L’heure bleue

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L’heure bleue
Elsa Vasseur
Robert Laffont
Roman
252 p., 18,50 €
ISBN: 2221192621
Paru en mai 2016

Où?
Le roman se déroule principalement en Grèce, à Athènes, Rafina, sur l’île d’Andros, d’Agapos, de Dolos, ainsi qu’à Paris, Limoges, Fontenay-sous-Bois, Alfortville, Saint-Espère, Saint-Malo ou encore à Édimbourg On y évoque aussi les villes de Buenos-Aires, Madrid, Stockholm, Le Caire, Zurich, New York, Londres, Tokyo et Milan.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Quand une île paradisiaque devient le théâtre d’un drame à huis clos…
Zoé, dix-sept ans, accepte l’invitation de Lise, une camarade de terminale qui lui propose de passer l’été en Grèce pour s’occuper de son jeune neveu. Elle se retrouve sur l’île privée de Dolos, plongée dans l’intimité de la flamboyante famille Stein ou règnent les non-dits et les faux-semblants.
Dans la somptueuse villa qui domine la mer, Zoé peine à saisir les clés de l’univers lisse et clinquant de ce monde qui n’est pas le sien. Que s’est-il passé avec la précédente baby-sitter pour qu’elle refuse de garder l’enfant pendant les vacances ? Et de quoi souffre Rose, la splendide sœur de Lise qui crée un malaise à chacune de ses apparitions ? Adam, son mari, semble l’ignorer totalement et ne pas être non plus à sa place au sein de sa belle-famille.
Prise dans le chassé-croisé des tensions et des manipulations qui s’exacerbent dans la chaleur estivale, Zoé va vivre une épopée intime qui ressuscitera les fantômes de son passé et la fera entrer sans ménagements dans l’âge adulte.
Un suspense psychologique d’une grande finesse pour un premier roman solaire.

Ce que j’en pense
***
Lise, qui n’a pas vraiment d’atomes crochus avec sa camarade de classe Zoé, jette cependant son dévolu sur la jeune fille au moment de choisir une baby-sitter chargée de surveiller, Ben, son neveu dans la superbe villa construite sur l’île grecque de Dolos qui accueille la famille durant l’été.
Lise n’est pas très emballée, mais quand elle apprend que sa belle-mère sera présente aux côtés de son père à Limoges, elle préfère le vol vers l’inconnu et l’exotisme à un nouvel été auprès de sa grand-mère.
Aussi bien au cinéma qu’en littérature, la confrontation de deux univers ou de deux caractères opposés a fait ses preuves. Et il n’en ira pas autrement ici : « Lise était de ceux qui existent plus haut et plus fort que les autres et ne doutent jamais d’eux-mêmes, convaincu que leur destin facile est le produit de leur seul mérite, et non le fruit aléatoire d’une loterie à la fois génétique, économique et sociale. Zoé, elle, était de ceux qui s’excusent d’exister et assistent à la vie comme à une représentation de théâtre, se cantonnent au rôle de doublure, de souffleur ou d’éclairagiste.»
Elsa Vasseur a parfaitement su recréer l’ambiance délétère de ce huis-clos où chacun des protagonistes est subitement confronté à un passé douloureux, une relation difficile, des choix déstabilisants. Leur hôte, Joseph Stein, galeriste de renom, songe à passer la main. Rose, la sœur de Lise, présente tous les signes d’une profonde dépression. Adam, son mari artiste-peintre – qui profite de l’entregent de son beau-père – remet en question sa carrière et son couple. Zoé vit, quant à elle, avec le traumatisme de la perte d’un petit frère. Un cocktail détonnant qui va finir par exploser dans un final en apothéose.
Très agréable à lire et non dénué de charme, ce roman mérite le détour.

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Autres critiques
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Les 25 premières pages du livre 

Extrait
« Joseph Stein, démarche athlétique et visage émacié d’intellectuel, venait d’entrer, en chemise couleur crème et pantalon beige. Il embrassa Lise avec effusion. Zoé lui tendit une main timide, mais Joseph l’ignora et planta un baiser sonore sur ses joues. Elle se rappela avec stupeur qu’elle avait face à elle l’une des cinquante plus grosses fortunes de France.
Quelques mois plus tôt, elle avait visionné un reportage télévisé qui lui était consacré, intitulé L’Esthète millionnaire. Joseph Stein y était présenté comme un homme d’affaires atypique. Propriétaire de six galeries d’art, implantées à Paris, Zurich, New York, Londres, Tokyo, et Milan, il avait hérité son goût des belles choses et une précision maniaque de son père, un antiquaire hongrois spécialiste en orfèvrerie. En revanche, sa rage de vivre lui venait indirectement de sa mère, une Juive polonaise rescapée du camp de Treblinka.
Zoé peinait à croire que cet homme fraîchement septuagénaire, dont le regard vibrait d’intelligence derrière ses lunettes à monture d’écailles, gagnait en quelques jours ce que son banquier de père n’aurait pas assez d’une vie pour économiser. »

A propos de l’auteur
Elsa Vasseur a 26 ans. Elle a publié un recueil de nouvelles, Le Goût du lait au chocolat, aux éditions Anne Carrière en 2008. Après un master à Sciences Po Paris, elle poursuit ses études à la Sorbonne. À l’avenir, elle souhaiterait pouvoir concilier une carrière d’auteur et de scénariste. L’heure bleue est son premier roman. (Source : Editions Robert Laffont)

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Focus Littérature

Treize

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Treize
Aurore Bègue
Éditions Rue Fromentin
Roman
250 p., 16 €
ISBN: 9782919547487
Paru en avril 2016

Où?
Le roman se déroule principalement sur les bords de la Côte d’Azur.

Quand?
L’action se situe dans les années 1990.

Ce qu’en dit l’éditeur
Alice, treize ans, part en vacances en famille sur la côte méditerranéenne.
Durant cet été, elle observe sa sœur aînée, Marie et son comportement face aux hommes. Les trois ans qui les séparent lui semblent être désormais un fossé infranchissable.
Elle porte aussi un regard lucide sur sa mère fragile psychologiquement et son père qui surjoue la normalité pour rassurer ses filles.
A treize ans, on est parfois plus réaliste que les autres. Alice sent avant tout le monde le drame qui se noue pendant ces vacances et va bouleverser toute son existence.
Un premier roman à l’atmosphère tendue et envoûtante. Un texte poignant et juste sur la collision entre les attentes de l’adolescence et les lâchetés du monde adulte.

Ce que j’en pense
****
Une famille part en vacances. Il y a là le père, «optimiste acharné» et amoureux de la vie, la mère, fragile, souvent triste ou en colère, Marie la fille aînée et Alice, treize ans, la narratrice. Ce qui ressemble de prime abord à une chronique familiale durant laquelle les petites – ou plus grandes – névroses de chacun vont pouvoir se dévoiler, va se transformer au fil des pages en un drame bouleversant.
Pour ses débuts en littérature Aurore Bègue fait preuve d’un vrai sens du suspense. Si elle distille ici et là quelques indices, elle mène ce récit avec beaucoup de maestria jusqu’au dénouement.
Le choix de confier la narration à Alice est tout aussi pertinent. La fille arrive à cette période de l’adolescence où son corps se transforme, où elle devient femme sans bien comprendre ce que cela implique, ou elle va tenter de grandir en calquant un peu son mode de vie sur celui de sa sœur.
Bien entendu, l’amour occupe une grande place dans ce scénario. Si les copains de Marie vont un peu s’intéresser à elle et réciproquement, elle va avoir les yeux de Chimène pour Paul, l’ami de la famille.
«Que l’on m’explique Tout ça, que m’arrivait-il au juste ? L’amour, la mort, le sexe, tous ces mystères sur lesquels je n’avais aucune prise, oui, j’avais ce désir impérieux de savoir pourquoi nous étions là, pourquoi nous allions mourir un jour, et quel sens avait cette scène-là, nous tous, notre famille et Paul autour de la table en teck de la terrasse, un jour brûlant du mois de juillet 1992.»

Ce beau et tragique roman d’initiation va marquer Alice et sa famille autant que le lecteur. Entre les cris de la mère, la vanité de la sœur, les absences du père et les pulsions de l’ami Paul, la jeune fille va prendre place dans la galerie des héroïnes tragiques. De celles dont le destin hantent le lecteur bien longtemps après avoir refermé le livre.

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Blog Les lectures de Martine
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Blog Blablabla Mia

Autres critiques
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Blog Les mots de la fin 
Blog Meelly lit 

Extrait
« Nous étions, ma sœur et moi, pressées que ces vacances arrivent enfin. Mais Marie paraissait encore plus impatiente et enthousiaste à cette idée, comme si elles allaient lui apporter quelque chose d’inédit, de nouveau et d’excitant, là où je ne voyais qu’un été parmi les autres, rempli de baignades, de glaces à l’eau, et de longs dîners avec nos parents et leurs amis parfois ivres.
Ce printemps-là, donc, assise en tailleur sur mon lit, Marie adorait me parler des histoires d’amour naissantes qu’elle avait vécues et vivrait, en vernissant ses ongles qu’elle transformait en de petits coquillages rosés ou dorés. Elle ressemblait à une caricature de grande sœur, un cliché, si jolie mais si agaçante, celle qui en sait toujours plus que vous, celle qui est toujours un petit peu plus que vous, ou bien vous, mais en mieux.
Elle tenait ses mains et ses doigts précautionneusement écartés devant elle pour ne pas abîmer le vernis couleur rose bonbon qu’elle venait d’y poser et elle souriait de cette nouvelle manière si mystérieuse de grande sœur, la tête légèrement penchée sur la droite.»

A propos de l’auteur
Aurore Bègue a 37 ans et vit à Paris. Treize est son premier roman. (Source : Éditions Rue Fromentin)

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Focus Littérature

Une famille normale

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Une famille normale
Garance Meillon
Fayard
Roman
240 p., 17 €
EAN : 9782213687469
Paru en janvier 2016

Où?
Le roman se déroule principalement à Paris, avec l’évocation de voyages en Provence, sur l’île d’Oléron et d’une escapade à Bombay, en Inde.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Cassiopée et Damien ne font l’amour que le mardi, quand les enfants ont leurs activités parascolaires. Lucie aussi fait l’amour le mardi, pendant que ses parents la croient à son cours de danse. Et Benjamin dessine le système solaire sur les murs de sa chambre.
Mais pourquoi Cassiopée se montre-t-elle irrémédiablement incapable de pleurer, même à la mort de sa propre mère ? Et quelle lubie prend soudain Damien de vider l’appartement de la moitié de ses meubles ?
On se parle peu, et sans doute se comprend-on encore moins. Mais on donne le change. Jusqu’à quand ?

Ce que j’en pense
****
Voilà encore une belle découverte! Une famille normale – aussi normale que peut l’être, par exemple, un Président normal – raconte avec beaucoup d’humour, mais aussi d’ironie, le quotidien d’un couple et de ses deux enfants, une fille de seize ans et son frère de treize ans. L’usure du couple et les crises d’adolescents ont certes fait l’objet de nombreux romans, mais la bonne idée de Garance Meillon est de donner la parole aux différents protagonistes, chapitre après chapitre. Cette technique nous permet d’entrer dans la psychologie des quatre acteurs principaux, mais surtout de découvrir les incompréhensions, voire l’appréciation diamétralement opposée de certains faits, suivant que l’on est une mère, un père, un garçon ou une fille.
Le roman s’ouvre au moment où Cassiopée apprend le décès de sa mère et doit lutter avec son histoire familiale : «Ma mère avait amené une espèce de vieux beau en costume à mon mariage. Mon père était mort depuis longtemps, mais intérieurement j’étais tout de même révoltée. C’était comme la négation de toute la vie qu’on avait eue tous les trois. Je n’ai pas de frères et sœurs. Ça a toujours été moi, rien que moi.» Aussi a-t-elle choisi de se détacher de sa génitrice et n’est pas vraiment affectée par sa mort. Organiser les obsèques et ranger les affaires de la défunte s’apparente plus à une corvée pour elle.
Damien, son mari, n’est pas vraiment étonné de sa réaction, lui qui rêve des beaux jours qui ont marqué les premières années de leur mariage et doit désormais se contenter de faire l’amour le mardi soir, quand les enfants ne sont pas là. Une sorte de rituel censé prouver que l’amour est toujours là. Mais personne n’est dupe, pas même les enfants.
D’autant que pour eux aussi, l’amour est au centre des préoccupations. Lucie a déjà des convictions: «En fait je crois que je ne supporte plus ma famille. Certains diront que c’est prévisible à seize ans. Et je répondrai que je les emmerde. […] J’ai toujours été en avance sur tout. Et l’amour, je l’aurai connu avant toutes les filles de ma classe. Je parle du vrai amour.» Mais l’arrogance et les certitudes vont bientôt voler en éclat.
Benjamin est lui aussi mal à l’aise. Sa sœur ne joue plus avec lui et ses parents oublient d’entendre ce qu’il veut leur dire. Il rêve de conquérir l’espace et le cœur de la belle Marianne. Un avenir héroïque qu’il entend concrétiser au plus vite : «J’ai souvent pensé à m’échapper pour quelques jours, à faire une fugue comme le Grand Meaulnes. Mais j’ai trouvé mieux. J’ai un plan.»
Les événements vont alors s’enchaîner jusqu’à une scène d’anthologie où l’on verra chacun des membres découvrir combien ils se sont fourvoyés et combien leur vérité était loin de la vérité. Sans déflorer les péripéties cocasses et les épisodes tragi-comiques, je conclurai cette chronique comme ce roman délicieux, avec ce conseil tiré d’un extrait de lettre que Cassiopée découvre en rangeant l’appartement de sa mère défunte : « Lis ces mots ma fille. Lis-les vraiment. Puis mets-les au fond du tiroir de la table de nuit, parmi les mots croisés que tu fais lorsque tu t’ennuies, ou bien range-les en haut de la grande armoire de la cuisine, avec des modes d’emploi ménagers que tu as l’habitude de classer par ordre alphabétique. Et alors du tu seras libre. »

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Autres critiques
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Télérama (Fabienne Pascaud)
L’Express (Delphine Peras)
Elle (Jeanne de Menibus)

Extrait
«C’était un beau mariage. Je me souviens de la robe que maman avait mise ce jour-là. En la voyant arriver ainsi, j’ai eu honte, puis j’ai eu honte d’avoir honte de ma mère. « C’est ethnique, ma chérie », m’avait-elle dit avec un grand sourire. Elle portait avec ça des boucles d’oreilles en bois triangulaires, une catastrophe. Je me rappelle d’ailleurs avoir été furieuse contre elle, qu’elle choisisse de s’habiller comme cela le jour de mon mariage. Alors que je lui avais acheté une robe Hermès absolument somptueuse, qui était tout à fait de son âge… Je me suis dit que rien ne pouvait entraver mon bonheur, ce jour-là, et c’était aussitôt devenu vrai. Lucie était déjà dans mon ventre, Benjamin arriverait trois ans plus tard.
Ma mère avait amené une espèce de vieux beau en costume à mon mariage. Mon père était mort depuis longtemps, mais intérieurement j’étais tout de même révoltée. C’était comme la négation de toute la vie qu’on avait eue tous les trois. Je n’ai pas de frères et sœurs. Ça a toujours été moi, rien que moi. Quand mon père est parti, je me suis retrouvée seule face à elle, ne sachant quoi faire. Je ne voulais pas partager un deuil avec elle. Son regard était difficile à soutenir. Cet air vague qu’elle avait le matin en faisant le café. Je savais qu’elle pensait à lui. Et cette musique qu’elle écoutait toujours trop fort, Bob Dylan, Leonard Cohen, Janis Joplin. Je fais souvent l’expérience de ce type d’agacement bien particulier, celui que l’on ressent pour les gens dont on est proche et que l’on connaît par cœur.
Petite, j’avais honte quand elle venait me chercher à l’école. Toutes les autres mères portaient des colliers, des vestes en tweed, des petits talons. Ma mère arrivait en pantalon à carreaux et perfecto en cuir. Elle ne prêtait jamais attention aux autres mères, ou alors leur adressait un sourire radieux, dans lequel pointait l’insolence, lorsqu’elle croisait leur regard effaré. Elle fumait des joints devant mes copines. Je suis sûre qu’elle s’en est roulé un avant de se mettre au lit, le soir de sa mort. Je peux presque visualiser le mégot écrasé sur sa table de nuit. Plus tard, mes amies m’ont enviée d’avoir une mère aussi « rock’n’roll ». Elles ne pouvaient pas comprendre.
Cela fait des années que je n’ai pas pleuré. » (p. 18-19)

A propos de l’auteur
Garance Meillon est scénariste et réalisatrice. Elle livre ici une plongée sensible, dure et drôle, dans la cellule pathogène qu’est la famille, qui pose avec humour et violence les questions de l’amour, de l’affranchissement et de la transmission.
Une famille normale est son premier roman. (Source : Éditions Fayard)

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Focus Littérature

140 signes :

De ce pas

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De ce pas
Caroline Broué
Sabine Wespieser
Roman
176 p., 17 €
EAN : 9782848051994
Paru en janvier 2016

Où?
Le roman se déroule notamment en Afrique du Sud, au large de Gansbaaï, dans le Languedoc-Roussillon, pays d’Uzès, village de Montaren-et-Saint-Médiers, dans un autre petit village, près de Limoges, à New York, en Italie sur l’île de Panarea, à Madrid, Londres, Florence, au Portugal, dans un coin perdu au sud de Lisbonne, à Paris, en Chine à Hengduan, au Maroc à Ouarzazate, ainsi que des évocations du Cambodge, de Phnom Penh et de l’Ardèche, entre Aubenas, Saint-Sauveur-de-Montagut, Saint-Julien-du-Gua et Saint-Michel-de-Chabrianoux, Chambon-de-Bavas, Antraigues.

Quand?
L’action se situe de nos jours, principalement de 1975 à 2015.

Ce qu’en dit l’éditeur
« Envoûtée, comme enivrée, Marjorie l’était à nouveau en regardant l’homme et la femme onduler sous ses yeux. Leurs bras chantaient en canon. Leurs mains se croisaient à intervalles réguliers. Le mouvement était répété plusieurs fois, puis la musique s’emballait, et leur pas de deux se terminait par un porté de haute volée. Pour Marjorie, qui parlait la danse mieux que personne, la signification était très claire. Après une phase d’atermoiements, de faux-fuyants et de méfiance, l’homme et la femme faisaient le choix de la concorde, de l’harmonie. Ensemble, ils effaçaient le temps de l’incertitude. Ou, mieux, ils l’oubliaient. »
Ancienne danseuse étoile, Marjorie a fait ses adieux à la scène au moment où elle admire ce pas de deux. Elle vit avec Paul, une petite fille est née, et elle s’interroge sur son avenir.
Toute la tension dramatique de ce premier roman remarquable de concision est contenue dans la description du couple dansant : après l’éblouissement de la rencontre, le temps pour Marjorie et Paul est aux faux-fuyants. L’un et l’autre ont voulu croire qu’ils pourraient faire fi de leur passé : Marjorie de ses origines cambodgiennes ; Paul, un protestant ardéchois, des névroses familiales. Leurs deux silences, qui leur furent d’abord un refuge, s’entrelacent jusqu’à les éloigner.
Par-delà l’histoire de Marjorie et de Paul, Caroline Broué, en de brèves séquences syncopées, scrute les doutes d’adultes de quarante ans aujourd’hui : ceux que la vie oblige à prendre leur destin à bras-le-corps et dont c’est le tour d’entrer en scène. De ce pas est un très beau roman sur le temps qui passe, et sur ses bienfaits.

Ce que j’en pense
***
L’alchimie de la rencontre. Un jour peut-être les chimistes découvriront par quel processus chimique deux solitudes finissent par se retrouver, deux histoires par se mêler pour n’en faire plus qu’une. C’est la nécessité plutôt que le hasard qui a mis Paul sur le chemin de Marjorie. Elle est danseuse, il est artiste : «Paul avait beau être photographe, quand ils étaient ensemble, la main du peintre rejoignait le bras du danseur. Ce qui réunissait Paul et Tin, fondamentalement, c’était le silence. Le silence de l’art. Ils se trouvaient précisément à la jonction de deux axes complémentaires : celui du peintre dansant sur sa toile et celui du danseur composant les couleurs de sa chorégraphie.» De cette fusion naîtra une fille, marqueur d’un amour qui va commencer par s’étioler.
Caroline Broué réussit parfaitement à dépeindre cette période charnière, quand arrive la quarantaine, que l’on commence à se retourner sur le chemin parcouru et que l’on peut encore construire un avenir. Ce moment où le passé resurgit, par exemple sous la forme d’une exposition consacrée au Cambodge des Khmers Rouges qui replonge Marjorie dans les affres de sa fuite du pays en 1975. Ou encore sous la forme d’un avis de décès qui conduit Paul à retourner dans son Ardèche natale où s’est construite l’histoire familiale. «Il sait que les souvenirs vont s’entrechoquer et que toute sa douleur va remonter.»
La danseuse étoile arrive au bout de son parcours, le Protestant se demande pourquoi il a choisi de partir avec fracas. Du coup, ce n’est plus une histoire commune qui se construit, mais deux histoires qui, au fil des pages, essaient de trouver leur cohérence. Et séparent le couple.
Construit en courts chapitres, ce beau roman fait la part belle à la mélancolie, celle d’une génération qui, pour avancer encore, doit se réconcilier avec son passé.

68 premières fois
Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger)
Blog Les jardins d’Helene

Autres critiques
Babelio
Le Monde des livres (Florence Bouchy)
Elle (Pascale Frey)
Blog Les mots de la fin

Extrait
« Paul avait beau être photographe, quand ils étaient ensemble, la main du peintre rejoignait le bras du danseur. Ce qui réunissait Paul et Tin, fondamentalement, c’était le silence. Le silence de l’art. Ils se trouvaient précisément à la jonction de deux axes complémentaires : celui du peintre dansant sur sa toile et celui du danseur composant les couleurs de sa chorégraphie. Leurs vies s’entremêlaient, et ce mariage impromptu transcendait leurs différences. Ils n’avaient plus besoin de se parler pour se comprendre. L’entente entre eux était tacite. Ils s’accordaient d’un regard furtif. D’un geste de la main. Loin de tout bavardage, de tout mot superflu, leur mode d’être et de relation relevait de l’implicite, de l’entendu avant même d’être dit. »

A propos de l’auteur
Caroline Broué est productrice depuis 2010 de l’émission « La Grande Table » sur France Culture, le magazine quotidien de la mi-journée qui entremêle la culture et les idées. Diplômée de Sciences politiques et de Lettres modernes, elle est entrée à France Culture en 1998. Productrice adjointe des « Matins de France Culture » de 2002 à 2007 avec Nicolas Demorand puis Ali Baddou, elle y a produit de nombreuses émissions d’entretiens, de débats, de documentaires. Elle a par ailleurs été conseillère éditoriale pour des émissions de télévision (« Le Bateau Livre » sur France 5, « Ce soir ou jamais » sur France 3), responsable de collection (Terrail photo/Magnum) et a collaboré à plusieurs journaux de presse écrite (Le Monde 2, Les Inrockuptibles). En 2008, ses entretiens avec Françoise Héritier ont paru sous le titre L’Identique et le Différent (L’Aube/Radio France).
De ce pas est son premier roman. (Source : Éditions Sabine Wespieser)

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Focus Littérature

Ester ou la passion pure

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Ester ou La passion pure
Lena Andersson
Autrement
Roman
Traduit du suédois par Johanna Brock et Erwan Seure-Le Bihan
218 p., 17 €
ISBN: 9782746740303
Paru en mars 2015

Où?
L’action se situe en Suède, notamment à Malmö, Leksand, Borås, Stockholm ainsi qu’à Paris.

Quand?
Le roman se déroule de nos jours

Ce qu’en dit l’éditeur
« Elle se dit : c’est le moment de dire non et de m’éloigner la tête haute.
Elle se dit : c’est le moment de partir sans me retourner.
Elle lui emboîta le pas. »
Pourquoi n’appelle-t-il pas ? Est-il submergé de travail ? Est-il chez l’autre femme, celle de Malmö ?
Depuis sa rencontre avec Hugo Rask, un artiste célèbre, Ester Nilsson ne dort plus, ne lit plus, ne vit plus. Elle attend. Son cerveau enfiévré analyse, encore et encore, chacune de ses actions. Elle est incapable de faire face aux situations les plus anodines : peut-elle inviter Hugo à dîner même si elle n’a qu’une seule et unique chaise ?
Doit-elle enlever son manteau quand elle passe chez lui à l’improviste ?
Tout semble lui échapper, pourtant une chose est sûre : la raison est soluble dans la passion.

Ce que j’en pense
***
«Ester Nilsson, qui d’habitude se méfiait des honneurs autant que du déshonneur, deux sources d’asservissement au jugement des autres, en était à se demander dans quelle mesure ôter ou non son manteau risquerait de trahir son amour.» Voilà un roman tout entier construit sur ces détails qui, si on n’y prend pas garde, font basculer une vie. Quoi de plus banal que d’enlever son manteau en entrant chez quelqu’un. Seulement voilà, ce geste va être interprété. Peut-être mal. C’est pourquoi, quand on veut être parfaite, quand la soif d’amour motive chacun de ses gestes, on arrive vite à de telles situations. De celles qui vous paralyse, vous anéantit.
Le célèbre artiste Hugo Rask est l’objet des tourments d’Ester. C’est pour lui qu’elle éprouve cette passion pure. Mais là où elle met sa vie en jeu, lui ne voit qu’un jeu. Quand il s’absente, elle s’angoisse, se pose mille questions, se dit qu’elle ferait mieux de capituler, qu’elle n’en peut plus.
Quand il revient et lui propose de dîner, quand elle le retrouve, sa passion se retrouve intacte, instantanément.
«Lorsqu’on aime et que l’on sait l’amour réciproque, le corps est léger. Mais si l’on doute de cette réciprocité, un kilo en pèse trois.»
Tandis qu’Ester se consume, Hugo n’éprouve que l’envie de «se débarrasser des chaînes dont elle l’enserrait».
Cette nouvelle variation sur la relation amoureuse dans un couple qui n’est pas sur la même longueur d’onde a quelque chose de vertigineux. Car cette liaison – on le sent très vite – devient vite dangereuse. Mais comment raisonner une femme amoureuse ?

Autres critiques
Babelio
Blog Mediapart
Toute la culture
Sens critique
Le Temps (Quotidien Suisse)

Extrait
« Elle répondait au nom d’Ester Nilsson. Elle était poète et essayiste avec déjà, à trente et un ans, huit publications conséquentes à son actif. Dogmatiques selon certains, spirituelles selon d’autres. La plupart des gens n’avaient jamais entendu parler d’elle. Sa clarté d’esprit lui faisait percevoir la réalité avec une exactitude dévastatrice, et elle voulait croire que le réel était tel qu’elle le ressentait. Ou plus exactement que les êtres humains sont aptes à saisir le monde tel qu’il est, à condition d’être suffisamment perspicaces et de ne pas se mentir à eux-mêmes. Le subjectif est objectif et l’objectif est subjectif. C’était ainsi, en tout cas, qu’elle s’efforçait de vivre. Elle n’ignorait pas que la recherche de cette même exactitude dans le langage s’apparentait à un enfermement, mais elle la poursuivait quand même. Toute autre aspiration intellectuelle facilite trop la vie des tricheurs et des paresseux de l’esprit, peu soucieux de précision quant à l’articulation des phénomènes entre eux et leur transcription dans la langue. » (p. 5)

A propos de l’auteur
Lena Andersson est née en 1970. Elle est critique littéraire pour le Svenska Dagbladet et éditorialiste pour le Dagens Nyheter – les deux quotidiens suédois les plus importants. Ester ou la passion pure, son cinquième roman, a reçu le prix August en 2013 et s’est vendu à plus de 200 000 exemplaires en Suède. (Source : evene.lefigaro.fr/)

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Le Carré des Allemands

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Le carré des Allemands
Journal d’un autre
Jacques Richard
Éditions de la Différence
Roman
144 p., 17 €
ISBN: 9782729122393
Paru en février 2016

Où?
Le roman se déroule en Belgique.

Quand?
L’action se situe de nos jours, moment d’introspection autour d’actes commis durant la Seconde Guerre mondiale.

Ce qu’en dit l’éditeur
C’est un portrait double que dresse en cinq carnets brefs celui qui dit « je » dans cet étrange et envoûtant roman. Le fils parle de son père : « Qu’a-t-il fait à la guerre, Papa ? – Il s’est engagé à dix-sept ans. Il ne faut pas parler de ça. » Et à travers le père, le fils parle aussi de lui : « Tous les moi que je suis, enchâssés l’un dans l’autre depuis le tout premier.»
Au fil de phrases courtes saisies entre des silences, s’écrit l’histoire d’un homme, ni pire ni meilleur que tant d’autres, happé par l’Histoire, entraîné à tuer sans savoir s’il a vraiment choisi.
Ce « Journal d’un autre » pourrait bien être le « Journal de tous les autres » et ce n’est pas la moindre prouesse de ce livre dense et poignant.

Ce que j’en pense
***
La Seconde Guerre mondiale fait désormais partie de l’Histoire. Les témoins directs de l’événement et les victimes de la Shoah – comme par exemple Elie Wiesel – disparaissant au fil des ans, il nous reste désormais leurs livres ainsi que les travaux des historiens. Mais n’a-t-on pas déjà tout dit sur cette période, exploré les différentes facettes de ce conflit ? Que peut avoir d’original un nouveau roman sur cette période ? Jacques Richard apporte une réponse aussi douloureuse que pertinente à la question. En nous livrant les cinq carnets qui forment ce livre bouleversant, il nous entraîne dans une réflexion qui va au-delà du conflit évoqué. Il nous parle de l’héritage avec lequel les enfants doivent vivre, de la culpabilité ou au moins des interrogations qui les hantent : « Toutes mes innocences dès le premier mensonge. Chacune enchevêtrée à chacune des autres. Tous les mensonges enchevêtrés d’innocence. Toutes les innocences érodées de mensonges, usées, flétries, et toujours aussi nues, fragiles, vraies, les mains croisées sur la poitrine frêle. Tous les moi ingénus, transparents obscurs, anciens, impurs, intacts. Ils sont tous là. Tout le temps, tous les jours. »
Voici donc un fils cherchant à comprendre le choix de son père, essayant d’imaginer pourquoi il a fait le choix de se mettre au service des Allemands, devenant le complice d’exactions de plus en plus terribles au fur et à mesure que le conflit s’intensifie. Après la guerre, comme beaucoup de victimes, le coupable choisit le silence et fuit toute demande d’explication. À la question « Qu’a-t-il fait à la guerre, Papa ? « , on répond à mi-voix : « Il a fait la guerre avec les Allemands. Il s’est engagé à dix-sept ans. Il ne faut pas parler de ça. Pas de pourquoi, pas d’explications. Lui non plus, il ne sera sans doute jamais arriver à expliquer pourquoi à qui que ce soit. » Une attitude qui aggrave encore le trouble du fils qui, jusque devant la tombe de son père, continuera à chercher, à se poser des questions. « Nous sommes dans un jeu de miroirs, de fragments où personne ne se voit tout entier. Mais à tenir les autres à distance, c’est moi-même que j’enferme. Les autres sont mes barreaux. »
Ce court roman sonne comme un cri, un appel. Mais il s’agit également d’un exercice de style. Par moment, on s’imagine lire un poème en prose tant la phrase est travaillée, les mots choisis avec soin : « Il est tout seul. Je suis tout seul. Je suis le genre humain traînant au milieu de rien. Il faudrait dire « il » mais lui, c’est aussi moi. C’est moi autant que je suis « il ». Sujet de quoi ? Je suis le genre humain traînant parmi la neige, traînant parmi les fleurs des poèmes anciens et leurs couleurs, encore, sont celles de l’aurore. Je suis et fils et père. »

68 premières fois
Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger)
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Le blog du petit carré jaune (Sabine Faulmeyer)
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Autres critiques
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Les Lettres françaises (René de Ceccatty)
En attendant Nadeau
Le carnet et les instants (Samia Hammami)
Le Blog de Yv

Extrait
« Les grands vantaux de fer noir s’entrouvrent et absorbent dans le centre psychiatrique une ambulance jaune, une poussette surchargée, un visiteur furtif. Sacs en plastique, bouquets à deux sous. Les gens passent à hauteur de mes yeux et ils n’ont pas l’air tellement plus réels que la lueur des images criardes et changeantes qui tressaute sur les murs nus de ma chambre.
Je donne à mes visiteurs, aux rencontres de hasard, mon plus beau sourire et toutes les marques d’une attention vraie. Je ne veux pas qu’ils s’éloignent. Je les embrasse, les serre contre moi.
Je les touche quand je leur parle. Nous sommes contents. Dans chacun d’entre eux, il y a quelque chose où je me retrouve. Ont-ils quelque chose de moi ? De ce quelque chose qui mijote en moi, qui gueule dans la nuit ?
Je me regarde en eux comme on se penche au-dessus du vide. On n’a pas en permanence la pleine conscience de ce qu’on est. Encore moins de ce que sont les autres. Si c’était possible, il y faudrait une capacité d’attention dont je suis dépourvu. La mienne flotte trop tôt et dérive d’un rien. C’est une sorte de maladie, je suppose. Ça doit porter un nom désormais. Nous en trouvons pour tout ce qui fait peur. Nommer rassure.
Nous sommes dans un jeu de miroirs, de fragments où personne ne se voit tout entier. Mais à tenir les autres à distance, c’est moi-même que j’enferme. Les autres sont mes barreaux. »

A propos de l’auteur
Né à Bruxelles en 1951, de père français et de mère flamande, Jacques Richard a passé son enfance en Algérie. Il est devenu peintre après avoir fait en Belgique des études de musique et de peinture. Il a publié deux recueils de nouvelles et deux récits, dont Petit Traître, finaliste du Prix Rossel 2012 et Prix Franz de Wever de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Le Carré des Allemands est son premier roman. (Source : Éditions de la Différence)

Site internet de l’auteur

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Focus Littérature

Les passants de Lisbonne

BESSON_les-passants-de-lisbonne

Les passants de Lisbonne
Philippe Besson
Julliard
Roman
198 p., 18 €
EAN : 9782260029205
Paru en janvier 2016

Où?
Le roman se déroule principalement à Lisbonne, avec l’évocation de San Francisco et de Paris.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
« On ne renonce jamais vraiment, on a besoin de croire que tout n’est pas perdu, on se rattache à un fil, même le plus ténu, même le plus fragile. On se répète que l’autre va finir par revenir. On l’attend. On se déteste d’attendre mais c’est moins pénible que l’abandon, que la résignation totale. Voilà : on attend quelqu’un qui ne reviendra probablement pas. »
Hélène a vu en direct à la télévision les images d’un tremblement de terre dévastateur dans une ville lointaine ; son mari séjournait là-bas, à ce moment précis.
Mathieu, quant à lui, a trouvé un jour dans un appartement vide une lettre de rupture.
Ces deux-là, qui ne se connaissent pas, vont se rencontrer par hasard à Lisbonne. Et se parler.
Une seule question les taraude : comment affronter la disparition de l’être aimé? Et le manque?
Au fil de leurs déambulations dans cette ville mélancolique, dont la fameuse saudade imprègne chacune des ruelles tortueuses, ne cherchent-ils pas à panser leurs blessures et à s’intéresser, de nouveau, aux vivants ?

Ce que j’en pense
****
Roman d’une rencontre improbable, le nouvel opus de Philippe Besson est d’abord l’histoire de deux séparations, l’une due à la mort de l’être aimé, l’autre à une rupture amoureuse. Le troisième personnage de ce roman intimiste étant la ville de Lisbonne, celle du Fado et celle de Pessoa.
Dans le hall de son hôtel, Mathieu est intrigué par cette femme qui semble passer des heures assise là, sans autre occupation que de vouloir tuer le temps. Ce qui la pousse vers elle n’est pas sa beauté, mais bien plutôt «sa pâleur de cadavre, les cernes autour des yeux, et cette langueur dans tout son être».
Peut-être qu’un jour la science mettra un nom sur ce phénomène étrange qui met en présence deux personnes à l’état d’esprit semblable, sur cette chimie qui attire l’un vers l’autre alors qu’ils ne se connaissent pas, que leurs univers sont à l’opposé l’un de l’autre. Quelques paroles sont échangées. Deux drames sont énoncés.
Hélène ne se remet pas de la perte brutale de son mari Vincent, disparu quelques semaines auparavant, victime d’un tremblement de terre à San Francisco. Mathieu revient dans la ville de son ami Diego Oliveira, qui l’a quitté en lui laissant une simple lettre d’adieu.
Très vite, une sorte de complicité s’installe entre eux, marquée par le besoin de dire sa souffrance : « Non, au contraire, je suis prête à parler de ça avec vous. Je veux dire : avec un parfait étranger, ce sera différent. Il me semble pour la première fois que je pourrai tout dire. Voilà : tout dire. Et faire que les mots soient justes.»
Au cours de leurs rencontres successives, on en apprend davantage sur leurs vies brisées, sur leur passé heureux, sur leur histoire personnelle.
Philippe Besson reste dans la retenue, l’ellipse et l’économie de moyens, mais il trouve le ton juste et l’anecdote éclairante, comme cette phrase, la dernière que le mari a prononcée en sortant d’une réunion avec des clients pour téléphoner à son épouse, en ajoutant « après, il sera trop tard». Hélène racontera la chose à Vincent : «Je me suis souvenue que les derniers mots de mon mari avaient été : après, il sera trop tard.
Ce dernier, en apprenant que Vincent était architecte, et qu’il a construit des immeubles à San Francisco ne pourra s’empêcher «de penser à l’ironie de la situation: être bâtisseur et finir enseveli sous les décombres.»
En cheminant dans les rues de la capitale portugaise, en dînant au restaurant, au bord du Tage et dans les rues tortueuses empruntées par le tramway, on comprend qu’ils ne sont pas là pour faire du tourisme, mais pour essayer d’oublier, d’évacuer leur histoire. Aussi bien pour elle que pour lui.
« Elle sait cette affliction et ce désenchantement des hommes quand ils ont été quittés. Elle a toujours attiré les êtres blessés, a appris à repérer leur vague à l’âme. Cela lui fera du bien d’entendre une histoire d’amour, même si elle est terminée.
« Il n’a que cette solidarité misérable à lui offrir, décontenancé par la somme des coups du sort qu’elle a reçus. »
En orfèvre, l’auteur taille son diamant noir, en dévoile tour à tout toutes les facettes :
« Comment on arrive à ne plus penser, chaque jour, chaque heure, à celui qui n’est plus là ? Comment on résiste à ces détails insignifiants, une musique, un endroit, un parfum, un geste, qui renvoient instantanément à celui qui n’est plus là ? Comment on se débrouille, avec le ventre qui se tord, le sommeil qui se dérobe ? On a beau s’occuper l’esprit, se lancer dans des aventures neuves, ou même se concentrer sur des occupations ordinaires, toujours ça revient, comme un rhumatisme, une maladie de vieillard. […] Et, de toute façon, dans la solitude, dans la pénombre, ça attaque de nouveau, ça reprend son lent travail de corrosion. »
Hélène et Mathieu parviendront-ils à échapper à cette spirale infernale ? C’est tout l’enjeu du livre. C’est aussi ce que je vous laisse découvrir…

Autres critiques
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La Vie (Yves Viollier)
Marie France (Sylvie Metzelard)
France Info (Le livre du jour – Philippe Vallet)
Blog Cultur’Elle (Caroline Doudet)
Blog Bricabook
Blog La XXVème heure
Blog Parfums de livres

Les 24 premières pages

Extrait
« Elle a toujours aimé les ports, elle en ignore la raison, ça ne vient même pas de son enfance, elle est née à Paris, a grandi loin de la mer. Mais voilà, les bateaux qui s’en vont, ceux qui reviennent, les sirènes des ferries, le glissement des voiliers, la majesté des paquebots, même les chalutiers qui vomissent leur marchandise, toute cette agitation lui plaît. Lui, il comprend ce goût, il le partage. Il a toujours cherché à savoir où partaient les cargos, vers quels continents. Il a rêvé d’Afrique, de Brésil. Il s’intéresse aussi aux marins, aux hommes dans l’effort, à leur rudesse, troublé par ce qu’ils dégagent. Et plus que tout, il est fasciné de constater à quel point, ici en particulier, le sel corrode tout, s’attaque à la pierre.
« Il faut dire que c’est toujours extraordinaire, une ville posée au bord de l’océan… Vous ne trouvez pas ? — Si. Sauf qu’elle n’est pas à l’abri des cataclysmes. »
Avec cette phrase, elle éloigne, comme d’un revers de main, les images douces et rassurantes des bords de mer, des langues de sable, des mouettes immobilisées dans le ciel par le vent. Elle convoque celles des catastrophes, des vagues en furie, de la mer assassine qui emporte tout sur son passage. Elle dit les morts par milliers, sur des côtes paisibles quelques instants auparavant et soudain submergées par la furie des eaux. Elle dit les dégâts causés par le déchaînement des éléments et cela jette un froid dans leur conversation. Il se croit tenu de ponctuer sa remarque.
« Je vois à quoi vous faites allusion. C’est terrible, bien sûr, ce qui s’est passé à San Francisco, il y a quelques mois, le tremblement de terre, le raz de marée.
— Terrible, oui. Mon mari est mort là-bas.. » » (p. 23-24)

A propos de l’auteur
Depuis Son frère, paru en 2001 et adapté par le réalisateur Patrice Chéreau, Philippe Besson a publié, entre autres, En l’absence des hommes, L’Arrière-saison, Une bonne raison de se tuer, La Maison atlantique et Vivre vite, et est devenu un des auteurs incontournables de sa génération. S’affirmant aussi comme un scénariste original et très personnel, il a signé le scénario de Mourir d’aimer (2009), interprété par Muriel Robin, de La Mauvaise Rencontre (2010) avec Jeanne Moreau, du Raspoutine de Josée Dayan interprété par Gérard Depardieu, et de Nos retrouvailles (2012) avec Fanny Ardant et Charles Berling. Un homme accidentel sera prochainement adapté au cinéma. Un tango en bord de mer, sa première pièce en tant que dramaturge, a été jouée à Paris à l’automne 2014 et publiée parallèlement chez Julliard puis reprise à l’automne 2015 au Théâtre du Petit Montparnasse. (Source : Éditions Julliard)

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Focus Littérature

Ahlam

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Ahlam
Marc Trévidic
JC Lattès
Roman
324 p., 19 €
ISBN: 9782709650489
Paru en janvier 2016

Où?
Le roman se déroule principalement en Tunisie, à Melitta, Remla, Kerkennah,
l’île de Gharbi, de Chergui, à El Kraten, Ouled Kacem, Sidi Tebeni, Er Roumadia, El Attaya, El Abassia, Ouled Bou Ali, Ouled Yaneg, Ouled Ezzedine, Sfax et Tunis. Les villes de New York, Boston, San Francisco et Tokyo ainsi que Saint-Paul-de-Vence sont évoquées, Enfin, un épisode dramatique se déroule à Paris.

Quand?
L’action se situe de nos jours, sur un laps de temps d’une vingtaine d’années.

Ce qu’en dit l’éditeur
Lorsqu’en 2000 Paul, célèbre peintre français, débarque aux Kerkennah en Tunisie, l’archipel est un petit paradis pour qui cherche paix et beauté. L’artiste s’installe dans « la maison de la mer », noue une forte amitié avec la famille de Farhat le pêcheur, et particulièrement avec Issam et Ahlam, ses enfants incroyablement doués pour la musique et la peinture. Peut-être pourront-ils, à eux trois, réaliser le rêve de Paul : une œuvre unique et totale où s’enlaceraient tous les arts.
Mais dix ans passent et le tumulte du monde arrive jusqu’à l’île. Ben Ali est chassé. L’islamisme gagne du terrain. L’affrontement entre la beauté de l’art et le fanatisme religieux peut commencer.

Ce que j’en pense
*****
Un choc. Mais aussi et surtout un coup de cœur. Marc Trévidic, connu pour avoir été juge d’instruction au pôle antiterroriste du Tribunal de Grande Instance de Paris, a eu raison de choisir la forme du roman pour nous parler d’un sujet qu’il connaît bien. Car ses personnages nous permettent de comprendre de façon quasi épidermique comment on peut basculer vers la radicalisation, quel rôle joue l’islam dans cette évolution, quel attrait peut avoir la Syrie et l’armée islamique pour un jeune homme et comment, presque s’en que ses proches ne s’en rendent compte, on peut devenir un terroriste.
Mais venons-en au roman proprement dit. Il met en scène Paul Arezzo, un artiste peintre devenu riche et célèbre après avoir rencontré un galeriste américain subjugué par la manière dont il parvenait dans ses tableaux « à saisir les changements d’états d’âme dans les variations du regard. » Sans doute pour trouver un nouvel élan et pour se ressourcer, il décide de s’installer en Tunisie, à Kerkennah « bien loin de l’Amérique, dans un hôtel un peu miteux, organisant son espace entre sa chambre à coucher et son atelier de la taille, somme toute, de son premier atelier à Montmartre. Peut-être avait-il recherché, sans le savoir, un espace limité où l’artiste dort et peint, un retour aux sources de la création ? »
C’est là qu’il rencontre Farhat et Nora. Lui est marin pêcheur et va accepter de mener Paul au gré de sa barque dans les ports et criques des alentour. « Farhat avait le petit plus : la bouteille fraîche de rosé à dix mètres de fond, dans un filet de pêche accroché à une bouée. Paul en profita mais pas tout seul. Il avait cru que Farhat, religion oblige, ne buvait pas. Il comprit vite le contraire. Deux camarades sur une felouque et sous un soleil de plomb avaient bien le droit au verre de l’amitié. Allah n’y trouverait rien à redire. Juste une petite réprimande peut-être, sous la forme d’une mauvaise conscience a posteriori. »
Nora, quant à elle, est professeur de français. Le couple a deux enfants, Issam et Ahlam. Très bons élèves en classe et de plus en plus beaux en grandissant, ils ne tardent pas à se lier d’amitié avec Paul. Qui entend développer leurs dons artistiques et au-delà, envisage de mêler peinture et musique dans une sorte de mariage des arts.
Un drame va toutefois venir ternir ce beau projet. Nora est victime d’une grave maladie qui l’affaiblit. Très vite, Paul comprend que la seule issue est de confier Nora aux spécialistes parisiens et va entreprendre toutes les démarches pour tenter de sauver son amie et organiser le transfert, même si cette dernière n’entend pas quitter sa famille.
« Nora se fit une philosophie. Elle se sentait mieux. Ses forces étaient revenues. Elle avait vingt-neuf ans. Elle était jeune. Elle avait de la volonté. Elle voulait guérir et elle guérirait. C’était une chance inespérée d’être admise dans un grand hôpital parisien. On le devait à Paul. Et puis, elle n’était jamais allée à Paris. Elle verrait la tour Eiffel, les Champs-Élysées, Notre-Dame, le Sacré-Cœur. Par son enthousiasme contagieux, elle fit taire les objections de Farhat et les pleurs des enfants. »
Mais même les spécialistes français seront impuissants à sauver la belle tunisienne.
À la mort et à la douleur de la famille, l’actualité internationale va ajouter son lot d’incertitudes et de déstabilisation. La chute des tours jumelles et l’attaque du Pentagone en 2001 sont salués par des salafistes. À Kerkennah, on minimise cette «mise en garde appuyée», même si les signes de radicalisation se multiplient. La fin du régime de Ben Ali va encore accentuer les choses. Car si le printemps arabe est synonyme d’ouverture vers la démocratie, ils ouvre aussi une période d’incertitudes qui voit les mouvements islamistes s’imaginer pouvoir prendre le pouvoir. Et laisser leurs exactions impunies. Issam a aussi trouvé refuge dans la religion, reniant l’amitié de Paul avec sa formation artistique. Auprès de ses amis, il va peu à peu dériver vers l’intégrisme et participer à des actions punitives. Jusqu’au jour où son chemin croise celui de sa sœur. Qui va bien essayer de la raisonner, mais en vain. L’altercation est violente : « — J’ai honte, Ahlam. Tu t’habilles comme une Française. Tu exhibes ton corps sans aucune pudeur. C’est quoi, cette robe ?
— Dégage, connard, t’es pas mon père.
Alors, pour la première fois, les deux doigts de la main se séparèrent. Issam, avec des yeux de fou, se précipita sur sa sœur. Il la jeta au sol. Sur la plage déserte, Issam cherchait quelque chose. Ses yeux roulaient, embrassaient l’espace. Il vit une algue fournie et longue, comme une corde épaisse gorgée d’eau. Il la ramassa. Ahlam était étendue, le ventre sur le sable, pleurant de tout son corps en soubresauts convulsifs. Et Issam commença. Le premier coup ne fut pas violent. Un coup d’essai. L’algue était un bon fouet. Elle avait claqué dans l’air, vibré sur les épaules d’Ahlam en projetant des centaines de gouttelettes qui ressemblaient à des perles de cristal. Issam recommença et ne put s’arrêter. Il fouettait l’ait et il fouettait le dos de sa sœur. Il criait shaytan, shaytan. Chaque coup était une décharge électrique pour la jeune fille. Elle était terrorisée. Une fois, juste une fois, elle tenta de tourner la tête pour comprendre ce qui lui arrivait, mais l’algue lui brûla le visage. Alors elle enfouit sa tête dans le sable. Protéger son visage, protéger son visage ! Que le dos supporte, qu’il soit lacéré, mais pas son visage. De toute façon, elle allait mourir. Au bout de trois minutes, elle en était certaine. Quelque chose avait emporté son frère, était entré dans son corps, avait pris possession de son esprit. Ce ne pouvait être vraiment lui, pas Issam, pas son frère adoré, pas celui qui se blottissait contre elle, la nuit tombée, quand la tempête soufflait. Elle n’avait jamais aimé personne comme lui. Il était son double. Quand elle jouait, il lui jetait un regard tendre et peignait la beauté du monde. Elle regardait sa nuque, son dos, ses bras qui dessinaient l’espace. Issam était son héros… devenu son bourreau. »
Des dizaines d’articles, d’études et de reportages essaient d’expliquer les attentats de Paris, de Bruxelles, de Nice, de Munich, de Tunis et d’ailleurs. Il y est question de cellules terroristes, de logistique, de voyages en Syrie, d’armée islamique… Marc Trévidic nous montre qu’un garçon tout à fait «normal» peut basculer du jour au lendemain, devenir un «moudjahidin courageux». Que ni son père, ni sa sœur ne comprennent vraiment ce qui le motive et combien il est difficile de le ramener à la raison.
Avec habileté, l’auteur mêle l’histoire de la Tunisie de ces dernières années au sort de la famille. En choisissant un artiste comme personnage principal, il peut encore appuyer le trait, démontrer que le combat contre l’obscurantisme est aussi un combat culturel. Qu’il n’est jamais gagné et qu’il réclame une vigilance de tous les instants.
En refermant le livre, j’avais en tête les images de la Promenade des Anglais à Nice un soir de 14 juillet. Je revoyais ces corps, cette violence et cette souffrance. Je me suis alors dit que ce livre devrait être au programme des collèges. Ahlam veut dire les rêves…

68 premières fois
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Autres critiques
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Télérama (Juliette Bénabent)

Extrait
« Quand Ahlam essaya une dernière fois de raisonner son frère, quelque chose se brisa pour de bon. Elle n’aurait pas dû essayer. Elle serait restée sur un vague espoir. Elle n’aurait pas entendu les paroles ni subi les gestes de trop.
— J’ai honte, Ahlam. Tu t’habilles comme une Française. Tu exhibes ton corps sans aucune pudeur. C’est quoi, cette robe ?
— Dégage, connard, t’es pas mon père.
Alors, pour la première fois, les deux doigts de la main se séparèrent. Issam, avec des yeux de fou, se précipita sur sa sœur. Il la jeta au sol. Sur la plage déserte, Issam cherchait quelque chose. Ses yeux roulaient, embrassaient l’espace. Il vit une algue fournie et longue, comme une corde épaisse gorgée d’eau. Il la ramassa. Ahlam était étendue, le ventre sur le sable, pleurant de tout son corps en soubresauts convulsifs. Et Issam commença. Le premier coup ne fut pas violent. Un coup d’essai. L’algue était un bon fouet. Elle avait claqué dans l’air, vibré sur les épaules d’Ahlam en projetant des centaines de gouttelettes qui ressemblaient à des perles de cristal. Issam recommença et ne put s’arrêter. Il fouettait l’ait et il fouettait le dos de sa sœur. Il criait shaytan, shaytan. Chaque coup était une décharge électrique pour la jeune fille. Elle était terrorisée. Une fois, juste une fois, elle tenta de tourner la tête pour comprendre ce qui lui arrivait, mais l’algue lui brûla le visage. Alors elle enfouit sa tête dans le sable. Protéger son visage, protéger son visage ! Que le dos supporte, qu’il soit lacéré, mais pas son visage. De toute façon, elle allait mourir. Au bout de trois minutes, elle en était certaine. Quelque chose avait emporté son frère, était entré dans son corps, avait pris possession de son esprit. Ce ne pouvait être vraiment lui, pas Issam, pas son frère adoré, pas celui qui se blottissait contre elle, la nuit tombée, quand la tempête soufflait. Elle n’avait jamais aimé personne comme lui. Il était son double. Quand elle jouait, il lui jetait un regard tendre et peignait la beauté du monde. Elle regardait sa nuque, son dos, ses bras qui dessinaient l’espace. Issam était son héros… devenu son bourreau. Maintenant Ahlam ne sentait plus rien. Sans doute Issam frappait-il encore. Pas sûr. Ahlam eut un sursaut. D’où lui venait-il ? Du visage tendre de sa mère, des histoires qu’elle leur racontait, Issam à droite dans le lit, elle à gauche, Nora au centre. Au temps du bonheur. Et maintenant ?
— Issam, c’est la robe de maman !
Elle avait hurlé. Elle avait craché tout l’air de ses poumons en dégageant sa tête du sable. Elle hurla encore plus fort :
— Issam, c’est la robe de maman que je porte, celle à fleurs !
Celle à fleurs ? Celle à fleurs ! Issam se souvenait. Qu’elle était belle, maman, avec cette robe à fleurs qui accrochait le soleil ! Tout le monde la regardait. Il n’y avait rien de mal dans le regard des gens, seulement de l’admiration et de la tendresse, le plaisir de voir la beauté qui effleure le sol.
Issam avait laissé tomber son fouet d’algues à ses pieds. Il était taché de sang. Que faisait-il au juste ? Et après, ce serait quoi ?
Ahlam resta longtemps sur la plage, inerte. Elle n’avait pas perdu connaissance mais ne savait pas comment le monde allait tourner désormais. La nuit tomberait-elle ? Le jour viendrait-il ? Était-il possible que le monde existe après ça ? Puis, lentement, elle se redressa. Assise sur le sable, elle laissa le vent du large la recoiffer. Elle avait besoin de revivre. Elle se sentait morte. La nuit tombait doucement. Bientôt, si elle ne faisait rien, son père ou Fatima la chercherait et la trouverait. Il faudrait qu’elle explique. À cette pensée, la honte et la peur l’envahirent. C’était un curieux mélange de sentiments. Pourquoi avait-elle peur ? Pourquoi avait-elle honte ? Il lui semblait que, si elle racontait ce qui s’était passé, il n’y aurait plus jamais de retour en arrière. Son enfance serait effacée, Nora serait morte pour de bon et la famille serait pulvérisée. Elle comprit ce qu’elle devait faire. Elle hocha la tête de bas en haut avec résolution. Elle ne dirait rien. Elle serait forte. Elle laisserait du temps au temps et Issam à ses démons. » (p. 135-136-137-138)

A propos de l’auteur
Marc Trévidic a été juge d’instruction au pôle antiterroriste du Tribunal de Grande Instance de Paris, est l’un des meilleurs spécialistes des filières islamistes. Il est aujourd’hui vice-président au tribunal de grande instance de Lille où il est en charge de la coordination du pôle pénal.
Il est l’auteur de deux ouvrages très remarqués, Au cœur de l’antiterrorisme et Terroristes, tous deux publiés chez Lattès en 2010 et 2013, Marc Trévidic est également président de l’AFMI, Association Française des Magistrats Instructeurs. Ahlam est son premier roman. (Source : Éditions JC Lattès)

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