
Elle s’accroche à ces gestes répétés devant les casseroles. Elle cuisine. Bientôt l’heure des visites.
Tout est cuit. » p. 125

À propos de l’autrice
CHASSEY_marie_de_DRMarie de Chassey © Photo DR

Marie de Chassey, née en 1985, a initialement consacré ses premières années à la musique avant de se tourner vers le cinéma en tant que scripte. Par la suite, elle a poursuivi des études en arts, littérature et linguistique à l’École des hautes études en sciences sociales. Son premier roman, Ce qu’il reste à faire, marque une nouvelle étape dans sa carrière. (Source: Alma Éditeur)

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