La Mer Noire dans les Grands Lacs

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En deux mots
Née en Roumanie d’un père congolais retourné au pays et d’une mère professeur d’université, la narratrice va partir à la recherche de son histoire, essayer de retrouver son père, de comprendre le mutisme de sa mère et de s’émanciper d’un pays qui la traite en paria.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

«Mon fils, écoute bien tout ce que je vais te dire»

Dans un premier roman bouleversant, Annie Lulu retrace la quête de Nili Makasi, de la Roumanie où elle est née, en passant par Paris où elle a étudié, jusqu’au Congo où elle est partie retrouver son père.

« Je m’appelle Nili Makasi, ce n’est pas un nom commun pour une Roumaine. Je suis née à Iaşi, dans la région moldave au nord-est de la Roumanie. J’ai eu une mère, ou plutôt ma mère a longtemps eu honte de moi, et je n’ai pas connu mon père, un étudiant congolais reparti après la révolution en 1990. À l’époque de ma naissance, c’était encore la dictature, le grand Conducător faisait venir des tas d’étudiants dans le pays, des Africains, des Égyptiens, des Syriens, ils venaient apprendre le communisme pour retourner ensuite essayer d’en faire quelque chose de potable chez eux, devenir l’avant-garde éclairée du prolétariat international, les cerveaux de l’égalité mondiale.» En nous présentant la narratrice de son roman riche en émotions, Annie Lulu pose le décor d’une quête qui va la conduire à Paris puis au Congo, à la recherche de ce père qui l’a abandonnée.
Se retrouvant seule avec une fille métisse, sa mère va alors déverser toute sa frustration sur sa fille: «J’aurais dû te noyer quand t’es née, j’aurais dû t’écraser avec une brique.» À sa charge, on dira qu’elle sait la difficulté à exister dans ce contexte de dictature et de misère sociale et que sa rigidité, sa sévérité avait pour but d’offrir à Nili les moyens de s’en sortir. Ce qui, au moins jusqu’à l’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne, en 2007, était loin d’être gagné.
Mais ces dix-huit années durant laquelle sa mère a eu honte d’elle ont forgé son caractère. Elle entend désormais tracer sa voie pour ne pas étouffer. Le salut viendra avec une bourse d’études d’une université parisienne, même si là encore il va lui falloir se débrouiller avec très peu de moyens. Mais petit à petit, elle se construit un réseau et découvre la solidarité des exilés. Une solidarité dont elle va avoir besoin le jour où elle entend quelqu’un parler de Makasi, le nom de son père. Peut-être y-a-t-il moyen de le retrouver ? Peut-être qu’un Congolais peut chercher dans un annuaire? Peut-être que quelqu’un a entendu parler de lui? Après une longue attente, le miracle se produit. Nili va économiser pour s’acheter un billet d’avion pour Kinshasa.
Sans dévoiler la suite du livre, j’ajoute que le livre est construit comme une longue lettre écrite aujourd’hui au fils que Nili va mettre au monde. Qu’au moment de vivre la même expérience que sa grand-mère et sa mère, elle entend lui faire le plus beau des cadeaux, la vérité. «Tu sauras tout de ce que je suis dans les moindres détails de mes renfoncements sombres et de mes secrets. On ne peut pas faire autrement quand on aime un enfant qui va grandir dans l’immensité vertigineuse de l’absence, et toi, mon fils, tu es là, tu sens déjà ce carambolage continu qu’est ma vie. Alors je ne te cacherai pas derrière des vêtements trop grands et je ne t’empêcherai pas d’entendre la vomissure humaine, je te préparerai. À être fort.»
Cette confession qui est tout à la fois un cri de rage et une déclaration d’amour, une plongée dans un passé douloureux et un chant d’espoir, est portée par une plume nourrie de plusieurs cultures qui s’entrechoquent et s’enrichissent. Une plume étincelante qui marque une remarquable entrée en littérature.

Signalons qu’en fin de volume, on trouvera une traduction succincte des termes et expressions non traduits ainsi que quelques précisions au sujet de figures historiques et culturelles dont il est fait mention.

La Mer Noire dans les Grands Lacs
Annie Lulu
Éditions Julliard
Roman
224 p., 19 €
EAN 9782260054627
Paru le 21/01/2021

Où?
Le roman se déroule autour de trois pôles, d’abord en Roumanie, principalement à Iasi et Bucarest puis à Paris et en région parisienne et enfin au Congo, à Kinshasa et Bukavu.

Quand?
L’action se déroule des années 1990 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Née en Roumanie, dans une société raciste et meurtrie par la dictature, Nili n’a jamais connu son père, un étudiant congolais disparu après sa naissance. Surmontant au fil des ans sa honte d’être une enfant métisse, Nili décide de fuir à Paris où elle entend, un jour, dans la rue, le nom de son père: Makasi. Ce sera le point de départ d’un long voyage vers Kinshasa, à la recherche de ses racines africaines. Elle y rencontrera l’amour, le combat politique, la guerre civile et la mort. Et en gardera un fils, auquel s’adresse cette vibrante histoire d’exil intérieur, de déracinement et de résurrection.
Écrit d’une plume flamboyante, à la fois poétique, intense, épique et musicale, au carrefour des traditions balkaniques et africaines, ce premier roman sur la quête des origines bouleverse par sa profondeur et sa beauté.

Les autres critiques
Babelio
Lecteurs.com
Libération (Claire Devarrieux)
We Culte (Serge Bressan)
France Culture (L’invitée culture)
Lettres capitales (entretien réalisé par Dan Burcea)
Chroniques littéraires africaines (Sonia Le Moigne-Euzenot)
Podcast Fréquence protestante (Francoscopie – Boniface Mongo Mboussa)
RFI (Rendez-vous culture – Sarah Tisseyre)
RFI (Vous m’en direz des Nouvelles – Jean-François Cadet)
Radio RCF (Christophe Henning)
Esto magazine (Dominique de Poucques)
Le bien Public (Stéphane Bugat)
Le blog de Gilles Pudlowski
Le Dauphiné (Stéphane Bugat)
Métro.be (Oriane Renette – entretien avec Annie Lulu)
Deci Delà Le blog de Frédéric L’Helgoualch
Blog Baz’Art
Blog motspourmots (Nicole Grundlinger)
Blog Le domaine de Squirelito


Vanessa Springora et Annie Lulu présentent La Mer Noire dans les Grands Lacs © Production Julliard

Les premières pages du livre
« J’aurais dû te noyer quand t’es née, j’aurais dû t’écraser avec une brique. Cette phrase entendue enfant me revient sans cesse en tête. C’est ainsi qu’a commencé cette histoire de parias, parce que, d’une façon ou d’une autre, elles nous ont détruites, nos mères. Elles nous ont donné tout ce qui les consume, la haine qu’elles nourrissent pour leur propre désir, elles nous ont refourgué le paquet en nous disant : Démerde-toi. Mais moi, avec toi, mon fils, je ne pourrai pas, je ne pourrai pas faire autre chose que te faire grandir, sans te mentir, sans t’effacer.
Par où ta nuit commence, c’est comme te tremper dans un bain de senteurs, avec la mer en dedans, retenant le varech et le mouton des vagues, et tout ce que tu pourras imaginer de beau après le cri époumoné pour te sortir du monde. C’est comme sortir du monde en cavalcade, en chaleur, te rejoindre toi-même dans les yeux plissés d’un visage qui domine l’aube et ton corps chaque fois que tu fermes les yeux, chaque fois que t’emporte la houle de tamarins et de jaques qui te fait respirer, poser tes cuisses sur l’aine et ton front sur des lèvres qui ne te quitteront plus, les poumons humides et la voix moite, aussi longtemps que le remous qui t’a appelé dure, soupire et recommence. Avant que je te raconte, c’est ce que tu dois savoir, qu’on t’a appelé deux fois, qu’on t’a étreint en suffoquant la sueur, avec ton père, dans des noyades désarmantes, dans la splendeur de ce pays, on t’a appelé deux fois pour que tu viennes mûrir le mangoustan charnu découvert sous nos ventres, le roulis liquide d’un arbre à fruits d’espérance. Tu t’es retrouvé là, à émerger au tempo de l’ardeur où vibrait le cahotement de cette histoire de peaux, qui nous a ballottés, et qu’on appelle l’amour. Ce n’étaient que deux nuits dans le chant des insectes et d’un ventilateur, dans une maison de bois entre de vieux bâtiments, à l’est du cœur du monde, à l’est de tout espace, à l’abri dans l’étendue de cet amour immense depuis lequel ton père t’a décillé de toutes ses fibres et de tout son rythme joyeux, pour que tu voies, toi aussi tôt ou tard, combien c’est bon d’aimer. Alors moi, je te parle entre les côtes, depuis ce bord de lac calme, depuis l’odeur qui s’y est accrochée et toi, mon fils, écoute bien tout ce que je vais te dire, je ne pourrai pas répéter, ce sera dur de dire deux fois cette histoire jusqu’au glissement lent de ton père dans le plein de ma nuit.
D’abord, je t’aime. Tu es un peu la barque amarrée à un bout de terre ferme qu’on s’est fabriquée par besoin ton père et moi, par convocation du désir en nous, pour vivre et conjurer des tas de défaites, dont une vraiment sanglante qu’on n’avait pas prévue et qui m’a fait atterrir ici, à Bukavu. Je t’aime et tu viens au monde par la beauté. C’est quoi au juste, je vais te dire, la beauté, c’est une lignée bizarre de l’univers qui grandit dans quelque chose d’impair. Et ça a tellement maturé en moi, cette idée du chiffre impair, que je ne peux m’empêcher aujourd’hui de penser ma place d’avant, quand tu n’existais pas encore, il y a quelques mois à peine, avant que je débarque ici, au Congo. Ma place d’avant, comme celle d’un élément hydrophobe flottant à la surface d’une eau remplie d’air. Un tas de gras glissant, non préhensible, et qui pue. Voilà ce que j’étais. Une fille qui n’arrivait pas à devenir une femme, élevée en Europe et venue ici chercher son père pour lui faire payer la lâcheté indiscutable de m’avoir abandonnée à l’autre bout du monde en se fichant pas mal de ce que j’allais devenir. Il fallait que je le retrouve. Et je l’ai retrouvé. Au terminus de cette poursuite, tu t’es jeté dans l’imprévu de ma vie et aujourd’hui, mon fils, c’est ici que tout commence. Ce lac Kivu au bord duquel nous sommes assis ensemble, sur le ponton de l’étroite maison d’où je te parle, il en arrache pas mal à tous ceux que je connais, des étincelles iridescentes et douces, des écailles de poisson grises qui colonisent les joues et qu’on appelle des larmes. La lumière de cette fin d’après-midi d’automne fait reluire leur sédiment de bénédictions. De mes mains à mon ventre, de mon ventre à ce lit pluvial, il y a des cordes de limon, des générations de coquillages placentaires. Et toi, mon fils, je te demande de vivre. De ne pas avoir peur. Je te demande de tenir bon dans notre ventre. Alors maintenant, écoute bien, avant que tu naisses, que tu débarques dans le sillage de soufre que tous nos disparus ont laissé derrière eux, laisse-moi te raconter, comment j’ai cherché mon père, et comment on s’est retrouvés ici, toi et moi.
La fille roumaine de mon père congolais
Je m’appelle Nili Makasi, ce n’est pas un nom commun pour une Roumaine. Je suis née à Iaşi, dans la région moldave au nord-est de la Roumanie. J’ai eu une mère, ou plutôt ma mère a longtemps eu honte de moi, et je n’ai pas connu mon père, un étudiant congolais reparti après la révolution en 1990. À l’époque de ma naissance, c’était encore la dictature, le grand Conducător faisait venir des tas d’étudiants dans le pays, des Africains, des Égyptiens, des Syriens, ils venaient apprendre le communisme pour retourner ensuite essayer d’en faire quelque chose de potable chez eux, devenir l’avant-garde éclairée du prolétariat international, les cerveaux de l’égalité mondiale. Enfin l’idée pour le Conducător c’était surtout de copiner avec tous les autres grands chefs paranos qui pouvaient l’aider à renflouer ses caisses vides, et il en a trouvé un qu’il aimait particulièrement, un maréchal assassin à la tête du Congo, ce pays qu’on appelait Zaïre dans le temps, ils étaient copains, comme cul et chemise, voilà pourquoi il y avait plein de jeunes Congolais en tribulation périlleuse en Roumanie dans ces années-là, et il y en avait plein au campus des étudiants étrangers de la faculté des sciences de Iaşi, la ville où j’ai vu le jour. C’est là-bas, pendant une petite fête un soir de mars 1989, que ma mère, inscrite en première année à la faculté des lettres, a rencontré mon père, Exaucé Makasi Motembe. Je n’ai pas su grand-chose de lui jusqu’à ce que l’Afrique naisse en moi et que je vienne ici, au Congo. À l’est du cœur du monde. Ma mère m’a dit une fois que mon père était le garçon le plus beau et le plus intelligent de tous les étudiants en mathématiques d’alors, un idéaliste promis à une grande carrière dans son pays, un panafricain qui voulait fonder les États-Unis d’Afrique, et puis elle m’a dit que bon, en fait, il n’était pas si beau, juste un rêveur en calamiteuse désespérance, mais qu’il était brillant, que c’était le plus important, et quand elle m’a jeté ça à la figure, je n’ai rien compris du tout, je n’avais aucune idée de ce qu’était l’Afrique, sinon que ce maudit continent était la cause inévitable du ressentiment que m’insufflait chaque matin le miroir fendu de la salle de bains.
Avant que tu existes en moi, comment pouvais-je m’aimer ? Il faut comprendre. Quand tu as grandi dans un pays qui a aboli l’esclavage des Roms – c’est-à-dire des Tsiganes – sur son propre sol il y a à peine cent soixante ans, où la majorité des gens, élevés sous la dictature, n’a jamais vu un étranger de sa vie, et que ton père était un étudiant privilégié, doté d’une bourse du gouvernement, venu de très loin, qu’il mangeait au restaurant tous les jours au moment où les autochtones vivaient aux tickets de rationnement et n’avaient jamais connu la saveur d’une orange, on te fait souvent savoir qu’on t’en veut. D’être différente, pour parler sans colère. Tu peux te détester assez vite. C’est difficile à t’expliquer ici et maintenant, mais aux yeux des petits-enfants de la Garde de fer, les petits-enfants des membres de ce parti fasciste bien de chez moi, les héritiers des déporteurs, des pourvoyeurs de mort lente à tous ceux qui en 1941 n’étaient pas décrétés aryens, dans la ville où je suis née, je n’étais qu’une moitié de primate, ou bien un être surnaturel pour les plus niais d’entre eux, pas une personne normale en tout cas. C’est ça mon pays.
Pour justifier au monde et surtout à elle-même pourquoi je n’ai pas échoué à l’orphelinat, comme c’était l’usage d’y envoyer les enfants mulâtres, ma mère n’a cessé de répéter que depuis le jour de ma naissance, elle savait que je serais une enfant exceptionnelle, avec une destinée exceptionnelle, ce genre de conneries. Il faut l’entendre avec un bon accent moldave. Bref. Tout ça pour te dire, je n’avais pas trente-six manières d’y réagir, à la haine, et malgré mes efforts pour endiguer ma supériorité, j’ai dû finir par l’attraper. La diarrhée métisse. Le complexe de supériorité de l’alien. Cet être à l’intelligence transcendante venu d’un autre monde, destiné à sauver l’humanité, mais qui se retrouve affreusement limité dans un corps semi-leucoderme, transpirant et velu. Cette maladie infantile m’a frappée assez jeune pour que je m’y habitue facilement. En revanche m’en débarrasser c’était une autre histoire, pourquoi l’aurais-je fait tant que j’étais piégée à l’intérieur des frontières de ma région natale ? Comme je devenais un objet de curiosité locale, en grandissant j’ai pris tout le monde de haut, j’ai préféré faire la fière en public, poser une paire de lunettes de soleil sur mes narines et enfiler mes boules Quies pour avoir la paix. Mais là-bas, ça n’a rien à voir, tu sais. Ici, le seul endroit qui compte désormais, tu devras chasser cette tare de l’arrogance, te débarrasser vite fait du syndrome des maîtres de demi-teinte. Je te préviens, qu’on peut devenir monstrueux, par paresse, par amour-propre, avec cette histoire de peau plus ou moins claire qu’une autre.
Exaucé Makasi Motembe, mon père, pendant longtemps j’ai cru à tort qu’il avait simplement trouvé ma mère belle – comment résister à cet élancement de muscles fins de bonne famille sous la tête bien garnie d’une blondeur garçonne à couper le souffle – et que ce soir-là, à la fête étudiante de Mărtişor, la fête du printemps, sur le campus universitaire de Iaşi, ma mère devait être bourrée à la ţuică, et qu’ils s’étaient trompés, qu’ils s’étaient déshabillés par erreur, quelques minutes, et que mon père avait aussitôt filé rejoindre la lutte finale pour l’indépendance du continent africain sans même se douter que j’existerais un jour. Et toi, tu dois penser que j’étais trop dure avec lui, puisque cette histoire s’est passée tout autrement, mais tu verras aussi, ce que c’est que grandir sans son père. Alors imagine, personne ne te dit pourquoi il n’est pas là ni pourquoi tu lui ressembles tant, sans même que tu saches à quoi il ressemble au juste, personne ne te raconte qui il était vraiment ni comment l’amour a traversé sa moelle de part en part jusqu’à mourir étranglé par le remords de ne t’avoir pas connu. Je pensais, simplement, que mon père était un salaud, un abandonneur pathologique que le climat des Carpates n’avait pas réussi à séduire assez pour lui donner des couilles et de la persévérance. Je me suis trompée, mon fils, nous le savons tous les deux, je me suis trompée. Maintenant que j’ai les lettres que mon père m’a écrites des années durant. J’ai ces lettres, dans l’écrin de ma conscience et si souvent ouvertes, entre les mains, ici à la maison, nous le savons toi et moi, que ton grand-père, eh bien, il était différent.
Si j’avais su lire entre les lignes de ce que disait ma mère, elle qui n’avait pas la moindre idée de l’éclat de comète fulgurante qu’il lui avait été permis de rencontrer sous la forme du corps d’Exaucé Makasi Motembe, je n’aurais pas eu besoin d’attendre l’âge de vingt-cinq ans et d’atterrir ici au Congo pour connaître mon géniteur. Mon père était son nom, makasi, la force. La vertu faite chair à l’échelle d’une vie courte commencée dans la fuite, quand son propre père avait dû s’échapper de Bukavu en décembre 1960, après avoir survécu à l’exécution sommaire de tous les partisans de l’indépendance dans cette ville du nord-est du Congo où nous nous trouvons maintenant. Exaucé Makasi Motembe était encore un fœtus dans le ventre de sa mère, comme toi tu l’es aujourd’hui dans le mien. Mon père était le corps vivant du futur possible de ce pays d’argile rouge aux galeries infinies dans lequel je me suis mise à creuser pour le retrouver et lui casser la gueule. J’étais ignorante de son sort funeste, scellé il y a vingt ans déjà, un soir de pénurie d’avant-guerre dans une rue de Kinshasa.
Il n’y a pas un jour où je ne lui en aie voulu à m’en briser les os, à mon père, pas un jour de mon enfance dans ce vieux coin pourri de l’Europe où je ne lui en aie voulu d’être absent, de ne m’avoir jamais téléphoné, de se contenter d’être une espèce de plaie poisseuse enduite sur ma peau à la naissance et qui me valait de supporter les railleries interminables de tous les abrutis que j’avais pour camarades d’école et, plus tard, d’encaisser les regards lubriques d’ados acnéiques et vulgaires persuadés qu’ils deviendraient de petites stars locales s’ils arrivaient à m’attraper dans un coin en faisant en sorte que tout le voisinage le sache. Tu sais, je l’ai tellement haï, mon père. Je lui parlais dans mon sommeil, je lui parlais dans la salle de bains en prenant ma douche, je l’insultais assise sur les toilettes, en marchant dans la rue, en zappant interminablement les programmes télé. Je lui parlais toute ma douleur de n’être nulle part à ma place à cause de sa lubie d’avoir tiré un coup un soir avant de se faire la malle.
Les absents, tu vois, mon chéri, on n’y peut pas grand-chose. Tu l’apprendras plus tard, ce n’est pas souvent qu’ils choisissent de partir. Il ne faut pas en avoir après eux. Quand j’ai fini par réaliser combien disparaître n’est pas toujours un choix, en venant ici au Congo, c’était trop tard : la haine avait déjà fait son œuvre dans mes entrailles. Même si je ne me détestais plus comme avant, je n’ai pas pu m’empêcher, jusqu’aujourd’hui, alors que je te caresse de mes mains pour construire un mur de tendresse entre la haine et toi, pour interdire à la haine de traverser le cordon nourricier par lequel je te transmets désormais la force d’Exaucé Makasi Motembe, je n’ai pas pu m’empêcher de me sentir coupable et de me haïr moi-même de l’avoir haï lui. La haine, mon fils, c’est une malédiction. En elle, des millions de continuateurs silencieux se mutinent un jour contre celui ou celle qui l’a laissée entrer une seule fois dans son cœur, puis le tuent.
Exaucé Makasi Motembe, ton grand-père, c’était un révolutionnaire. Il n’aurait jamais abandonné sa famille dans l’impétuosité d’un lendemain en chute libre. Quand il a rencontré ma mère à cette fête du 1er mars, il a vu en elle ce que moi je n’ai jamais pu voir, il a vu la vie vivante emprisonnée dans une fille radieuse. Moi, tu sais, si j’avais été là avant ma conception pour assister à la rencontre entre mes parents, je l’aurais trouvée beaucoup trop belle pour qu’on ne s’en méfie pas, ma future mère, j’aurais glissé à l’oreille de mon père : Choisis-en une autre. Mais voilà, mon père voyait toujours le meilleur chez tout le monde, je l’ai senti en le lisant. Il essayait sans cesse de faire surgir l’intelligence humaine là où manifestement personne n’aurait songé qu’elle puisse se planquer, histoire de laisser une chance aux autres d’être plus qu’eux-mêmes. Il a laissé une chance à ma mère d’être plus qu’une jolie blonde intello, ouverte au monde, mais au fond bien plus raciste que les pauvres hères ignares des montagnes de son pays de timbrés. Mon père lui a écrit, dans une lettre de janvier 1992 :
… Elena mea, quand je t’ai vue la première fois j’ai cru que tu serais assez forte pour m’accepter dans ta vie et faire face aux préjugés d’arrière-garde et aux injures des réactionnaires… aujourd’hui je te demande d’avoir la même force et de ne pas céder à la pression de ton entourage ni à la facilité. Ne me coupe pas de ma petite Makasi, laisse-moi lui téléphoner. Une fille doit savoir que son père est là pour elle…

Elena Abramovici
Tu vois, mon fils, ça peut arriver à tout le monde de se tromper. Même si mon père n’était pas tout le monde, il s’est bien trompé à propos de ma mère. Alors qu’il écrivait, depuis sa maison de Kinshasa, des lettres qui ne me sont jamais parvenues bien que la plupart d’entre elles m’aient été destinées, des lettres que ma mère m’a cachées toute ma vie et a même renvoyées au Congo pour que je ne les lise pas, alors que mon père écrivait depuis sa maison, il n’avait pas la moindre idée de qui était ma mère, celle qu’il appelait Elena mea, mon Elena, et encore moins de ce qu’était ma vie avec elle à ce moment-là. J’ai souvent pensé, après avoir lu les lettres de mon père, que ma mère avait dû l’embobiner en lui parlant de la révolution marxiste-léniniste, ou l’amadouer en lui faisant miroiter un retour avec lui au Congo pour mettre en œuvre le programme du socialisme mondial, tout ça par curiosité exotique, pour passer une nuit avec un homme pas comme chez elle. Lui mentir, quoi. Comment expliquer autrement qu’il se soit laissé aussi facilement piéger entre les gracieux abducteurs de cette femme si différente de celle qu’il croyait connaître ? Peut-être la rencontreras-tu un jour, ma mère, je ne crois pas que tu la connaîtras, mais c’est tout de même possible au fond, et tu penseras que je suis sévère avec elle, que j’exagère tout et que la femme que je te raconte, ce n’est pas vraiment comme ça qu’elle est. Tu me traiteras de menteuse, me diras que je suis mal placée pour la juger et tu prendras sa défense. Eh bien, tu sais, je me hais toujours d’avoir injustement haï mon père, mais bizarrement je n’ai plus aucune colère contre celle qu’il a choisie pour me porter dans ce monde. Je ne peux pas lui en vouloir, à ma mère, ce n’est pas de sa faute si mon père s’est trompé. À une femme qui a si peu la mémoire de ce que c’est que souffrir, on ne peut pas demander d’être vraiment intelligente, encore moins d’être courageuse, et puis d’où lui viendrait-elle au juste, l’intelligence, et puis pour quoi faire ?

Ma mère, Elena Abramovici, elle a eu honte de moi toute ma vie, ou plutôt elle a eu honte de moi jusqu’à ce qu’avoir une fille comme moi devienne à la mode dans la capitale, après l’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne, en 2007, j’avais bientôt dix-huit ans, si on fait le compte, elle a eu honte de moi toute mon enfance. Petite, lorsque je sortais au magasin avec ma mère, elle m’habillait avec deux couches de vêtements, me glissait du coton dans chaque oreille, Il ne faut pas parler aux gens, Il y a beaucoup de bruit dehors, ça va te faire peur mamicoutsa, elle enfonçait ses deux doigts dans mes pavillons et on sortait faire les courses comme pour aller à la guerre. Je n’ai pas eu besoin d’imaginer ce qu’elle ne voulait pas que j’entende, combien de fois l’ai-je entendu en grandissant. Les Roumaines ont la langue bien pendue : Oh, tu as vu, regarde, une mulâtresse. Le mot métis, même s’il n’est pas plus délicat, ils connaissent pas là-bas, en roumain on dit mulatra, encore aujourd’hui. Ou alors : Maman, regarde le singe ! Lui, je n’arrive toujours pas à l’oublier, ce petit connard au supermarché, j’avais cinq ans, il me montrait du doigt et me mimait en macaque se grattant les aisselles, avec sa gueule de futur soldat teuton bien fasciste. Je me rappelle encore le visage de cet enfant démoniaque, son spectre venait toujours martyriser mes cauchemars, à l’âge de huit ou neuf ans. Le visage d’un blondinet cruel aux dents pleines de tartre, répugnant, noble descendant d’une lignée de Daces alcooliques. Et puis, plus tard, vers dix ans, ma mère ne me ouatait plus les oreilles, elle me donnait une paire de boules Quies que je gardais soigneusement dans ma poche, mais il m’arrivait de l’oublier. Une fois, à douze ans, au coin de la rue, un homme à moustache dans la quarantaine m’a demandé : Tu baises ? et puis plusieurs fois après cela, parce que mes seins se formaient et que ça devait se voir un peu en été, j’ai entendu : T’es une mulâtresse, tu prends moins cher ? C’est combien ? Après l’âge de dix ans, alors que je pouvais désormais rester seule à la maison pendant que ma mère faisait les courses, nous sommes allées exceptionnellement toutes les deux dans un magasin de chaussures pour mon anniversaire. Le rictus indélébile d’une femme à une autre dans le rayon voisin s’est gravé dans ma cervelle : T’as vu la fille ? Regarde sa mère, mais je l’ai vue à la télé elle, en fait c’est une pute qui va avec des Noirs !
C’est une pute qui va avec des Noirs. Je ne veux pas t’expliquer davantage pourquoi j’ai grandi avec des bouchons de mousse dans les oreilles, c’est bien trop violent pour un enfant, ni te décrire la manière dont ma mère ne réagissait jamais et s’évertuait à la hardiesse d’ignorer les pires obscénités qu’elle, qui n’avait pas les oreilles bouchées, entendait très distinctement. Elle levait la pointe du nez en détournant les yeux de ses agresseurs, surtout des agresseuses, des femmes aigries et mal baisées, jalouses, parce que ma mère était superbe, une nymphe extraordinairement belle, d’une beauté si rare qu’une fois un type d’une agence de mannequinat l’a même accostée au marché, un Américain chasseur de trésors esthétiques à travers l’étendue intarissable de jambes fuselées des Balkans, il l’a harcelée en lui tendant sa carte jusqu’à ce qu’il me voie et fasse la moue, plutôt à cause du fait que ma mère avait une gosse et non tellement à cause de ma tête dont il se contrefichait sûrement. Mais qu’est-ce qu’elle avait à les ignorer comme ça, toutes ces insultes, ma mère ? Elle ne pouvait pas se défendre une bonne fois pour toutes ? Les envoyer promener, leur dire : Hé, connard, c’est ma fille, tu fermes ta gueule de raciste ou je t’en colle une ! Non, ma mère n’aurait jamais fait ça. Laisser flâner son irritation en dehors des murs de son appartement. On pouvait lire sur son visage qu’elle essayait d’assumer son erreur le plus dignement possible. C’est d’ailleurs probablement pour cela qu’on se faisait autant insulter, ce n’était pas normal, ça devait être écrit sur son visage à ma mère : Injuriez-moi, je suis une pute allée avec un Noir et qui traîne son boulet la tête haute, c’est vraiment l’impression que ça donnait aux gens je crois, quand nous marchions dans la rue côte à côte, l’impression d’une bagnarde affublée d’un poids.
Je ne me rappelle pas un jour où, enfant, ma mère m’ait emmenée faire une balade dehors, juste pour nous promener, pour être toutes les deux, alors j’ai vite appris à digérer cette haine viscérale macérée dans la saleté des autres. Cette haine, je l’ai vue, enfant, dans les yeux d’Elena – très vite je ne l’ai plus appelée maman mais par son prénom –, derrière sa comédie placide, chaque fois qu’elle me planquait sous des couches de vêtements, l’hiver, ou qu’elle marchait légèrement décalée de moi, sa béance amère, la preuve.
J’ai grandi, je suis devenue belle et j’ai eu mes règles. Le jour de mes douze ans. Nous étions toutes les deux dans l’étroite salle de bains en train de nous brosser les dents avec du bicarbonate alimentaire et de l’huile. Je n’avais pas encore mis mon pyjama. Une large trace, que je ne voyais pas, perçait à travers ma culotte usée. Elena m’a giflée, m’a prise dans ses bras, elle a passé un pacte avec moi, et depuis, toutes les deux, on développe notre cerveau pour qu’il remplace notre sexe.
À la faculté des lettres de l’université de Bucarest, Elena Abramovici, c’est une célébrité, avant même d’être professeure. Sa beauté physique hors du commun, avec sa longue silhouette blonde à cheveux très courts, ce mètre quatre-vingts de relief harmonieux et ses cours atypiques mêlant toujours le cinéma et la littérature lui valent d’intervenir régulièrement dans les émissions culturelles à la télévision nationale, où elle s’amuse à jouer au sosie de Jean Seberg dans À bout de souffle quand on la filme de profil. Elle babille avec brio et délicatesse au sujet de grands poètes nationaux comme Mihai Eminescu, ou surtout des fiertés littéraires de la Roumanie du XXe siècle, Emil Cioran, Mircea Eliade, tous ces bêtas pro-nazis fascinés dans leur jeunesse par le Troisième Reich. Tu sais, mon chéri, ces types, ils n’avaient rien contre la déportation des grands-parents d’Elena et de leur famille, au contraire, mais enfin, ces antisémites-là sont devenus des monuments nationaux, et Elena en est devenue une spécialiste. Son amphithéâtre est toujours bondé et ses collègues femmes la détestent. Des tas d’étudiants m’approchent dans l’espoir d’obtenir d’elle une faveur, ou de figurer dans le public des émissions télé auxquelles elle est conviée, je ne leur réponds jamais. Elena m’a obligée à suivre son séminaire de littérature chaque année depuis mon admission à la faculté des lettres. J’aurais voulu lui faire comprendre, comment t’expliquer, que j’aurais préféré être couturière, dentelière ou brodeuse, mais je n’ai rien pu lui dire, à cause du pacte tacite entre elle et moi, de l’importance du cerveau quand on est une femme gâtée par le malheur d’être bien faite, l’affliction d’être un peu trop souvent désirée. Ma mère m’a contrainte à faire des études, pour me racheter d’avoir fait irruption dans sa vie, aussi par peur que je finisse sur le trottoir. Elle a dû fermement réfléchir à ce qu’elle allait faire de moi et penser que la moins mauvaise solution était encore que je lui ressemble le plus possible.
Je voudrais te dire qui est Elena Abramovici, ma mère, mais je ne peux pas vraiment. Je ne suis capable de la décrire que comme je la vois. Elena ne m’a presque jamais parlé de son enfance, de sa famille, de ses rêves, ni des beaux souvenirs que, j’imagine, les autres mères partagent avec leurs filles. Moi, tu sais, je ne ferai rien comme elle. Déjà, pour commencer: je vais avoir un fils. Et je t’aimerai davantage qu’un jour sur deux. Je baignerai dans toi. Tu sauras tout de ce que je suis dans les moindres détails de mes renfoncements sombres et de mes secrets. On ne peut pas faire autrement quand on aime un enfant qui va grandir dans l’immensité vertigineuse de l’absence, et toi, mon fils, tu es là, tu sens déjà ce carambolage continu qu’est ma vie. Alors je ne te cacherai pas derrière des vêtements trop grands et je ne t’empêcherai pas d’entendre la vomissure humaine, je te préparerai. À être fort. Lorsque des idiots me demanderont où est ton père, je leur dirai d’aller se faire foutre et que ça ne les regarde pas. Ton père, je vais te parler de lui, mais plus tard, après t’avoir tout raconté. Je te dirai ce qu’il s’est réellement passé. Mais tu sais, mon fils, même dans l’échancrure de monde crasseux où plonge ta petite vie, tu ne manqueras de rien dont un enfant privé d’une moitié de lui-même pourrait manquer, tu auras l’autre moitié pleine, débordante, je déborderai pour toi.
La vie si secrète d’Elena avant qu’elle accouche de moi, elle l’a enveloppée dans un linceul de deuil interdit à la voix, mais aussi interdit aux pleurs, ma mère ne s’est jamais plainte en ma présence d’avoir quitté ses parents à Iaşi pour s’installer à Bucarest quand je suis née et de ne plus jamais leur avoir adressé la parole. C’est tout ce que je sais. J’ignore si elle a des frères et sœurs, ou bien de vrais amis. On a vécu seules dans son tempérament de huis clos et elle ne faisait confiance à personne pour me garder, sauf peut-être à une vieille voisine maigrichonne aux os de sucre qu’elle appelait sa tante, mais qui ne l’était pas le moins du monde et dont j’ai très peu de souvenirs, si ce n’est l’odeur de ciorbă délicieuse qu’elle me préparait le midi quand Elena suivait ses cours à l’université et que je devais attendre qu’elle rentre me récupérer.
Elena n’a jamais eu personne dans sa vie, en tout cas à ce que je sache, je ne l’ai jamais vue avec un homme, sourire ou bien se donner la main, ni même parler à une distance physique inférieure à un mètre, et jamais un homme n’est venu chez nous, ne serait-ce que pour un repas. Sauf l’ancien directeur de l’université. Il appréciait beaucoup ma mère, ce qui devait faire jaser la plupart des femmes qui la connaissaient, bien que le directeur de l’université soit venu, il me semble, uniquement quand j’étais présente, après l’école, et toujours pour un café, sans aucun écart de gestes, Altă cafea, domnule Florescu ? »

Extraits
« Alors, déjà bien avancée que j’étais dans ma croissance de fables truquées et de fictions d’équateur, à ma mère une deuxième fois dans ma vie j’ai demandé où était mon père. Elena, tu sais où il est, mon père ? Est-ce qu’il est toujours au Congo? Elle travaillait à son bureau, entre ses piles cache-vie de livres et de copies. Elle l’a renversé d’un grand coup de muscles secs avec tous ses tiroirs. Elle a jeté sur moi les livres tombés au sol, a saisi les volumes les plus gros de la bibliothèque attenante, un à un, a visé juste, deux fois au milieu du visage, puis m’a coincée dans le fond de la pièce et m’a frappée avec, j’avais déjà dix-neuf ans. Tiens! Tu veux ton père? Il est là ton père, c’est ça ton père! Puis ma mère s’est fatiguée et s’est assise par terre et elle est restée là prostrée dans sa chanson à cycles denses pendant plusieurs minutes. Une espèce de chanson à sanglots bizarres où son regard absent ne me disait jamais rien. Pour subitement venir attraper chaque angle rigide de ma figure où elle a enfoncé très fort ses mains, et formuler en longueur une seule chose tranchante contre mon nez saignant : J’aurais jamais dû laisser cette pourriture te reconnaître, j’aurais dû te dire qu’il était mort et tu ne m’aurais pas foutu ma vie en l’air avec tes questions de merde. Me reconnaître. Ce jour-là, mon fils, j’ai compris ce que signifie avoir un nom, une constellation de roches mal trouées, semées dans la tête d’un enfant toujours prêt à en faire un corail de visages et d’idées d’ailleurs possibles. » p. 45

« Mon fils, il y a l’amour que j’ai pour toi, les coques nacrées déployées dans mes yeux quand je t’imagine grandir dans ce pays sous mon sein, et l’amour que je n’ai plus du tout et que toi tu vas connaître, à l’extérieur de mon ventre, comme celui que Michelle vendait aux hommes de Bucarest pour payer sa petite location. Ce genre d’amour-là. Une blessure qu’on ne peut pas dire et qu’on ne peut pas taire non plus, parce qu’elle vient de la trahison, de l’humiliation, de la sensation de ne pas être une personne, ou de l’impossibilité au fond de son cœur de savoir vraiment la valeur incommensurable de ce qu’est être une personne. Des femmes vont t’aimer, vont te vouloir, te désirer dans leur nuit, puis te mentir, t’humilier, t’injurier en public, être elles-mêmes, ou tout simplement te faire vraiment confiance et te chérir, et peut-être que tu ne le supporteras pas. S’il te plaît, fais attention. N’impose jamais à personne ce que j’ai connu avec cet homme. Perdre son sourire, c’est perdre le seul trésor qu’il nous reste quand on n’a rien à offrir à tous ses enfants futurs. » p. 96

À propos de l’auteur

LULU_Annie_©DRAnnie Lulu © Francesco Gattoni DR

Annie Lulu est née à Iasi, en Roumanie, d’un père congolais et d’une mère roumaine. Arrivée très jeune en France, elle étudie la philosophie, puis se consacre pleinement à l’écriture. La Mer Noire dans les Grands Lacs est son premier roman. (Source: Éditions Julliard)

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La petite sonneuse de cloches

ATTAL_la_petite_sonneuse_de_cloches  

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En deux mots:
Quand Joe J.Stockholm meurt, son fils découvre son travail sur les amours de Chateaubriand et décide de partir pour Londres sur les traces de cette sonneuse de cloches, dont on va pouvoir suivre en parallèle sa relation avec le futur écrivain en exil.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Mémoires d’outre-tombe de Joe J. Stockholm

Jérôme Attal n’a pas son pareil pour dénicher des anecdotes historiques et en faire de superbes romans. Après Giacometti et Sartre, le voilà sur les pas de Chateaubriand et c’est toujours aussi brillant!

Après le facétieux et délicieux 37, étoiles filantes, qui nous racontait comment Alberto Giacometti tentait de retrouver Jean-Paul Sartre dans le Paris des années trente pour se venger d’un affront, Jérôme Attal plonge encore un plus loin dans l’Histoire. Il nous propose cette fois de retrouver Chateaubriand à la fin du XVIIIe siècle, lorsqu’il arrive à Londres. Il est jeune, a déjà beaucoup voyagé, mais n’a pas encore publié une ligne et se trouve sans le sou. Après avoir erré dans la capitale, il va se retrouver à la nuit tombée enfermé dans la cathédrale de Westminster. La suite est racontée dans les Mémoires d’outre-tombe: «Dieu ne m’envoya pas ces âmes tristes et charmantes ; mais le léger fantôme d’une femme à peine adolescente parut portant une lumière abritée dans une feuille de papier tournée en coquille : c’était la petite sonneuse de cloches. J’entendis le bruit d’un baiser, et la cloche tinta le point du jour.»
Cette petite sonneuse de cloches va intriguer le professeur de lettres Joe J. Stockholm qui aimerait publier un livre sur les amours successives du grand écrivain. Mais la mort le fauche avant qu’il ne puisse mener à bien son entreprise. Son fils Joachim découvre les notes laissées par son père et décide de poursuivre l’enquête. Pour conjurer sa peine, il part pour Londres à la recherche de cette mystérieuse sonneuse de cloches.
On l’aura compris, Jérôme Attal va nous proposer en parallèle de suivre les deux histoires, celle vécue par Chateaubriand avec la petite sonneuse et la quête de Joachim dans le Londres d’aujourd’hui. Habile construction qui va permettre au lecteur de connaître ici un fait que Joachim n’a pas encore découvert où là un élément biographique que Chateaubriand n’a pas encore vécu. Mais ce qui, comme dans son roman précédent, fait tout le sel de ce livre c’est ce formidable moteur qui s’appelle l’amour. L’amour de la sonneuse qui va pousser Chateaubriand dans une quête échevelée, l’amour d’une espiègle bibliothécaire répondant au doux nom de Mirabel pour Joachim – «J’aimais cette loi d’être ensemble que nous écrivions spontanément tous les deux, ces petites connivences comme des diamants persistants dans les souvenirs embrouillardés» – et pour tout ce petit monde, l’amour de la littérature et des livres.
Il va sans dire que le lecteur, par essence, fait partie de cette communauté d’amoureux de la chose écrite et que, grâce à la plume inclusive de Jérôme Attal, très vite, il va cheminer aux côtés des uns et des autres et faire son miel de cette quête. Peu importe du reste la véracité du récit et la part d’imaginaire – même s’il faut souligner que l’auteur s’est appuyé sur une très solide documentation –, car le plaisir est ici garanti !

La petite sonneuse de cloches
Jérôme Attal
Éditions Robert Laffont
Roman
270 p., 19 €
EAN 9782221241660
Paru le 22/08/2019

Où?
Le roman se déroule en France, à Paris ainsi qu’en Angleterre, principalement à Londres. On y évoque aussi Combourg, l’Amérique, Thionville ou encore Versailles.

Quand?
L’action se situe d’une part à la fin du XVIIIe siècle et d’autre part de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
1793. Le jeune Chateaubriand s’est exilé à Londres pour échapper à la Terreur. Sans argent, l’estomac vide, il tente de survivre tout en poursuivant son rêve de devenir écrivain. Un soir, tandis qu’il visite l’abbaye de Westminster, il se retrouve enfermé parmi les sépultures royales. Il y fera une rencontre inattendue : une jeune fille venue sonner les cloches de l’abbaye. Des décennies plus tard, dans ses Mémoires d’outre-tombe, il évoquera le tintement d’un baiser.
De nos jours, le vénérable professeur de littérature française Joe J. Stockholm travaille à l’écriture d’un livre sur les amours de l’écrivain. Quand il meurt, il laisse en friche un chapitre consacré à cette petite sonneuse de cloches. Joachim, son fils, décide alors de partir à Londres afin de poursuivre ses investigations.
Qui est la petite sonneuse de cloches? A-t-elle laissé dans la vie du grand homme une empreinte plus profonde que les quelques lignes énigmatiques qu’il lui a consacrées ? Quelles amours plus fortes que tout se terrent dans les livres, qui brûlent d’un feu inextinguible le cœur de ceux qui les écrivent?

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Actualitté (Victor de Sepausy)


La petite sonneuse de cloches de Jérôme Attal présenté par Julie de la librairie L’Amandier © Robert Laffont

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Pas un shilling en poche. Dormi en coups de sabre et rien avalé de solide depuis la veille au soir (une demi-brioche trempée dans un verre de thé). La saleté qui torpille dans Soho l’aveugle un court instant ; le passage d’une voiture de poste attelée de deux chevaux lancés à plein galop et qui racle l’effort de trottoir le projette contre une façade en briques ; il comprend que ce qui le condamne le sauve à la fois : n’être plus qu’un corps réduit à un cœur qui bat.
Il s’est emmitouflé dans le manteau bleu nuit qu’il a trouvé dans ce commerce obscur du port de Jersey, avant d’embarquer pour l’Angleterre. En voulant élargir une des poches, il l’a crevée. Sa main droite s’enfonce dans la doublure, ses doigts sautent dans le vide. Il dirigera ses pas vers l’hôtel Grenier pour solliciter la couturière de permanence. Il la regardera faire, et pour peu qu’elle soit jolie, aura la sensation qu’elle raccommode dans le même mouvement une partie de son cœur ; la beauté agit toujours comme un baume fugitif. Puis il ira s’étendre sous les pins de Hyde Park, le ciel sera strié d’un vol de perruches, de belles Anglaises se demanderont qui il est.

Pour l’heure, François-René repère l’enseigne de fer et de plomb clouée à l’une des façades de Shelton Street et dont l’inscription, « Le gentil dentiste », tient lieu d’anesthésie locale pour les patients les plus rétifs. La porte s’ouvre sur un escalier raide comme la police du roi George, et une fois le bataillon de marches avalé, sa main vacille sur la poignée en cuivre : il est monté trop vite, un étourdissement, la fièvre, la faim, les mauvaises nuits. Il pourrait chuter et se retrouver en bas, le crâne ouvert en deux, adieu déloyal à celui qui n’a pas encore épuisé tous les horizons permis.
« Eh bien, entrez ! Ne faites pas le timide avec votre douleur. »
Le ton est caustique, loin de l’impression laissée par l’inscription sur la façade. Le gentil dentiste se tient dans l’embrasure d’une seconde porte, entre son cabinet et le vestibule où une dame vêtue d’une imposante robe à coqueluchon produit des efforts spectaculaires pour s’asseoir sur une toute petite chaise. Elle n’y arrivera jamais. Autant demander à un paon de se jucher sur une tête d’aiguille.
Elle paraît s’offusquer que le docteur s’adresse au jeune homme alors qu’elle est arrivée la première.
« C’est un migrant, lui glisse le dentiste à l’oreille. Après lui, j’en aurais terminé avec eux pour la journée.
— Oh », fait la dame, assez rondement pour que ce « oh » contienne toute sa contrariété et un peu de sa commisération.
Elle dévisage François-René des pieds à la tête. Quel accoutrement ! Quel teint cadavérique ! Du charme, certes. Des yeux ardents. Comme les ressorts d’un cœur déboulonné. Le nez est effilé, de la taille de chacun des sourcils. Boucles brunes et rouflaquettes épaisses, cheveux longs caractéristiques de la jeunesse. Une sorte de paysan efféminé. Pas bien grand, mais attachant. Elle le quitte des yeux pour de nouveau tenter de viser la chaise minuscule sur laquelle elle aimerait s’asseoir. Vous devez toujours tenir debout, même à l’horizontal, quand vous êtes une femme. Condamnée à être sur le point d’apparaître. »

Extraits
« Je compte mon père parmi les victimes collatérales de la grande canicule de 2003. Un reportage récent dénombrait les disparus de ce triste été à environ vingt mille. Mon père était mort en septembre, mais je me souviens que fin août, en raison du nombre élevé de moribonds qui affluaient dans les couloirs de l’hôpital, ils l’avaient renvoyé à la maison. Dans son état piteux, avec son trou dans la gorge et le corps bardé de fils qui vous maintiennent tout juste en vie, qui vous stabilisent dans une zone inconfortable d’angoisse, d’empêchements et de fatigue. Dans mon journal intime, à la date du 30 août 2003, je m’étais contenté de noter : « Avec ses tuyaux partout, mon père ressemble au Centre Pompidou ». »

« Mirabel et moi trouvâmes un endroit à notre goût assez rapidement. Après un veto de part et d’autre. Trop ceci, pas assez cela. J’aimais cette loi d’être ensemble que nous écrivions spontanément tous les deux, ces petites connivences comme des diamants persistants dans les souvenirs embrouillardés. L’acclimatation, le début d’un lien, la chaleur d’un pull. Une porte franchie. Notre choix s’arrêta sur The Providores, pour ses banquettes en cuir bleu et ses tables en bois. Les cafés du quartier offraient souvent des petites alvéoles à l’abri du monde tapageur et des atmosphères dans lesquelles se sentir bien. »

Extrait des Mémoires d’outre-tombe de Châteaubriand
« J’avais compté dix heures, onze heures à l’horloge ; le marteau qui se soulevait et retombait sur l’airain était le seul être vivant avec moi dans ces régions. Au dehors une voiture roulante, le cri du watchman, voilà tout : ces bruits lointains de la terre me parvenaient d’un monde dans un autre monde. Le brouillard de la Tamise et la fumée du charbon de terre s’infiltrèrent dans la basilique, et y répandirent de secondes ténèbres.
Enfin, un crépuscule s’épanouit dans un coin des ombres les plus éteintes : je regardais fixement croître la lumière progressive ; émanait-elle des deux fils d’Édouard IV, assassinés par leur oncle ? « Ces aimables enfants, dit le grand tragique, étaient couchés ensemble ; ils se tenaient entourés de leurs bras innocents et blancs comme l’albâtre. Leurs lèvres semblaient quatre roses vermeilles sur une seule tige, qui, dans tout l’éclat de leur beauté, se baisent l’une l’autre. » Dieu ne m’envoya pas ces âmes tristes et charmantes ; mais le léger fantôme d’une femme à peine adolescente parut portant une lumière abritée dans une feuille de papier tournée en coquille : c’était la petite sonneuse de cloches. J’entendis le bruit d’un baiser, et la cloche tinta le point du jour. La sonneuse fut tout épouvantée lorsque je sortis avec elle par la porte du cloître. Je lui contai mon aventure ; elle me dit qu’elle était venue remplir les fonctions de son père malade : nous ne parlâmes pas du baiser. » cité p. 34

À propos de l’auteur
Jérôme Attal est parolier et écrivain, et l’auteur d’une dizaine de romans. Chez Robert Laffont, il a publié Aide-moi si tu peux, Les Jonquilles de Green Park (prix du roman de l’Ile de Ré et prix Coup de cœur du salon Lire en Poche de Saint-Maur), L’Appel de Portobello Road et 37, étoiles filantes, (prix Livres en Vignes et prix de la rentrée «les écrivains chez Gonzague Saint Bris»). (Source: Éditions Robert Laffont)

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La dédicace

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En deux mots:
Une primo-romancière doit régler un dernier détail avant la parution de son livre, trouver la dédicace qu’elle mettra en exergue de son roman. Une demande assez banale, qui va pourtant nous entraîner dans un parcours tour à tour drôle, dramatique, initiatique et… révélateur.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Un début prometteur

Leïla Bouherrafa a eu l’idée originale de publier un premier roman qui met en scène une jeune romancière… qui publie un premier roman. Il ne lui manque plus que La dédicace.

À Paris au petit matin, une jeune femme erre dans les rues, un peu nauséeuse. Elle aurait pourtant toutes les raisons de se réjouir car son éditrice l’attend pour mettre la dernière main à son premier roman prêt à partir à l’imprimerie! Elle n’est guère plus à l’aise en arrivant dans les bureaux de la prestigieuse maison, rue Saint-Denis. Elle sait que la réceptionniste la jalouse un peu, car a publié un recueil de nouvelles aussitôt oublié et tente de faire son trou comme pigiste. Et puis Hortense, son éditrice qui lui fait signer les derniers papiers lui rappelle qu’elle doit encore lui fournir une dédicace. Simple formalité? Non, car sa petite fille trouve que c’est le plus important dans un roman!
La voilà repartie, tout aussi nauséeuse, à la recherche de ces quelques lignes qui ne l’inspirent guère. Son amie Yvette, prostituée, ne peut pas l’aider malgré son bagout, pas davantage que ses voisins, occupés par une inscription énigmatique peinte dans le hall «Michel Sardou a le sida». Après avoir déjeuné avec sa mère – ce qui termine de la convaincre qu’elle ne mérite pas qu’elle lui dédie son livre – elle va essayer de se changer les idées dans un cinéma rue Rambuteau. Mais quand une idée fixe vous tenaille, il devient difficile de se concentrer sur autre chose.
La dédicace devient vite une obsession. Passant devant une librairie, elle va feuilleter des dizaines d’ouvrages et collectionner autant de dédicaces qui ne lui serviront finalement à rien.
On s’amuse de ses pérégrinations, des anecdotes qui parsèment son récit et qui débouchent sur un constat plutôt brutal: il lui faut trouver au plus vite possible quelqu’un qu’elle aime pour lui dédicacer son livre!
Vous croiserez ensuite un SDF, le cadavre d’un voisin, Vanessa, la vendeuse noire de chez Sephora, sa copine Alice qui chasse les hommes car son horloge biologique tourne ou encore un chien mort. Sans oublier l’escapade au salon du livre de Brive-la-Gaillarde qui va aussi lui réserver quelques surprises et quelques rencontres. Et au moment où l’échéance se rapproche, on aura passablement ri de ces épisodes truculents, parsemés de jolies formules telles que «le matin vous maudissez, le soir vous périssez» et de cette inspiration qui la pousse vers une galerie d’art pour rencontrer la fille de son éditrice. Mais je n’en dirais pas davantage, sinon que ce premier roman vous ravira. Quoi de mieux pour débuter une nouvelle année littéraire?

La dédicace
Leïla Bouherrafa
Allary Éditions
Roman
290 p., 18,90 €
EAN : 9782370732637
Paru le 3 janvier 2018

Où?
Le roman se déroule en France, principalement à Paris, mais aussi à Brive-la-Gaillarde et à Argenteuil.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Son premier roman part à l’imprimerie, et elle ne sait pas à qui le dédicacer…
Une jeune femme s’apprête à publier son premier roman. Elle vit seule, son téléphone ne vibre pas, elle a de plus en plus de mal à aimer sa mère. À qui pourrait-elle dédicacer son livre ? Son éditrice lui donne trois jours pour trouver.
Férocement drôle et émouvant, La dédicace est l’histoire d’une quête sentimentale dans un Paris peuplé de solitudes.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Livres Hebdo (Nicolas Turcev)

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Prologue
Je suis toujours triste le samedi soir car il me semble que le monde ne me laisse que deux options : la fête ou le suicide. Feindre ou mourir. Et comme les effets des deux sont sensiblement identiques, je préfère allumer une cigarette.
Chapitre 1
Il faut bien dire qu’elle était laide. D’une laideur grossière et terrifiante. Il fallait l’imaginer toute vêtue de gris et suintante de désespoir. Elle ressemblait à une vieille femme ridée emmaillotée dans sa vieillesse et ses erreurs. C’était palpable. À chaque fois que je la voyais, j’étais prise de la même nausée, comme si un serpent s’enroulait autour de mes organes jusqu’à les étouffer. Ça commençait doucement, un léger mouvement à l’intérieur, délicat, comme une note de musique, puis très vite, ça s’intensifiait, ça se faufilait entre les organes, ça s’imprégnait dans le moindre tissu, jusqu’à ne faire qu’un avec mon sang. Une fois qu’elle était là, c’était comme si elle y avait toujours été. J’avais l’impression d’être faite de plomb et de n’être rien d’autre qu’un corps sans forces, sans vie mais tout de même douloureux.
Ce matin, comme à son habitude elle était laide. Cette ville était faite pour les romans, le cinéma, les fashion weeks, mais sûrement pas pour la réalité. Seules quelques vieilles promenaient leurs chiens ou traînaient leurs chariots de courses comme elles l’auraient fait d’un cadavre. En passant près d’elles, je jetai furtivement des coups d’œil curieux à l’intérieur cherchant tant bien que mal à comprendre ce que l’on pouvait acheter à une heure si matinale. Quelques olives, de la confiture, des tranches de jambon et du vin blanc. Rien dont Paris se souviendra. Du chocolat et un paquet de bretzels. Des bonbons au gingembre et de l’huile d’olive. J’ai dû m’approcher un peu trop de l’une d’elles car elle m’a lancé un regard noir et a ramené son chariot contre sa cuisse décharnée. Confuse, je lui ai fait un sourire amical qu’elle ne m’a pas rendu et j’ai pressé le pas adoptant la démarche de celle qui sait où se rendre mais n’en a pas envie.
La ville dormait encore ; les clochards aussi. J’étais, à quelques exceptions près, seule dans Paris. J’aurais pu y être en dix minutes mais j’avais fait détour sur détour si bien qu’à un moment il m’avait semblé entendre la mer mais ce n’était que le métro qui passait sous mes pieds. J’avais découvert il y a quelques mois que ma nausée était moins vivace quand j’empruntais des rues pour la première fois. Dans cette ville, j’étais heureuse à chaque fois que j’avais l’impression d’être ailleurs. Mais cette stratégie avait évidemment ses limites. Comme Paris ne faisait aucun effort, j’étais inexorablement amenée à me retrouver face à une rue dont j’avais déjà foulé les pavés. Alors, la nausée revenait, insidieusement, comme un frisson.
Je privilégiais toujours des chemins qui me faisaient passer près de la Seine. Il me semblait que ma nausée et mes rêveries étaient toujours plus douces à ses côtés. La simple perspective de plonger dans l’eau sale et glacée suffisait à les calmer. À cette heure, les boîtes des bouquinistes étaient encore fermées et ressemblaient à des tombeaux. Tout près, la Seine charriait des canettes en métal et ses noyés. J’ai continué de la longer encore un moment. Une ambulance est passée en trombe, en hurlant, réveillant ainsi la ville et ses gens qui dormaient encore. À son passage, une vieille aux cheveux bouclés a sursauté. Ici, on voudrait entendre la mer mais il n’y a que les sirènes. J’ai frôlé des publicités pour déodorant et de tristes façades de pierre puis, soudain, je n’ai plus eu le choix. Si je continuais de longer la Seine, je manquerais mon rendez-vous. Il fallait que je bifurque à gauche. J’ai attendu que le feu piéton passe au vert et j’ai traversé doucement comme si j’avais rendez-vous avec l’enfer. Je devais être l’être humain le plus lent de ce globe. Malgré le ciel bleu de novembre, tout était gris. Les trottoirs, les boutiques et l’atmosphère. Même les bruits. La ville faisait un bruit de métal qu’on écrase. Chaque bruissement était empli d’aigreur. Enfin parvenue de l’autre côté, j’ai été saisie d’un frisson imperceptible. J’ai retrouvé l’odeur familière de l’anis et de la déconfiture. Partout devant moi s’étalaient des pierres que j’avais déjà vues et des boutiques dans lesquelles j’étais déjà entrée.
De toute façon, dans cette ville, à chaque fois que je retrouvais mon chemin, j’étais presque déçue. »

Extrait
« Je n’écoutais pas. Puis, en me raccompagnant à la porte de son bureau, elle a ajouté cette phrase :
– Tu sais, ma fille dit que ce qu’il y a de plus important dans un livre, c’est la dédicace.
Il y a des phrases comme ça, elles sont tragiques. On ne voudrait jamais les entendre. En disant ces mots, elle a secoué la tête dans un petit rire, comme si quelqu’un venait de lui glisser à l’oreille une bonne blague ou qu’un homme venait de lui faire un compliment sur ses seins. Alors, je lui ai demandé laquelle de ses filles disait ça, car sur le coup, ça m’a paru vraiment capital de le savoir et elle m’a dit avec le ton que l’on prend pour énoncer une évidence :
– La petite.
Elle m’a saluée avec un sourire chaleureux qui m’a transpercée. J’aurais voulu qu’elle me prenne dans ses bras. Sa main dans la mienne était lourde et chaude. Puis en fermant la porte d’une manière que j’ai trouvée trop brutale, elle a lâché comme une reine à un sujet:
– J’attends ta dédicace, alors.
Alors… eh bien alors, dans l’interstice de cette porte, des mots terribles venaient d’être prononcés. Sans surprise, Paris n’a pas bronché. »

« Cette rue était laide et ressemblait à un animal en qui on ne pouvait pas avoir confiance. À peine avais-je mis un pied sur son trottoir dépravé que j’ai eu un haut-le-cœur. L’odeur d’urine mélangée à celle du goudron me donnait envie de prendre mes jambes à mon cou. J’ai aperçu Yvette au loin. Yvette était la doyenne de cette portion de la rue Saint-Denis, une Noire bien en chair, toujours vêtue d’un imprimé animal, et qui jouait sans équivoque avec le cliché de la femme noire sauvage et bestiale. »

À propos de l’auteur
Leïla Bouherrafa a 29 ans. Elle enseigne le français dans une association qui accueille de jeunes réfugiés. La dédicace est son premier roman. (Source: Allary Éditions )

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Éparse

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En deux mots:
L’un des romans les plus originaux de l’année, sorte de bilan à mi-vie d’une femme, entre les Mythologies de Barthes, le Je me souviens de Perec et la Haute fidélité de Nick Hornby. Un régal !

Ma note:
★★★★★ (coup de cœur, livre indispensable)

Ma chronique:

Lisa rien que toi, moi, nous

Lisa résume sa vie, fait des listes, crée son propre dictionnaire, accompagne le tout d’une jolie playlist et nous offre le roman le plus délicieux de ce début d’année.

Les émotions, l’exaltation, le sourire permanent au coin des lèvres qui accompagne le critique au moment de rendre compte d’un bonheur de lecture sont quelquefois de terribles ennemis. Car se pose alors la question : « comment pourrai-je au mieux rendre compte de l’originalité de ce livre, du plaisir rencontré au fil des pages, de ce lien invisible mais très solide et très exclusif qui s’est créé entre Lisa et moi. D’ailleurs, ai-je vraiement envie de le partager, de rajouter le nous après le toi et moi? Comme l’égoïsme est un vilain défaut, voici les clés de plus original des romans de cette rentrée.
Le résumé le plus court, mais aussi le plus juste, est livré par la romancière elle-même qui se souvient de sa lecture de Haute fidélité de Nick Hornby: «des listes, de la musique et des histoires d’amour ratées. Un bon résumé de ma vie».
On peut donc aussi suivre ce mode d’emploi, cette Vie mode d’emploi, en énumérant les listes que dresse Lisa pour retracer son parcours de fille, de femme, de mère. Au célèbre «Je me souviens… », il convient de rajouter «La dernière fois que… » ou encore, par exemple, «Nous nous habituons… » ou encore «j’ai essayé… » et plus original les « Je t’aime Mathieu Amalric parce que… » qui nous offrent sur des pages l’occasion de partager des souvenirs, des images, des émotions, des remarques. Après la liste des conseils qu’on lui a longtemps dits, comme: «Celui-là, c’était pas le bon / Un de perdu, dix de retrouvés / C’est bien aussi d’être seule… », on ajoutera encore – pour notre plus grand bonheur – des listes d’adjectifs, des listes de verbes «Disséquer, décortiquer, dépecer, démantibuler, détruire… », des listes de courses qui ont garni le réfrigérateur familial et, cela va de soi, l’inventaire de son sac à main au fil des ans ainsi que celui des armoires familiales (ah, le sous-pull en lycra!)
Viendront encore les acteurs et chanteurs, les auteurs qu’elle a lu et dont elle parsème le livre de citations ou encore, pour faire bonne mesure, les émissions de télé qui l’ont accompagné de l’enfance à l’âge adulte.
On réservera une place à part à la musique. Car si la bande originale figure en fin de volume, la bande-son est indissociable de la vie de Lisa, dès sa naissance (c’est parce que ses parents avaient acheté l’album Sad Lisa de Cat Stevens en 1970
Et qu’ils aimaient beaucoup cette chanson qu’elle a été prénommée Lisa).
De Brassens à Dominique A., de The Cure à à Portishead, en passant par Michael Jackson (quelle frayeur en découvrant le clip de Thriller à huit ans) et Madonna, on peut aussi raconter une vie. Surtout si l’on y ajoute les titres qui accompagnent les amours naissantes et ceux qui, par la suite, pansent les plaies des chagrins.
Car après les listes et la musique viennent «les histoires d’amour ratées». Une autre façon de résumer le roman. Cela commence avec la séparation de ses parents en 1977 : « Jeune femme bien sous tous rapports quitte homme bien sous tous rapports. Entre eux, une fillette de trois ans. Derrière, un mariage hâtif d’adolescents trop vite devenus parents. Devant eux, un divorce pas vraiment à l’amiable, pas vraiment à tort. » Ballottée entre père et mère, essayant de trouver un peu de réconfort chez les grands-parents, cherchant aussi bien avec les copines qu’avec les garçons la signification de l’amour, faisant des expériences diverses, couchant avec ne inconnue autant qu’avec son meilleur ami, on la suit jusqu’au moment où elle devient elle-même mère et où ses enfants lui renvoient quelques messages subliminaux, par exemple quand son fils lui lance «J’ai envie de voir tous les films de Mathieu Amalric». En effet, les chiens ne font pas des chats.
Je pourrai m’arrêter là car vous devez avoir sans doute n’avoir qu’une envie, vous précipiter chez votre libraire. Mais il y a encore tant à dire.
Vous mettre l’eau à la bouche avec quelques aphorismes et formules qui, comme le beurre dans les épinards, rajoutent de la saveur au récit. En voici quatre parmi d’autres : « Il m’arrive d’appeler des amies le soir pendant des heures. Cela me semble bien plus efficace qu’une consultation chez le psy. » ; « Tous ces gens qui déclarent : « j’ai l’impression de passer à côté de ma vie. » Je me demande quelle destination ils choisissent à la place » ; « Les amours se suivent. Mais dans l’entre-deux, l’attente peut sembler longue. » ; « Je te quitte, tu reviens. Tu me quittes, je reviens. Personne n’y comprend rien. »
Je n’oublierai pas le tableau hilarant des arguments pour une vie commune et des arguments contre une vie commune et je ne résiste pas à vous livrer ce que je considère comme la preuve la plus tangible de la naissance d’un écrivain : quand le vocabulaire ne suffit pas à rendre exactement un sentiment, un fait marquant, alors le mieux est d’un créer un. Délectez-vous de ce dictionnaire, de ces nouveaux fragments d’un discours amoureux :
Nostalgymnastique (n.f.) : stimulation mnésique de la pensée qui consiste à regretter de façon répétée des sensations, des objets ou des lieux disparus afin de provoquer leur résurgence.
Couplabilité (n.f.) : habilité du sujet à éprouver un sentiment de faute après avoir mis à mal l’avenir de son couple, et par conséquent l’équilibre familial.
Électrolovographie (ELG) : représentation graphique de l’activité amoureuse du cœur, nommée électrolovogramme. Cette activité électrique est liée aux variations de potentialité amoureuse des cellules spécialisées dans la cristallisation (lovocytes) et des cellules spécialisées dans l’automatisme et la conduction des influx nerveux dans le sytème amoureux.
Exemple : On ne peut plus rien pour cette patiente docteur, son ELG ne donne plus signe d’activité.
Rupturlute (n.f) : Rupture brutale, à s’en ôter les mots de la bouche.
Exemple : Ce mec m’a encore fait le coup de la rupturlute. Franchement, c’est dur à avaler.
Désordinaire (adj.) : se dit d’une personne ou d’un fait qui n’est pas conforme à l’ordre établi, qui a pour habitude de rompre avec les habitudes, de façon parfois chaotique.
Archéolovie (n.f.) : Étude approfondie d’histoires d’amour anciennes reposant sur la collecte de leurs traces sensibles et de leurs preuves matérielles.
Phosphène (n.m.) (grec phôs, lumière, et phainein, briller) : sensation devant l’œil d’éclairs lumineux, bleutés ou blancs, mieux visibles la nuit et qui se répètent souvent au même endroit.
Exemple : J’ai des phosphènes plein les yeux, ça fait comme une boule à facettes qui tourne non-stop dans ma tête.
Exclusivisme (n.m.) : droit imaginaire que l’on s’octroie de posséder l’amour exclusif de quelqu’un que l’on aime à l’exclusivité de tout autre.
Mélancollection (n.f.) : ensemble de données tangibles qui, accumulées, constituent le terreau fécond d’une tristesse ressentie de manière régulière et douloureuse.
Indécroissance (n.f.) : aptitude physio-sociologique des enfants à prendre de l’âge bien plus vite que leurs parents et à s’éloigner d’eux alors que ceux-ci ne sont pas du tout préparés à leur départ.
Exemple : Mon fils fait une violente poussée d’indécroissance : si ça continue, il sera adulte avant moi.
Et si après ça, vous n’êtes toujours pas convaincus, j’imagine qu’il ne reste plus qu’à tenter dans me lancer dans une opération du type «satisfait ou remboursé» !

Éparse
Lisa Balavoine
Éditions JC Lattès
Roman
208 p., 18 €
EAN : 9782709659840
Paru le 3 janvier 2018

Ce qu’en dit l’éditeur
À travers une série de fragments, Lisa Balavoine – la quarantaine, divorcée et mère imparfaite de trois enfants – fait le tour de son existence comme on fait le tour du propriétaire, et signe le roman espiègle et nostalgique de toute une génération.
Convoquant la mémoire de chansons, de films, d’événements emblématiques des années 80 à aujourd’hui, entremêlant souvenirs de jeunesse et instantanés de sa vie quotidienne, elle fait de son histoire intime un récit dans lequel chacun peut se reconnaître. Car les questions qu’elle pose (sur l’éternel recommencement de l’amour, sur les héritages et la transmission…) sont les nôtres. Car ses doutes, ses joies, ses peines fugaces ou durables, nous les connaissons. Car les inventaires audacieux qu’elle propose (description à la Perec d’un tiroir de salle de bain, arguments pour ou contre la vie de couple, liste de ses phobies, déclarations d’amour aux acteurs qu’elle a aimés…) nous renvoient à nos propres obsessions.
Telle est la prouesse de ce livre : à mesure que l’auteur rassemble les morceaux de son puzzle personnel et tente l’autopsie de la première moitié de sa vie, c’est le lecteur qui se redécouvre lui-même.

Les critiques
Babelio
Publik’ART (Béatrice de Loriol)
Soul Kitchen (entretien avec l’auteur et Playlist)
Blog Au fil des livres
Blog Bricabook

Les premières pages du livre 
« Enfant, je n’avais pas envisagé de devenir une personne normale.
*
Désormais il convient d’être réaliste. La peau de mon visage se constelle de taches brunes de mois en mois, parfois de jour en jour. Il faudrait que je prenne rendez-vous chez un dermato. Je vieillis. J’ai des rides persistantes autour des yeux. Mon cou s’empâte, mes paupières s’affaissent, mon corps se flétrit. Certains matins, je me réveille trempée de sueur. J’ai parfois mal au dos. Maigre consolation, je n’ai pas de cheveux blancs. En revanche, je crois que j’ai perdu un centimètre. Je laisse faire. Je ne lutte pas. Je n’ai pas les armes.
*
Ma mère écoutait beaucoup de chanteuses tristes qui chantaient tristement des chansons tristes. France Gall rêvait qu’on lui fasse tout bas une déclaration. Véronique Sanson se demandait si cet amour aurait un lendemain. Nicole Croisille criait qu’on lui téléphone pour lui dire qu’on l’aime. Corynne Charby vivait comme une boule de flipper qui roule. Jakie Quartz s’entêtait à faire une mise au point pour toutes les victimes du romantisme. Bibie désirait tout doucement arrêter les minutes supplémentaires qui faisaient de sa vie un enfer. Toutes étaient seules, abandonnées, perdues et le clamaient haut et fort. Leurs mots résonnaient quotidiennement dans l’appartement et déposaient leur lot de larmes amères sur les cils de ma mère. Sur la bande FM de ma jeunesse ne se promenaient que des femmes qui avaient le vague à l’âme.
*
Je voudrais pouvoir décoller les différentes couches de papier peint de ma vie pour retrouver le lé d’origine.
*
Je n’aime pas les transports en commun. Je n’aime pas les multiplexes de cinéma. Je n’aime pas les supermarchés. Je n’aime pas les centres commerciaux. Je n’aime pas les parcs d’attractions. Je n’aime pas les clubs de vacances. Je n’aime pas les meetings politiques. Je n’aime pas les manifestations sportives. Je n’aime pas les chaînes de fast-food. Je n’aime pas les défilés militaires. Je n’aime pas les plages bondées. Je n’aime pas les fêtes de la Saint-Sylvestre. Je n’aime pas les rassemblements familiaux. Je n’aime pas les stations de ski. Je n’aime pas les expressions à la mode. Je crois que je suis un peu snob. »

Extraits
« Nous revenons de loin. Il n’y a plus de première fois ou toutes les premières fois ont un air de déjà-vu. On fait encore les cons, on boit encore trop de bières, on danse encore sur les mêmes chansons. On se sent jeunes, on croit même qu’on l’est plus qu’avant. On aime plus fort, parce qu’on ne sait pas ce qu’il y aura après, on aime même mieux, pour peu qu’on ait de la chance. On a le corps qu’on peut, on a le corps qui va avec notre histoire. On sait ce qui peut lui faire du bien, du mal aussi, on fait les deux, on n’a plus rien à perdre. On s’est vus géants, invincibles, la jeunesse en bandoulière, no future qu’on disait. Nous étions si jeunes. Nous ne savions rien. Nous ne savions pas ce qui viendrait après et qui a tout changé. Nous n’avons plus vingt ans. Nous faisons le bilan. Nous sommes encore vivants. »

« Nous apprenons à faire avec le temps qui passe, le temps qui colmate, ie temps qui guérit. Nous lui sommes reconnaissants de faire durer les heures, les minutes et les secondes, interminables, de nos chagrins. La douleur peut bien nous clouer au sol et nous mettre à genoux, le temps fait son travail. C’est un bon petit soldat. Il parfait l’érosion des peines, il encense les vertus de l’attente. Bien sûr, il nous arrive de le maudire, de lui en vouloir de ne pas s’écouler plus vite, de ne pas nous téléporter ailleurs, à toute berzingue vers une nouvelle histoire et des bras inédits, Nous aimerions bien qu’il se bouge le cul, le temps, le temps, qu’il accélére la machine, qu’il change les décors, les costumes et les acteurs, qu’il réagence la piéce, qu’il remixe Ia bande-son, qu’il redistribue les rôles. Nous lui faisons la gueule, au temps, souvent. Mais il ne nous en veut jamais. Il ne nous laisse pas tomber, en tous cas pas tout de suite, pas sans avoir essayé, pas sans avoir réparé. »

À propos de l’auteur
Lisa Balavoine vit et travaille à Amiens comme professeur-documentaliste.
Eparse est son premier roman, dont des extraits ont été publiés dans la revue Décapage. (Source : Éditions JC Lattès)

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Dis-moi pourquoi

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Dis-moi pourquoi
Patrick Besson
Éditions Stock
Roman
162 p., 17 €
EAN : 9782234071117
Paru en septembre 2016

Où?
Le roman se déroule en France, à Campan près de Bagnères-de-Bigorre ainsi qu’à Lourdes. Les origines et les domiciles des protagonistes nous conduisent également à Chambon-sur-Voueize, à Paris, à Montrouge, à Dijon. Un séjour en Angleterre et un projet de voyage au Kenya, à Nairobi sont évoqués.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Elle a un problème, Julie : les hommes la quittent mais ne lui disent jamais pourquoi.
Lors d’un séjour chez ses parents dans les Pyrénées, elle rencontre un jeune inspecteur du fisc, qui la quitte le jour de leurs fiançailles. Sans lui dire pourquoi. Mais nous qui avons lu le livre, on sait pourquoi !
Dis-moi pourquoi est aussi la peinture – au pistolet dirait l’auteur – d’une bourgeoisie décomposée, burlesque, égoïste, immorale et, ainsi que le montre la fin du livre, complètement folle.

Ce que j’en pense
***
Un peu comme dans un film de Claude Sautet, le dernier court roman de Patrick Besson nous convie à une réunion de famille autour d’un repas. La scène se déroule au pied du pic du Midi dans la demeure des Cauterets. Les hôtes sont Maryse, sexagénaire gourmande et un peu rondouillette («les mères sont souvent une version détériorée de leur fille») et son ex-mari surnommé Pilou. Ils sont divorcés, mais envisagent de se remarier.
Leur fille Julie, attachée de presse à Paris a fait le voyage après une nouvelle rupture. Mais qui sait, peut-être trouvera-t-elle l‘amour au bord de l’Adour ?
Jean-Jacques, son ami d’enfance est également présent avec son épouse Simone. Le couple d’Antillais est sur le point de voir naître leur premier enfant, heureux événement qui ne sera pas sans conséquences sur l’épilogue de ces retrouvailles champêtres.
Un peu incongrue dans cet aréopage est la présence d’Alain, l’inspecteur des impôts. D’autant que l’on apprendra bien vite qu’un contrôle fiscal a quasiment ruiné la famille et que Pilou se montre volontiers agressif en présence d’agents du fisc. Car il a notamment été contraint de vendre les vignes qui produisaient ce vin de Bigorre qui faisait sa fierté tout en faisant tourner les têtes.
Patrick Besson va ciseler les dialogues qui constituent le cœur de son roman et qui mêlent avec beaucoup d’habileté ironie, humour et affirmations de plus ou moins grande mauvaise foi.
Après Maryse, qui sent que le moment est parfaitement choisi pour réveiller sa libido, c’est un tour de sa fille de prendre le premier rôle de cette comédie grinçante.
Voilà « la femme créée pour la minijupe et les hauts talons. Elle a trente et un ans d’élégance méchante et un peu découragée. Longs cheveux bruns qui caressent son dos souvent nu. » en train de faire son irrésistible numéro de charme auprès de l’inspecteur des impôts qui fond comme neige au soleil, à tel point que l’on en vient déjà à parler de mariage !
Inutile de dire que Pilou – qui déteste qu’on l’affuble de ce surnom – ne voit pas vraiment cette relation d’un bon œil. Mais comme de son côté, il est question de remariage, il va laisser filer…
D’autant que Julie est peu encline à se lancer dicter son attitude par son géniteur: «J’ai passé mon enfance à attendre ses coups et mon adolescence à attendre ses coups de téléphone.»
D’une révélation à l’autre, d’un secret de famille à l’autre (si Simone, l’épouse de Jean-Jacques, est enceinte, c’est par un accident, Jean-Jacques ayant « brûlé un stop») on va se régaler de ces règlements de compte sous couvert de joyeuses retrouvailles.
Maryse s’amuse à dresser la liste des ex de sa fille jusqu’à ce, comme un boomerang, son petit jeu lui revienne en pleine figure. Elle va apprendre que l’un de ses propres amants, Edouard Daumal, a aussi mis sa fille dans son lit.
Quant à son père, il se souviendra des amis musiciens de sa fille, Barry et Jérôme et pourra ériger une règle universelle à partir de cette expérience : « Règle numéro un : ne jamais donner sa fille à un artiste. Premier inconvénient : il vous la rendra. Deuxième inconvénient : il vous la rendra en morceaux. »
Voilà par conséquent l’inspecteur des impôts presque adoubé par son ennemi. Ne reste plus qu’à publier les bancs, acheter une bague et faire confectionner les habits pour sceller leur union.
C’est à ce moment que l’orage va éclater. Soudain, le beau scénario va voler en éclats nous offrant une fin riche en surprises que je vous laisse découvrir. Sachez simplement qu’elle porte au paroxysme cette analyse sans fards de nos petits et grands travers. Dis-moi pourquoi la vie de famille devient si vite un jeu de massacre !

Autres critiques
Babelio
Le Point (Julie Malaure)
Blog Les petits carnets d’ABL 
Blog Culture 31 

Extrait
« – Pourquoi l’inspecteur des impôts ? demande Maryse.
– Il m’a paru adroit de l’inviter à déjeuner. J’ai l’impression que nous avons affaire à un gourmet.
– À quoi vois-tu ça ?
– À son tour de taille.
– C’est peut-être un goinfre.
– Alors il se goinfrera.
Maryse, pensive soudain, lève un doigt.
– Il faudra le tenir éloigné de Pilou. Quand mon ex-mari est à proximité d’un inspecteur des impôts, il l’insulte, ou bien le frappe.
– Il a perdu sa fortune dans un contrôle fiscal, rappelle Jean-Jacques.
– Notre fortune. À l’époque, nous étions mariés.
– C’était lui qui l’avait faite.
– Oui, mais c’était moi qui la dépensais.
– Pas élégant de quitter un homme ruiné.
– C’est lui qui a demandé le divorce. J’en ai conclu que, comme la plupart des hommes riches, il m’aimait pour son argent. Quant à moi, l’inspecteur des impôts peut toujours essayer de me ruiner, l’estomac de mes amis s’en est déjà chargé. » (p. 13-14)

À propos de l’auteur
Patrick Besson, depuis plus de quatre décennies, construit une œuvre diverse et multiforme, parmi laquelle il faut citer Dara (grand prix du roman de l’Académie française en 1985) et Les Braban (Prix Renaudot en 1995). Il poursuit par ailleurs une carrière de journaliste et de polémiste engagé, à la verve parfois meurtrière mais toujours pleine d’humour et de tendresse humaine. (Source : Éditions Stock & Plon)

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Ne mets pas de glace sur un cœur vide

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Ne mets pas de glace sur un cœur vide
Patrick Besson
Éditions Plon
Roman
175 p., 18 €
EAN : 9782259219266
Paru en janvier 2016

Où?
Le roman se déroule principalement en banlieue parisienne, à Malakoff, Vanves, Châtillon, Montrouge ainsi que Saint-Maur-des-Fossés et Passy. Un séjour à Cannes, un autre à Dakar et au village de vacances du Cap Skirring et un dernier à Linaria sur l’île de Skyros en Grèce sont également évoqués.

Quand?
L’action se situe de 1989 à 1993.

Ce qu’en dit l’éditeur
Dans la banlieue parisienne de Malakoff, Vincent Lagarde séduit les femmes les plus belles malgré son cœur malade et son physique ingrat. Lorsqu’il épouse la sublime Karima, tout le monde cherche la faille…
Malakoff, juillet 1989 : au Café du Carrefour, boulevard Gabriel-Péri, Vincent et Philippe commentent avec ironie le défilé extravagant qui a eu lieu sur les Champs Elysées pour fêter le deux centième anniversaire de la Révolution Française. Vincent, malade du cœur qui attend une greffe, et Philippe, professeur de lettres passionné de vélo et de sexe, sont des voisins qui deviendront des amis, puis des rivaux et enfin des ennemis. À cause d’une belle et brillante veuve algérienne, ils vivront l’aventure la plus singulière et la plus troublante de leur existence.
Au travers de cette tragi-comédie à suspens dont le déroulement surprendra les lecteurs, Patrick Besson (Lettre à un ami perdu, Dara, Les Braban, Mais le fleuve tuera l’homme blanc, Come baby) fait revivre la France de la fin du siècle dernier, continent presque déjà disparu.

Ce que j’en pense
***
Une fois n’est pas coutume, commençons par le – très joli – titre. Cette phrase a été prononcée par Tchekhov avant de mourir. Alors qu’on essayait de le soulager en posant de la glace sur sa poitrine, il eut cette formule : «On ne met pas de glace sur un cœur vide». Le narrateur, ancien professeur à la retraite, se souvient l’avoir lue dans La Vie de Tchekhov d’Irène Némirovsky (Albin Michel, 1946).
Comme tout bon titre, ce dernier est polysémique. Il s’applique à Vincent Lagarde qui est atteint d’une malformation cardiaque et attend une greffe pour ce «cœur vide», mais également à son absence d’amour, car si son passe-temps favori consiste à séduire les plus jolies filles, son cœur reste vide.
Son voisin Philippe – le narrateur – ne comprend pas comment il parvient à ses fins, mais profite largement de la situation. Professeur de lettres à la retraite depuis peu, ce spécialiste de Corneille va occuper son temps dans une ville de banlieue dont «Les rues vides ondulaient en douceur sous le ciel lourd d’ennui» en couchant avec les compagnes successives de Vincent. Ce qui, somme toute, est plus facile que d’écrire un livre : « Dans les librairies où j’erre depuis quarante ans à la recherche de mon premier roman non paru car pas commencé, je trouve, y compris dans les œuvres de fiction, des recettes pour aimer et être aimé, aider et être aidé, comprendre et être compris. »
Le roman commence en 1989 avec Vanessa qui est infirmière et découvre avec Philippe la sensualité d’un voyage sur son cadre de vélo. Car l’ami du cardiaque est un sportif athée : «Il m’arrive de prier le ciel, mais uniquement quand il s’agit de femmes. Ou de vélo. Seigneur, aide-moi à gravir cette côte.»
Une qualité non négligeable, car elle va permettre à Vanessa de constater qu’elle peut faire l’amour «sans y aller mollo». Ce qui va assez vite lui ouvrir d’autres perspectives, notamment dans l’hôpital où elle travaille et où elle entrevoit un avenir plus radieux.
Son départ ne laissera toutefois pas un immense vide, car très vite Sonia viendra réchauffer la place vacante. Après avoir fait l’expérience d’un mari par trop volage, cette belle coiffeuse antillaise va chercher le calme et la fidélité auprès de Vincent qui ne peut « vivre seul pour une raison à la fois médicale et métaphysique : n’étant personne, s’il ne vivait pas avec quelqu’un, il ne vivait pas et donc mourait. »
Sonia est aussi tout à fait au goût de son copain de bistrot. Après avoir refait le monde et commenté l’actualité souvent la plus futile, le deux centième anniversaire de la Révolution française, la querelle entre Inès de la Fressange et Lagerfeld, les débuts très bruyants de Monica Seles sur un court de tennis, il profite des absences du voisin du dessous pour accueillir la sublime trentenaire. Sans chercher à savoir si ce dernier est au courant de son petit manège. Après tout, il aurait pu se douter qu’«un célibataire sportif pas pédé, c’est un danger pour tous les couples, surtout s’il est connu pour coucher avec les femmes mariées.» Avant et après les galipettes avec Sonia, Philippe va assister à la visite de Mandela à Paris et regarder le 724e et dernier numéro d’Apostrophes.
Si ce roman tourne autour des femmes et de la relation entre Vincent et Philippe, il est d’abord et avant tout le reflet d’une époque. Avec un sens inné de la formule, Patrick Besson nous replonge dans cette époque où internet et le téléphone portable n’existaient pas. Du coup, on se rend compte combien cette époque – que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître – est à des années-lumière d’aujourd’hui. Une époque où l’on apprenait à jouer du piano debout, juste avant que Michel Berger ne meure, une époque où «beaucoup de professeurs étaient barbus. Maintenant, c’est tout le monde.»
Une époque aussi où les femmes ne portaient plis comme prénom Catherine ou Brigitte, mais se terminaient en « A ». Vanessa, Sonia, Aminata et la splendide Karima qui va débouler dans la vie de Vincent et Philippe. C’est à cette agent immobilier que l’auteur va offrir de dénouer le drame qui sourd. En dévoilant son secret, qu’un lecteur attentif n’aura guère de peine à deviner, elle viendra clore ce joli récit aussi nostalgique que riche d’aphorismes, aussi drôle que poétique.
Dépêchez-vous de le lire, car «c’est toujours difficile de causer avec quelqu’un qui n’a pas lu les mêmes livres que vous : on doit s’adapter à son langage car il ne pourra jamais s’exprimer dans le vôtre.»

Autres critiques
Babelio 
Le Figaro (Mohammed Aissaoui)
Le Point (Christian Giudicelli)
Blog L’écran à la page 
Courrier Picard (Philipe Lacoche)
Salon littéraire (Annick Geille)

Extrait
« Le lendemain de sa rencontre avec Karima – c’était un samedi –, Vincent attendit onze heures du matin pour rappeler au domicile de l’inconnue de Pablo-Neruda. Répondeur. On a oublié ces grosses machines que les jolies filles laissaient branchées en permanence. C’est avec elles qu’elles ont commencé à torturer les hommes un peu mieux qu’avant. Vincent ne laissa pas de message, certain que pour un motif mystérieux, la femme s’était moquée de lui. » (p. 00-00)

A propos de l’auteur
Patrick Besson, depuis plus de quatre décennies, construit une œuvre diverse et multiforme, parmi laquelle il faut citer Dara (grand prix du roman de l’Académie française en 1985) et Les Braban (Prix Renaudot en 1995). Il poursuit par ailleurs une carrière de journaliste et de polémiste engagé, à la verve parfois meurtrière mais toujours pleine d’humour et de tendresse humaine. (Source : Éditions Stock & Plon)

Site Wikipédia de l’auteur

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