Le Prix

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Sélectionné pour le « Prix Orange du livre 2019 »

En deux mots:
En ce 10 décembre 1946, Otto Hahn est à Stockholm en compagnie de son épouse pour assister à la remise de son Prix Nobel de chimie. Alors qu’il se préparer Lise Meitner, qui a travaillé avec lui durant des dizaine d’années vient lui rendre visite pour lui demander des comptes. Commence alors un huis-clos intense, étouffant, étincelant.

Ma note:
★★★★★ (coup de cœur, livre indispensable)

Ma chronique:

Huis-clos à Stockholm

En imaginant le huis-clos entre Otto Hahn, Prix Nobel de chimie et son ex-collaboratrice Lise Meitner, Cyril Gely fait bien plus qu’éclairer un point d’histoire. Il nous offre une tragédie classique de très haute volée.

Et si le plus beau des romans n’en était pas un? Et si une fois encore la réalité dépassait la fiction? Avec «Le Prix» Cyril Gely a construit une petite merveille à partir de personnages ayant réellement existé, les scientifiques Otto Hahn et Lise Meitner. Si, au fil du récit, le lecteur va découvrir les grandes lignes de leurs biographies respectives, c’est avant tout leur rencontre dans un hôtel de Stockholm le 10 décembre 1946 qui va faire de ce récit une tragédie digne des classiques tels qu’énoncés par Boileau en 1674 dans L’Art poétique:
« Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli. »
Si le deux chercheurs se retrouvent dans la capitale suédoise, c’est parce qu’Otto Hahn vient y réceptionner le Prix Nobel qui lui a été décerné deux ans plus tôt pour sa découverte sur la fission nucléaire. De fission, c’est-à-dire de l’éclatement d’un noyau instable en deux noyaux plus légers, il va en être beaucoup question dans ce huis-clos, au moins au sens symbolique. Car Otto et Lise ont travaillé ensemble durant plus de trente ans, après leur rencontre en 1907 à l’Institut de chimie de l’université de Berlin. C’est conjointement qu’ils mèneront leurs recherches et publierons jusqu’au 12 juillet 1938. Une complicité de tous les instants, même s’il n’est pas question d’amour. «Ensemble, ils faisaient des merveilles», comme lorsqu’ils interprétaient la Mélodie hongroise de Schubert.
Mais le poids de l’Histoire vient mettre un terme brutal à cette relation. Après l’Anschluss, Lise l’Autrichienne devient citoyenne allemande et sa religion juive devient alors un fardeau de plus en plus pesant. Lise doit fuir et tenter de gagner la Suède via les Pays-Bas.
Otto et Lise vont pouvoir échanger quelques lettres, faire le point sur leurs recherches. Car ils sont proches du but: «La solution, ils la tenaient. Ils l’avaient sur le bout de la langue, encore un mois ou deux, et ils allaient la révéler au monde entier.»
Mais au moment de conclure leurs travaux, Otto publiera seul l’article qui lui vaudra le Nobel.
Lise n’est pas venue le féliciter, mais demander des comptes. Passe encore qu’elle ne soit pas associée à cette distinction, mais pourquoi – maintenant que la Seconde Guerre mondiale a pris fin – ne mentionne-t-il même pas le nom de la physicienne dans son discours?
Une accusation qui fait sortir l’Allemand de ses gonds: «Je t’ai sauvée la vie, j’ai pris des risques, je t’ai confié la bague de ma mère. Et toi, tu reviens huit ans plus tard, avec des allégations pleines de fiel! Si tu n’étais pas Lise Meitner, si nous n’avions pas en commun plus de trente années de travaux, il y a longtemps que je t’aurais mise dehors! »
Mais la physicienne a du répondant. Des arguments tout aussi percutants. Jamais l’adage «derrière chaque grand homme, se cache une femme» n’a paru plus pertinent. Car il semble bien que sans Lise, Otto ne serait pas dans cet hôtel, se préparant à recevoir la plus belle des récompenses pour un scientifique. Pour faire bonne mesure, on ajoutera la collaboration avec le régime nazi à cet «oubli».
Cyril Gely, qui a derrière lui de grands succès au théâtre et comme scénariste, nous offre des dialogues ciselés, une tension dramatique qui va crescendo jusqu’à l’épilogue, sans oublier quelques clins d’œil allant vers le Vaudeville quand on apprend, par exemple, que l’épouse d’Otto loge dans la chambre contigüe et que la porte peut s’ouvrir à chaque instant.
Subtilement, les arguments de l’un et de l’autre vont se confronter, donnant au lecteur tous les éléments pour se forger une opinion. Le fruit de la passion commune est mûr au moment d’enfiler le smoking pour rejoindre la grande réception. À vous de le cueillir. Et de savourer avec moi ce chef d’œuvre, car cette confrontation pose des questions qui n’ont pas perdu de leur acuité aujourd’hui. De l’antisémitisme latent à la place des femmes dans la société, de la résistance face à un pouvoir inique à la responsabilité des scientifiques quant à l’usage qui sera fait de leur découverte.

Le prix
Cyril Gely
Éditions Albin Michel
Roman
224 p., 19 €
EAN 9782226437105
Paru le 02/01/2019

Où?
Le roman se déroule principalement en Suède, à Stockholm. On y évoque l’Allemagne, à Berlin, à Göttingen, Hechingen et Tailfingen ainsi que la fuite de Lise à Stockholm via les Pays-Bas.

Quand?
L’action se situe en 1946.

Ce qu’en dit l’éditeur
« Huit ans qu’elle attendait cette entrevue, qu’elle l’imaginait jour après jour. Elle avec Hahn. Elle contre Hahn. Huit ans. Et ce jour est enfin arrivé. »
Le 10 décembre 1946, au Grand Hôtel de Stockholm, Otto Hahn attend de recevoir le prix Nobel de chimie. Peu avant l’heure, il est rejoint dans sa suite par Lise Meitner, son ancienne collaboratrice avec laquelle il a travaillé plus de trente ans. Mais Lise ne vient pas le féliciter. Elle vient régler ses comptes.
Dans ce huis clos implacable, Cyril Gely, l’auteur de la pièce de théâtre Diplomatie (adaptée à l’écran par Volker Schlöndorff et récompensée par le César de la meilleure adaptation), confronte la vérité de deux scientifiques aux prises avec l’Histoire.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com 
France Bleu (émission Les livres – Sylvie Thomas)
Blog Les mots chocolat 
Blog L’animal lecteur
Le blog de Squirelito

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Nul ne sait ce que nous réserve le passé.
Cette phrase, Hahn l’a en tête depuis qu’il est éveillé. Il ne saurait dire pourquoi. Elle est venue, d’un coup, alors qu’il ouvrait les yeux. Les mots ont semblé danser un instant face à lui, puis ont envahi son cerveau. Impossible de se rendormir. Depuis, Hahn est à la fenêtre – qu’il a ouverte.
La lumière perce à peine à travers le ciel gris. Juste assez pour distinguer l’opéra et, face à lui, le palais royal de Stockholm. Dans l’autre chambre, Edith dort toujours. Les trottoirs sont recouverts de neige. Le toit des maisons aussi. Un étrange silence assourdit la ville. Hahn ne ressent pas le froid mordant qui lui saute au visage. Il ne l’a jamais ressenti. Même enfant, sa mère courait sans relâche derrière lui pour le couvrir. Hahn regarde sa montre, il est sept heures quarante-trois, et c’est la journée la plus importante de sa vie.
Le Comité lui a réservé une suite au Grand Hôtel. La suite 301, au troisième étage. Une large porte donne sur une entrée quelque peu étroite, où sont exposés plusieurs portraits. Puis un salon immense avec deux chambres de chaque côté. Celle de Hahn est à gauche. Edith dort encore dans celle de droite. Au-dessus du canapé en cuir, un tableau de William Turner, Tempête de neige en mer.
On pourrait croire que ce tableau a été placé sur ce mur exprès. Ce n’est pas impossible, mais rien ne le prouve non plus. Nous y reviendrons en temps utile.
Hahn a saisi les trois feuilles posées sur son bureau. Son écriture est distinguée, tranchante, sans ratures. Il relit pour la énième fois le discours qu’il a écrit. Ce discours, il le connaît par cœur. Mais ce matin, à la pâle lumière du jour, Hahn a besoin de se rassurer.
Ses lèvres se mettent à bouger. Les mots qu’il susurre à peine sont en anglais – langue que Hahn maîtrise parfaitement. Dans sa jeunesse, il a étudié à Londres et Montréal, avec Ramsay et Rutherford. Il parle de l’Allemagne meurtrie, de la malheureuse Allemagne, d’abord oppressée par les nazis, et maintenant par les Alliés. Il certifie que les scientifiques allemands n’ont pas souscrit au régime hitlérien. Et ajoute enfin qu’il ne faut pas juger trop durement la jeunesse de son pays. Comment pouvait-elle se faire une idée ? Sans radio étrangère, sans presse libre ? Nous avons tous été opprimés pendant douze ans, il est temps de tourner la page.
Soudain, Hahn a étrangement froid. Il ferme la fenêtre et passe la robe de chambre étendue au pied de son lit. Une douleur aiguë lui traverse l’estomac. Hahn glisse jusqu’à la salle de bains et verse un peu d’eau de mélisse dans un verre. Il boit, espérant que cela fera passer l’inflammation. Trop de nourriture, d’alcool, de café. Trop de stress, aussi. Depuis leur arrivée à Stockholm, mercredi dernier, il y a près d’une semaine, les Hahn n’ont pas eu un soir pour eux. Dîners, banquets, agapes, soupers. Ils ont mangé comme quinze ! En Allemagne, il n’y a rien. Ici, les magasins regorgent de nourriture. L’avantage d’être un pays neutre. La contrepartie est ce goût légèrement citronné de l’eau de mélisse. Otto Hahn a une maudite indigestion. »

Extraits
« Lorsque Edith ouvre les yeux, sa première pensée est pour Lise. Ça fait si longtemps que les deux femmes ne se sont pas vues. Huit ans. Edith se souvient parfaitement de la date. Le 12 juillet 1938. Un siècle, un millénaire. Elle a du mal à comprendre son silence. Si pendant la guerre s’écrire ou se voir pouvait être compliqué, ça l’est moins depuis la chute de Berlin, en mai 1945. À la même date, pratiquement jour pour jour, Hahn était enlevé par des soldats anglais.
Edith se lève péniblement. Ses mains tremblent. Elle prend appui sur la table de chevet. Elle sait déjà que ce ne sera pas une bonne journée. Une ombre noire passe devant son visage. Edith la chasse d’un revers de main. Mais l’ombre revient. C’est toujours ainsi les mauvais jours. Mieux vaut ne pas lutter. Edith l’a compris au fil des années, c’est pourquoi elle éteint sa lumière et reste couchée.
Dans la pénombre, les souvenirs jaillissent. Ceux de la nuit du 12 juillet 1938. Et ceux d’avant. Jamais ceux d’après. Comme si cette date mémorable marquait, pour Edith, une frontière. Non entre le bien et le mal, mais plutôt entre l’insouciance et l’inquiétude. C’est depuis cette nuit-là qu’elle fait chambre à part avec Otto. »

« À eux trois, ils formaient un atome. Le noyau était composé d’Otto et de Lise, l’un proton, l’autre neutron. Edith était l’électron qui tournait autour – qui tournait sans jamais espérer s’en approcher un jour. »

« Hahn aimerait être ailleurs. A Göttingen, à Berlin, à dix mille kilomètres de Stockholm! Lise patiente. Elle n’a pas encore déplacé toutes ses pièces sur l’échiquier. Elle distingue à peine son vieil ami face à elle, et l’entend tout juste respirer. Mais si la lumière jaillissait soudain dans la pièce, elle sait que son visage porterait les traces de son affrontement. Quelques cernes plus profonds sous les yeux, les bajoues légèrement plus flasques. Hahn n’est pas un dieu. Ce n’est qu’un homme que Lise veut démettre de son piédestal ».

À propos de l’auteur
Cyril Gely est romancier, auteur de théâtre à succès – plusieurs fois nommé aux Molière pour Signé Dumas (Francis Perrin/Thierry Frémont), Diplomatie (Niels Arestrup/André Dussollier) – et scénariste (Chocolat de Roschdy Zem avec Omar Sy et James Thierrée). Il a reçu le Grand Prix du jeune théâtre de l’Académie Française, le Prix du Scénario au festival International de Shanghai et le César 2015 de la Meilleure adaptation pour Diplomatie, réalisé par Volker Schlöndorf. (Source : Éditions Albin Michel)

Site Wikipédia de l’auteur

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