Les enfants endormis

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En lice pour le Prix du roman Fnac 2022
En lice pour le Prix Première Plume 2022
En lice pour le Prix «Envoyé par La Poste» 2022

En deux mots
Bien longtemps après la mort de son oncle Désiré, son neveu veut comprendre ce qui s’est joué dans les années 80. La chronique familiale dans l’arrière-pays niçois se double alors de l’histoire du sida, cette maladie «honteuse» que l’on avait alors décidé de cacher.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Chronique intime des années sida

En explorant la passé familial, Anthony Passeron raconte l’histoire que ses proches voulaient occulter. Mais l’intérêt de ce premier roman tient aussi à l’évocation en parallèle d’une maladie qui s’attaque au système immunitaire et de la lutte menée pour éradiquer ce que l’on va bientôt nommer le sida.

Nous sommes au début des années 1980 dans un village au-dessus de Nice. À ce moment, le narrateur – qui n’est alors qu’un enfant – ne comprend pas l’ostracisme dont est victime son oncle Désiré. Il sait ce que lui a confié son père, c’est-à-dire qu’il a dû aller jusqu’à Amsterdam pour le «récupérer». Cette expédition marque en quelque sorte le début du mystère, car l’histoire familiale s’était jusque-là cantonnée au bout de la vallée de la Roya où l’arrière-grand-père avait créé et développé une boucherie avant de la transmettre à son fils Émile, qui l’avait à son tour l’avait confiée à son père.
Pour lui qui passait désormais la majeure partie de son temps derrière la vitrine, on imagine ce qu’a pu représenter cette expédition de plus de mille kilomètres en compagnie de son cousin. Il a toutefois fini par retrouver son frère et à le ramener avec Maya, une Hollandaise mineure et sans passeport, avec qui il partageait le salon chez ses amis hollandais. «Les deux amoureux avaient du haschich plein les poches, mais tout s’est déroulé sans encombre. Ils sont arrivés au village tard dans la nuit.»
Ce n’est que quelques mois plus tard, quand un autre fléau aura essaimé dans la région, l’héroïne, que la famille commencera à s’inquiéter. D’autant que Désiré pioche dans la caisse pour payer sa drogue et que plusieurs faits divers alertent sur ses ravages. Mais lui et sa compagne sont déjà accro. Ils vont régulièrement chercher leur dose à Nice et ne se préoccupent pas des mises en garde des équipes de recherche médicale qui alertent sur la transmission du sida par le sang. Le verdict va alors tomber: le couple est séropositif.
Vient alors l’heure du déni. «Des médecins qui constatent la dégradation progressive de leur patient. Une mère qui affirme que son fils ne souffre pas d’une maladie d’homosexuels et de drogués. Un fils qui dit qu’il ne se drogue plus. À chacun son domaine: aux médecins la science, à ma famille le mensonge.»
La réalité de l’épidémie va s’imposer. Aux décès de l’oncle, de la tante et de la nièce s’ajoutent ceux de personnalités telles que Michel Foucault ou Rock Hudson. Sur fond de rivalité et de tâtonnements entre les travaux des équipes américaines et françaises, les millions de victimes s’additionnent.
Aussi pudique que documentée, l’écriture d’Anthony Passeron retrace ce drame intime et ce combat universel. Du coup, la détresse de cette famille, c’est aussi la nôtre face à un fléau qui fait peur parce que les informations sont trop parcellaires, parce que les quelques cas déclarés ici et là vont sont transformer en une gigantesque vague qu’il n’est désormais plus question de maîtriser. Tout au plus, on va tenter de l’endiguer, notamment en misant sur la prévention. Bouleversant!

Les enfants endormis
Anthony Passeron
Éditions Globe
Premier roman
288 p., 20 €
EAN: 9782383611202
Paru le 25/08/2022

Où?
Le roman est situé en France, principalement dans le haut-pays niçois. On y évoque aussi un voyage à Amsterdam.

Quand?
L’action se déroule de 1980 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Quarante ans après la mort de son oncle Désiré, Anthony Passeron décide d’interroger le passé familial. Évoquant l’ascension sociale de ses grands-parents devenus bouchers pendant les Trente Glorieuses, puis le fossé qui grandit entre eux et la génération de leurs enfants, il croise deux récits : celui de l’apparition du sida dans une famille de l’arrière-pays niçois – la sienne – et celui de la lutte contre la maladie dans les hôpitaux français et américains.
Dans ce roman de filiation, mêlant enquête sociologique et histoire intime, il évoque la solitude des familles à une époque où la méconnaissance du virus était totale, le déni écrasant, et la condition du malade celle
d’un paria.

Les critiques

Babelio
Lecteurs.com

France Inter (Ilana Moryoussef)

Blog motspourmots (Nicole Grundlinger)

Les premières pages du livre
« Prologue
Un jour, j’ai demandé à mon père quelle était la ville la plus lointaine qu’il avait vue dans sa vie. Il a juste répondu : « Amsterdam, aux Pays-Bas. » Et puis plus rien. Sans détourner les yeux de son travail, il a continué à découper des animaux morts. Il avait du sang jusque sur le visage.
Quand j’ai voulu connaître la raison de ce voyage, j’ai cru voir sa mâchoire se crisper. Était-ce l’articulation d’une pièce de veau qui refusait de céder ou ma question qui l’agaçait ? Je ne comprenais pas. Après un craquement sec et un soupir, il a enfin répondu : « Pour aller chercher ce gros con de Désiré. »
J’étais tombé sur un os. C’était la première fois, de toute mon enfance, que j’entendais dans sa bouche le nom de son frère aîné. Mon oncle était mort quelques années après ma naissance. J’avais découvert des images de lui dans une boîte à chaussures où mes parents gardaient des photos et des bobines de films en super-8. On y voyait des morts encore vivants, des chiens, des vieux encore jeunes, des vacances à la mer ou à la montagne, encore des chiens, toujours des chiens, et des réunions de famille. Des gens en tenue du dimanche qui se réunissaient pour des mariages qui ne tiendraient pas leurs promesses. Mon frère et moi, nous pouvions regarder ces images pendant des heures. On se moquait de certains accoutrements et on essayait de reconnaître les membres de la famille. Notre mère finissait par nous dire de tout ranger, comme si ces souvenirs la mettaient mal à l’aise.
J’avais des milliers d’autres questions à poser à mon père. De très simples, comme : « Pour aller à Amsterdam, il faut tourner à gauche ou à droite après la place de l’église ? » D’autres, plus difficiles. Je voulais savoir pourquoi. Pourquoi, lui qui n’avait jamais quitté le village, il avait traversé toute l’Europe à la recherche de son frère ? Mais à peine avait-il ouvert une brèche dans son réservoir de chagrin et de colère qu’il s’est empressé de la refermer, pour ne pas en mettre partout.
Dans la famille, tous ont fait pareil à propos de Désiré. Mon père et mon grand-père n’en parlaient pas. Ma mère interrompait toujours ses explications trop tôt, avec la même formule : « C’est quand même bien malheureux tout ça. » Ma grand-mère, enfin, éludait tout avec des euphémismes à la con, des histoires de cadavres montés au ciel pour observer les vivants depuis là-haut. Chacun à sa manière a confisqué la vérité. Il ne reste aujourd’hui presque plus rien de cette histoire. Mon père a quitté le village, mes grands-parents sont morts. Même le décor s’effondre.
Ce livre est l’ultime tentative que quelque chose subsiste. Il mêle des souvenirs, des confessions incomplètes et des reconstitutions documentées. Il est le fruit de leur silence. J’ai voulu raconter ce que notre famille, comme tant d’autres, a traversé dans une solitude absolue. Mais comment poser mes mots sur leur histoire sans les en déposséder ? Comment parler à leur place sans que mon point de vue, mes obsessions ne supplantent les leurs ? Ces questions m’ont longtemps empêché de me mettre au travail. Jusqu’à ce que je prenne conscience qu’écrire, c’était la seule solution pour que l’histoire de mon oncle, l’histoire de ma famille, ne disparaissent pas avec eux, avec le village. Pour leur montrer que la vie de Désiré s’était inscrite dans le chaos du monde, un chaos de faits historiques, géographiques et sociaux. Et les aider à se défaire de la peine, à sortir de la solitude dans laquelle le chagrin et la honte les avaient plongés.
Pour une fois, ils seront au centre de la carte, et tout ce qui attire habituellement l’attention se trouvera à la périphérie, relégué. Loin de la ville, de la médecine de pointe et de la science, loin de l’engagement des artistes et des actions militantes, ils existeront, enfin, quelque part.

Première partie
Désiré

MMWR
Le MMWR (1), le bulletin épidémiologique hebdomadaire publié aux États-Unis par les centres de prévention et de contrôle des maladies CDC (2), compte peu d’abonnés en France. Parmi eux, Willy Rozenbaum, qui dirige le service des maladies infectieuses de l’hôpital Claude-Bernard à Paris. À trente-cinq ans, avec sa moto, ses cheveux longs et son passé de militant au Salvador et au Nicaragua, l’infectiologue détonne dans le milieu médical parisien.
Le matin du vendredi 5 juin 1981, il feuillette le MMWR de la semaine qu’il vient de recevoir à son bureau. On y décrit la réapparition récente d’une pneumopathie extrêmement rare, la pneumocystose. On la croyait presque disparue, mais, selon le service qui comptabilise les prescriptions médicamenteuses aux États-Unis, elle réapparaît de manière surprenante, presque incompréhensible. Alors que d’ordinaire, cette maladie ne touche que les patients dont le système immunitaire est affaibli, les cinq cas recensés en Californie concernent des hommes jeunes et jusqu’alors en pleine santé. Parmi les rares informations dont dispose l’agence de santé publique américaine à ce stade, l’article relève que, curieusement, tous les patients concernés sont homosexuels.
L’infectiologue referme le rapport et reprend ses travaux de recherche avant d’assurer ses consultations de l’après-midi.
Deux hommes se présentent ce jour-là. Ils se tiennent par la main. L’un d’eux, un jeune steward amaigri, se plaint d’une fièvre et d’une toux qui durent depuis plusieurs semaines. Comme aucun des médecins de ville qu’il a consultés n’a réussi à le soigner, il est venu au service des maladies infectieuses et tropicales de Claude-Bernard. Willy Rozenbaum, perplexe, consulte le dossier que le steward lui tend. Il examine le jeune homme, lui prescrit une radiographie et d’autres examens pulmonaires.
Lorsque celui-ci revient quelques jours plus tard, les résultats de ses examens finissent de convaincre l’infec¬tiologue. Comme il le suspectait, son patient souffre d’une pneumocystose.
La coïncidence est extraordinaire. L’état de ce patient correspond trait pour trait à ce que le médecin avait lu dans le MMWR : une maladie très rare du système pulmonaire survenue chez un sujet jeune, homosexuel, qui n’a aucune raison d’être immunodéprimé. Tout est là, devant ses yeux. C’est la même affection, une maladie quasi éradiquée, qui vient d’être observée chez six patients, cinq Américains et, désormais, un Français.

Le décor
Des mouches. Des mouches de partout. Des mouches sur les morceaux de viande, sur les vitres. Des mouches noires qui jurent sur le carrelage blanc. Des mouches qui copulent sur les côtes de porc et les cuisses de poulet. Des mouches qui naissent dans les plis d’un rosbif et qui meurent, noyées dans le sang. Des mouches qui jubilent dans le bourdonnement du compresseur de la vitrine réfrigérée et qui se rient de la lumière bleue installée pour les électrocuter. Des mouches qui ont définitivement gagné.
C’est à peu près tout ce dont je me souviens du magasin de mes grands-parents. Une boucherie vide et silencieuse, désertée par la plupart des clients d’antan. Ceux qui y viennent encore le font en soutien à la famille, dans un dernier geste de solidarité. Ils discutent un moment, prennent des nouvelles davantage que de la marchandise.
Aujourd’hui, il n’en reste rien. Un panneau « À vendre ou à louer », assorti d’un numéro de téléphone, est affiché sur la vitrine. Toute la rue a subi le même sort. Le primeur, le salon de coiffure, le libraire, le réparateur de télévisions, la mercerie. Tous les commerces ont été progressivement abandonnés, comme les appartements au-dessus. Faute de candidats à la location, ils ont baissé le rideau. De l’époque faste, il ne demeure qu’un survivant en sursis : un petit institut de beauté au style désuet. La rue est désespérément vide. On n’y croise plus que des chats errants qui ont pris possession des caves des magasins. Ils vont et viennent à travers les grilles déchirées des trappes d’aération qui affleurent au ras des trottoirs. Quelques adolescents zonent parfois dans le coin. Perchés sur des scooters bricolés, assis sur les marches des anciennes boutiques, ils se disputent des paquets de cigarettes, s’insultent à longueur de journée. En l’espace de quelques décennies, l’ancienne sous-préfecture, autrefois prospère, s’est inexorablement endormie. Le centre est devenu périphérie. Les cris des enfants se sont tus. Mon décor a disparu.
Ça pourrait avoir son charme, pourtant. Avec les platanes le long de la rivière, le marché paysan et les ruelles, on pourrait se croire dans une Provence fantasmée. Mais autour du vieux village, les HLM décrépits, les épaves de voitures et les usines fermées racontent une tout autre histoire. Pour la comprendre, il faut d’abord en situer le territoire : une bourgade oubliée, perdue à la lisière de deux mondes, quelque part entre la mer et la montagne, la France et l’Italie. Puis, présenter la topographie : un village installé au fond d’une vallée, à la confluence d’une rivière et d’un fleuve dans ses dernières résistances alpines, juste avant qu’il ne s’abandonne à la plaine et vienne mourir dans la Méditerranée. Dire ensuite la rudesse du climat, les hivers qui s’éternisent au fond des replis encaissés, et les étés qui accablent, comme si, des climats alpin et méditerranéen, on n’avait gardé que le pire. Entre les forêts de pins sombres perdues dans la brume et les chênaies des adrets les plus favorables, le village s’était toutefois imposé comme une place commerciale où les paysans des hameaux voisins venaient vendre leurs maigres productions. Enfin, il faut intégrer à cette description des éléments historiques, rappeler que jusqu’au milieu du XIXe siècle, cette bourgade délaissée aux marges du comté de Nice, c’était encore l’Italie. Quand était venu le temps de l’annexion, la France en avait fait une sous-préfecture. Elle tentait de susciter ici un sentiment d’attachement à la patrie nouvelle. La construction de la route nationale et du chemin de fer reliant Nice à Digne avait permis au territoire de sortir peu à peu de l’enclavement. Des chantiers titanesques, du percement des tunnels à l’édification de viaducs monumentaux, menés à grand renfort d’ouvriers italiens, avaient ouvert la voie vers le littoral.
Malgré une économie plutôt fragile, une fraction de la population était parvenue à s’enrichir, à accumuler des biens : des entreprises, des commerces, des terrains et des appartements. Face à la vie austère des ouvriers des champs et des fabriques, une petite bourgeoisie locale se distinguait, accédait à une vie plus confortable. Sur les cartes postales en noir et blanc du début du XXe siècle, on voit ces familles qui flânent fièrement sur la promenade longeant la rivière, s’installent à la terrasse du café sur la place. L’une de ces photographies d’époque montre la devanture impeccable du magasin de ma famille. Un homme en costume se tient à l’entrée, droit et fier. Son nœud papillon et son chapeau sont impeccables. Il s’appelle Désiré. Mon arrière-grand-père fixe l’objectif d’un air sévère. Le contraste avec les autres habitants qui remontent la rue dans leurs salopettes de travail sales et rapiécées est saisissant. Cette image jaunie raconte à elle seule tout ce que signifiait notre nom. »

1. Morbidity and Mortality Weekly Report : bulletin hebdomadaire de morbidité et mortalité.
2. Centers for Disease Control and Prevention : le siège des CDC est situé à Atlanta, en Géorgie.

À propos de l’auteur
PASSERON_Anthony_Jessica_JagerAnthony Passeron © Photo Jessica Jager

Anthony Passeron est né à Nice en 1983. Il enseigne les lettres et l’histoire-géographie dans un lycée professionnel. Les Enfants endormis est son premier roman.

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