L’Affaire Alaska Sanders

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En deux mots
En avril 1999 la découverte du cadavre d’Alaska Sanders met en émoi les habitants de Pleasant Mountain. Et si l’enquête es rapidement bouclée, Perry Gahalowood, le sergent de la brigade criminelle, et son ami Marcus Goldman ne se satisfont pas de cette version. Au fil de leur contre-enquête, ils vont aller de surprise en surprise.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Enquête sur une enquête bâclée

Le nouveau roman de Joël Dicker, L’Affaire Alaska Sanders, chaînon manquant entre La vérité sur l’affaire Harry Quebert et Le Livre des Baltimore, paraît au sein de la maison d’édition créée par l’auteur Genevois. Un double défi qu’il relève haut la main!

Disons-le d’emblée. C’est un vrai plaisir de retrouver Marcus Goldman et les protagonistes de La vérité sur l’affaire Harry Quebert dans ce nouveau roman qui vient s’insérer chronologiquement entre le roman qui a fait connaître Joël Dicker dans le monde entier et Le Livre des Baltimore et couvre les années 2010-2011. Il met en scène des personnages que les fidèles lecteurs de Joël Dicker connaissent bien et que les nouveaux lecteurs découvriront avec bonheur.
Dans un court chapitre initial, on apprend qu’ Alaska Sanders, employée de station-service dans une bourgade du New Hampshire, est assassinée en avril 1999.
Puis on bascule en 2010 à Montréal où se tourne l’adaptation de G comme Goldstein, le livre qui aura transformé Marcus Goldman en phénomène éditorial. Et même s’il a un peu de peine à trouver l’inspiration, tout va bien pour lui. Il a depuis trois mois une liaison avec Raegan, une superbe pilote d’Air Canada rencontrée à New York la nuit du nouvel an et Hollywood lui propose un pont d’or pour adapter La vérité sur l’affaire Harry Quebert. Mais pour l’instant, il ne veut pas de cette version cinématographique, car il imagine que Harry Quebert – dont il n’a plus de nouvelles – n’apprécierait pas cette plongée dans un dossier qui l’a certes innocenté mais surtout totalement discrédité.
C’est d’ailleurs en tentant de retrouver son mentor à Aurora où il pense qu’il a pu se réfugier qu’il va retrouver Perry Gahalowood, le sergent de la brigade criminelle, et sa famille. Il avait fait sa connaissance au moment de l’affaire Quebert et s’était lié d’amitié avec le policier, son épouse Helen et ses deux filles Malia et Lisa.
Alternant les époques, l’auteur nous fait suivre en parallèle l’enquête menée par Perry en 1999 pour retrouver les assassins d’Alaska Sanders, retrouvée par une joggeuse au moment où un ours noir s’attaque à sa dépouille et l’enquête que mène Marcus onze ans plus tard.
Car si dès la page 161, l’affaire est officiellement bouclée avec la mort de Walter Carrey, le petit ami d’Alaska, confondu par son ADN, et celui de son complice Eric Donovan, condamné à perpétuité, l’affaire sera relancée à peine dix pages plus tard, lorsque Marcus retrouve Perry, venu assister aux obsèques d’Helen, qui vient de succomber d’une crise cardiaque. Mais n’en disons pas davantage de peur de gâcher le plaisir à découvrir les rebondissements de ce roman aussi dense que passionnant.
Soulignons plutôt combien les fidèles lecteurs de Joël Dicker trouveront ici de quoi se régaler. Car ils savent que dans ses romans, comme avec les poupées russes, une histoire peut en cacher une autre. Il faut alors recommencer à enquêter, rechercher à quel moment on a fait fausse route. Son duo d’enquêteurs revoit alors son scénario, un peu comme l’écrivain, qui écrit sans connaître la fin de son roman et se laisse guider par le plaisir qu’il rencontre en imaginant les situations auxquelles ses personnages sont confrontés.
Un nouveau page turner dans lequel on retrouvera les thèmes de prédilection de l’auteur, la rédemption «qui n’arrive jamais trop tard», la fidélité en amitié et la ténacité. «Je crois que ce roman raconte avant tout, dans un monde où tout doit être rapide et parfait, comment les relations entre les gens sont devenues superficielles. On ne prend pas vraiment le temps de connaître les autres et fort souvent, quand on fait l’effort de s’intéresser à eux, on découvre des choses cachées, que l’on se refusait peut-être à voir jusque-là. C’est ce que découvrent Perry et Marcus», explique du reste le Genevois qui m’a accueilli dans les bureaux de sa nouvelle maison d’édition.
Car c’est avec un «double trac» qu’il sillonne désormais les plateaux de télévision, les rédactions et les librairies. D’abord en Suisse, où le roman paraît avec une semaine d’avance, puis en France. Il y présente son roman, mais aussi sa maison d’édition, Rosie & Wolfe. Dans un premier temps, elle va proposer tous les romans de l’écrivain-entrepreneur dans une version grand format, poche, numérique et audio. L’an prochain de nouvelles plumes devrasient élargir le catalogue.

J’aurais pour ma part le plaisir de l’accueillir en mai prochain à Mulhouse. Et pour les impatients, signalons aussi la rencontre et lecture digitale organisée par l’Éclaireur FNAC le 9 mars à 19h.

L’Affaire Alaska Sanders
Joël Dicker
Éditions Rosie & Wolfe
Roman
576 p., 23 €
EAN 9782889730018
Paru le 10/03/2022

Où?
Le roman est situé aux États-Unis et au Canada. Entre New York, Montréal, on y sillonne le New Hampshire, de Concord à Durham, Barrington et Wolfeboro. Côté Canada, on passe aussi par Magog et Stanstead et côté américain, on visite Burrows et Boston, Montclair dans le New Jersey, Salem dans le Massachusetts ou encore Baltimore.
Un voyage au Bahamas, à Nassau et Harbour Island, puis du côté de Miami en Floride.

Quand?
L’action se déroule en 2010-2011, avec de nombreux retours en arrière, principalement en 1999.

Ce qu’en dit l’éditeur
Le retour de Harry Quebert
Avril 1999. Mount Pleasant, une paisible petite bourgade du New Hampshire, est bouleversée par un meurtre. Le corps d’Alaska Sanders, arrivée depuis peu dans la ville, est retrouvé au bord d’un lac.
L’enquête est rapidement bouclée, puis classée, même si sa conclusion est marquée par un nouvel épisode tragique.
Mais onze ans plus tard, l’affaire rebondit. Début 2010, le sergent Perry Gahalowood, de la police d’État du New Hampshire, persuadé d’avoir élucidé le crime à l’époque, reçoit une lettre anonyme qui le trouble. Et s’il avait suivi une fausse piste ?
Son ami l’écrivain Marcus Goldman, qui vient de remporter un immense succès avec La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, va lui prêter main forte pour découvrir la vérité.
Les fantômes du passé vont resurgir, et parmi eux celui de Harry Quebert.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
goodbook.fr
RTS (Philippe Revaz)
Le Messager (Claire Baldewyns)
Podcast La bouteille à moitié pleine

Les premières pages du livre
La veille du meurtre
Vendredi 2 avril 1999

La dernière personne à l’avoir vue en vie fut Lewis Jacob, le propriétaire d’une station-service située sur la route 21. Il était 19 heures 30 lorsque ce dernier s’apprêta à quitter le magasin attenant aux pompes à essence. Il emmenait sa femme dîner pour fêter son anniversaire.
– Tu es certaine que ça ne t’embête pas de fermer ? demanda-t-il à son employée derrière la caisse.
– Aucun problème, monsieur Jacob.
– Merci, Alaska.
Lewis Jacob considéra un instant la jeune femme : une beauté.
Un rayon de soleil. Et quelle gentillesse ! Depuis six mois qu’elle travaillait ici, elle avait changé sa vie.
– Et toi ? demanda-t-il. Des plans pour ce soir ?
– J’ai un rendez-vous…
Elle sourit.
– À te voir, ça a l’air d’être plus qu’un rendez-vous.
– Un dîner romantique, confia-t-elle.
– Walter a de la chance, lui dit Lewis. Donc ça va mieux entre vous ?
Pour toute réponse, Alaska haussa les épaules. Lewis ajusta sa cravate dans le reflet d’une vitre.
– De quoi j’ai l’air ? demanda-t-il.
– Vous êtes parfait. Allez, filez, ne soyez pas en retard.
– Bon week-end, Alaska. À lundi.
– Bon week-end, monsieur Jacob.
Elle lui sourit encore. Ce sourire, il ne l’oublierait jamais.

Le lendemain matin, à 7 heures, Lewis Jacob était de retour à la station-service pour en assurer l’ouverture. À peine arrivé, il verrouilla derrière lui la porte du magasin, le temps de se préparer à recevoir les premiers clients. Soudain, des coups frénétiques contre la porte vitrée : il se retourna et vit une joggeuse, le visage terrifié, qui poussait des cris. Il se précipita pour ouvrir, la jeune femme se jeta sur lui en hurlant : « Appelez la police ! Appelez la police ! »
Ce matin-là, le destin d’une petite ville du New Hampshire allait être bouleversé.

PROLOGUE
À propos de ce qui se passa en 2010
Les années 2006 à 2010, malgré les triomphes et la gloire, sont inscrites dans ma mémoire comme des années difficiles. Elles furent certainement les montagnes russes de mon existence.
Ainsi, au moment de vous raconter l’histoire d’Alaska Sanders, retrouvée morte le 3 avril 1999 à Mount Pleasant, New Hampshire, et avant de vous expliquer comment je fus, au cours de l’été 2010, impliqué dans cette enquête criminelle vieille de onze ans, je dois d’abord revenir brièvement sur ma situation personnelle à ce moment-là, et notamment sur le cours de ma jeune carrière d’écrivain.
Celle-ci avait connu un démarrage foudroyant en 2006, avec un premier roman vendu à des millions d’exemplaires.
À vingt-six ans à peine, j’entrais dans le club très fermé des auteurs riches et célèbres, et j’étais propulsé au zénith des lettres américaines.
Mais j’allais vite découvrir que la gloire n’était pas sans conséquence : ceux qui me suivent depuis mes débuts savent combien l’immense succès de mon premier roman allait me déstabiliser. Écrasé par la célébrité, je me retrouvais dans l’incapacité d’écrire. Panne de l’écrivain, panne d’inspiration, crise de la page blanche. La chute.
Puis était survenue l’affaire Harry Quebert, dont vous avez certainement entendu parler. Le 12 juin 2008, le corps de Nola Kellergan, disparue en 1975 à l’âge de quinze ans, fut exhumé du jardin de Harry Quebert, légende de la littérature américaine. Cette affaire m’affecta profondément : Harry Quebert était mon ancien professeur à l’université, mais surtout mon plus proche ami à l’époque. Je ne pouvais croire à sa culpabilité.
Seul contre tous, je sillonnai le New Hampshire pour mener ma propre enquête. Et si je parvins, finalement, à innocenter Harry, les secrets que j’allais découvrir à son sujet briseraient notre amitié.
De cette enquête, je tirai un livre : La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, paru au milieu de l’automne 2009, dont l’immense succès m’installa comme écrivain d’importance nationale. Ce livre était la confirmation que mes lecteurs et la critique attendaient depuis mon premier roman pour m’adouber enfin. Je n’étais plus un prodige éphémère, une étoile filante avalée par la nuit, une traînée de poudre déjà consumée : j’étais désormais un écrivain reconnu par le public et légitime parmi ses pairs.
J’en ressentis un immense soulagement. Comme si je m’étais retrouvé moi-même après trois ans d’égarements dans le désert du succès.
C’est ainsi qu’au cours des dernières semaines de l’année 2009, je fus envahi par un sentiment de sérénité. Le soir du 31 décembre, je célébrai l’arrivée du Nouvel an à Times Square, au milieu d’une foule joyeuse. Je n’avais plus sacrifié à cette tradition depuis 2006. Depuis la parution de mon premier livre. Cette nuit-là, anonyme parmi les anonymes, je me sentis bien.
Mon regard croisa celui d’une femme qui me plut aussitôt. Elle buvait du champagne. Elle me tendit la bouteille en souriant.
Quand je repense à ce qui se passa au cours des mois qui suivirent, je me remémore cette scène qui m’avait donné l’illusion d’avoir enfin trouvé l’apaisement.
Les évènements de l’année 2010 allaient me donner tort.

Le jour du meurtre
3 avril 1999
Il était 7 heures du matin. Elle courait, seule, le long de la route 21, dans un paysage verdoyant. Sa musique dans les oreilles, elle avançait à un très bon rythme. Ses foulées étaient rapides, sa respiration maîtrisée  : dans deux semaines, elle prendrait le départ du marathon de Boston. Elle était prête.
Elle eut le sentiment que c’était un jour parfait : le soleil levant irradiait les champs de fleurs sauvages, derrière lesquels se dressait l’immense forêt de White Mountain.
Elle arriva bientôt à la station-service de Lewis Jacob, à sept kilomètres exactement de chez elle. Elle n’avait initialement pas prévu d’aller plus loin, pourtant elle décida de pousser encore un peu l’effort. Elle dépassa la station-service et continua jusqu’à l’intersection de Grey Beach. Elle bifurqua alors sur la route en terre que les estivants prenaient d’assaut lors des journées trop chaudes. Elle menait à un parking d’où partait un sentier pédestre qui s’enfonçait dans la forêt de White Mountain jusqu’à une grande plage de galets au bord du lac Skotam. En traversant le parking de Grey Beach, elle vit, sans y prêter attention, une décapotable bleue aux plaques du Massachusetts. Elle s’engagea sur le chemin et se dirigea vers la plage.
Elle arrivait à la lisière des arbres, lorsqu’elle aperçut, sur la grève, une silhouette qui la fit s’arrêter net. Il lui fallut quelques secondes pour se rendre compte de ce qui était en train de se passer. Elle fut tétanisée par l’effroi. Il ne l’avait pas vue.
Surtout, ne pas faire de bruit, ne pas révéler sa présence : s’il la voyait, il s’en prendrait forcément à elle aussi. Elle se cacha derrière un tronc.

L’adrénaline lui redonna la force de ramper discrètement sur le sentier, puis, lorsqu’elle s’estima hors de danger, elle prit ses jambes à son cou. Elle courut comme elle n’avait jamais couru.
Elle était volontairement partie sans son téléphone portable. Comme elle s’en voulait à présent !
Elle rejoignit la route 21. Elle espérait qu’une voiture passerait : mais rien. Elle se sentait seule au monde. Elle piqua alors un sprint jusqu’à la station-service de Lewis Jacob. Elle y trouverait de l’aide. Quand elle y arriva enfin, hors d’haleine, elle trouva porte close. Mais voyant le pompiste à l’intérieur elle tambourina jusqu’à ce qu’il lui ouvre. Elle se jeta sur lui en s’écriant: «Appelez la police ! Appelez la police!»

Extrait du rapport de police
Audition de Peter Philipps
[Peter Philipps est agent de la police de Mount Pleasant depuis une quinzaine d’années. Il a été le premier policier à arriver sur les lieux. Son témoignage a été recueilli à Mount Pleasant le 3 avril 1999.]

Lorsque j’ai entendu l’appel de la centrale au sujet de ce qui se passait à Grey Beach, j’ai d’abord cru avoir mal compris. J’ai demandé à l’opérateur de répéter. Je me trouvais dans le secteur de Stove Farm, qui n’est pas très loin de Grey Beach.

Vous y êtes allé directement ?
Non, je me suis d’abord arrêté à la station-service de la route 21, d’où le témoin avait appelé les urgences. Au vu de la situation, je trouvais important de lui parler avant d’intervenir. Savoir à quoi m’attendre sur la plage. Le témoin en question était une jeune femme terrorisée. Elle m’a raconté ce qui venait de se passer. Depuis quinze ans que j’étais policier, je n’avais jamais fait face à une situation pareille.

Et ensuite ?
Je me suis immédiatement rendu sur place.

Vous y êtes allé seul ?
Je n’avais pas le choix. Il n’y avait pas une minute à perdre. Je
devais le retrouver avant qu’il ne prenne la fuite.

Que s’est-il passé ensuite ?
J’ai conduit comme un dingue de la station-service jusqu’au parking de Grey Beach. En arrivant, j’ai remarqué une décapotable bleue, avec une plaque du Massachusetts. Ensuite, j’ai attrapé le fusil à pompe et j’ai pris le sentier du lac.

Et… ?
Quand j’ai déboulé sur la plage, il était toujours là, en train de s’acharner sur cette pauvre fille. J’ai hurlé pour qu’il arrête, il a levé la tête et il m’a regardé fixement. Il a commencé à approcher lentement dans ma direction. J’ai compris aussitôt que
c’était lui ou moi. Quinze ans de service, et je n’avais encore jamais tiré un coup de feu. Jusqu’à ce matin. »

À propos de l’auteur
Joël Dicker © Photo Markus Lamprecht

Joël Dicker est né en 1985 à Genève où il vit toujours. Ses romans sont traduits dans le monde entier et sont lus par des millions de lecteurs. Son œuvre a été primée dans de nombreux pays. En France, il a reçu le Prix Erwan Bergot pour Les derniers jours de nos pères, puis le Prix de la vocation Bleustein-Blanchet, Le Grand prix du roman de l’Académie française et le Prix Goncourt des lycéens pour La vérité sur l’affaire Harry Quebert. Ce roman a aussi été élu parmi «les 101 romans préférés des lecteurs du monde» et a été adapté en série télévisée par Jean-Jacques Annaud. Il a publié en 2015 Le livre des Baltimore, en 2018 La Disparition de Stéphanie Mailer, en 2020 L’Énigme de la chambre 622 et en 2022 L’Affaire Alaska Sanders.

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Kérozène

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En deux mots
Dans une station-service d’autoroute, du côté des Ardennes, quatorze personnes se croisent. Avec leur histoire, avec leurs problèmes, avec leurs rêves que chacun des chapitres suivants va nous permettre de découvrir, avant de les retrouver presque tous rassemblés dans le chapitre final.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Les quatorze de la station-service

Adeline Dieudonné confirme brillamment sa place de tête parmi les romancières francophones. Après La vraie vie, voici quelques portraits au vitriol de personnages qui se croisent dans une station-service. Kérozène est un nouveau bijou!

Comme dans toutes les stations-service d’autoroute, les gens se croisent et ne prêtent guère attention les uns aux autres. Surtout dans la nuit. Chacun vaque à ses occupations. À 23h 12, lors de cette soirée d’été, on compte quatorze personnes. Julianne, Alika, Victoire, Joseph, Gigi, Monica et les autres. Autant de vies à explorer, autant d’histoires à raconter.
Adeline Dieudonné va commencer par celle de Chelly, qui donne bien le ton du livre. Si elle se retrouve là ce soir, c’est qu’elle a fui son domicile avec le cadavre de son mari dans son Hummer. La prof de pole dance qui s’est construite une belle réputation via les réseaux sociaux ne supporte la vie qu’elle mène avec Nicolas dans leur «petite maison grise dans une rue grise d’un quartier gris». Elle ne supporte surtout plus le bruit que fait sa bouche en grignotant des chips aux pickles. Alors pour arrêter ces petits «schaff schaff», elle lui a planté un couteau dans l’omoplate. En fait, elle visait le cou. Mais quelques secondes plus tard, elle parviendra à la carotide, mettant un terme à la vie de son mari dans un bain de sang.
Le sang, il en sera aussi question dans l’histoire de Victoire, mannequin de 25 ans, qui après un shooting à New York veut rejoindre les îles Féroé pour assister à un grindadráp, cette chasse aux cétacés – et plus particulièrement les dauphins qu’elle déteste – qui consiste à pousser les bêtes vers la plage où des hommes les attendent pour les égorger. Mais il n’y a plus de place sur les vols pour Sandavágur, alors Victoire décide de prendre la route.
Le troisième personnage à entrer en scène est Loïc, le dépanneur. Son truc à lui, ce sont les techniques de drague qu’il partage avec la communauté des pirates. Mais cette nuit, coup de chance, la superbe femme en panne sèche ne veut pas entendre son baratin et accepte de baiser sur l’aire d’arrêt une fois son réservoir rempli.
On est bien sûr tenté de raconter ici toutes ces histoires, tant elles sont prenantes, tant elles sont grinçantes, sanglantes. Mais ce serait refuser au lecteur le plaisir de les découvrir. Disons simplement qu’ils recroiseront Victoire et un cheval, qui lui aussi a beaucoup à dire, sans oublier Monica qui s’est échappée de La vraie vie.
Après le formidable succès de La vraie Vie, Adeline a commencé un second roman, mais avec l’arrivée de la pandémie, elle a voulu passer à des textes plus courts, à des nouvelles. Ce sont ces nouvelles, retravaillées pour créer des ponts entre elles, qui ont permis de construire ce livre, entourées d’un chapitre introductif et conclusif. Un habile montage, mais surtout une plume toujours aussi incisive, plongeant souvent de l’encre la plus noire pour raconter ces vies qui ne laissent guère de place au romantisme. C’est dur, violent, sans concessions. Mais c’est aussi drôle, avec une touche d’absurdité dont la Belgique s’est fait une spécialité. En bref, c’est formidable!

Kérozène
Adeline Dieudonné
Éditions L’Iconoclaste
Roman
312 p., 20 €
EAN 9782378802011
Paru le 1/04/2021

Où?
Le roman est situé en Belgique, principalement dans une station-service des Ardennes. On y évoque aussi New York, Paris ou encore Sandavágur dans les îles Féroé.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Drôle comme une comédie, tendu comme un thriller, mordant comme un pamphlet: le retour de la patte Dieudonné!
Une station-service, une nuit d’été, dans les Ardennes. Sous la lumière crue des néons, ils sont douze à se trouver là, en compagnie d’un cheval et d’un macchabée. Juliette, la caissière, et son collègue Sébastien, marié à Mauricio. Alika, la nounou philippine, Chelly, prof de pole dance, Joseph, représentant en acariens… Il est 23h12. Dans une minute tout va basculer. Chacun d’eux va devenir le héros d’une histoire, entre lesquelles vont se tisser parfois des liens. Un livre composite pour rire et pleurer ou pleurer de rire sur nos vies contemporaines.
Comme dans son premier roman, La Vraie Vie, l’autrice campe des destins délirants, avec humour et férocité. Elle ne nous épargne rien, Adeline Dieudonné: meurtres, scènes de baise, larmes et rires. Cependant, derrière le rire et l’inventivité débordante, Kérozène interroge le sens de l’existence et fustige ce que notre époque a d’absurde.

Les critiques
Babelio 
Lecteurs.com
France Inter (Charline Vanhoenacker et Juliette Arnaud reçoivent la romancière)
Europe 1 (Ça fait du bien)
RTL (Laissez-vous tenter)
L’Echo.be (Charline Cauchie)
France Bleu Drôme (Le livre coup de cœur de Valérie Rollmann)
Page des Libraires (Stanislas Rigot – entretien avec l’auteur)
EmOtionS – Blog littéraire


Adeline Dieudonné présente Kérozène à La Grande Librairie © Production France Télévisions

Les premières pages du livre
« 23h12. Une station-service le long de l’autoroute. Une nuit d’été. Si on compte le cheval mais qu’on exclut le cadavre, quatorze personnes sont présentes à cette heure précise.

Quelqu’un crie: «Madame!» La vieille enjambe le garde-fou et murmure pour elle-même: «Désolée, chaton.» La femme qui a crié s’appelle Julianne. Alertés, les autres lèvent la tête. Alika, assise sur un banc juste à côté d’elle. Victoire, une jeune femme au crâne rasé en train de faire le plein d’un petit SUV. Short court, jambes longues, combat shoes. Plus loin, sur le parking, Joseph, l’air d’un bon gars, grand, les épaules voûtées dans une chemise trempée de sueur. La seule qui n’a pas l’attention attirée vers la vieille c’est Gigi, trop occupée à vomir sur les pneus de sa 911. À quelques mètres d’elle, Juliette s’allume une clope, sous un panneau de sécurité routière. Elle tient la caisse de la station-service, avec Sébastien.
Juliette a remarqué la vieille quand elle est arrivée, une vingtaine de minutes plus tôt. Elle était seule. Après avoir fureté quelques minutes entre les rayonnages, elle s’est approchée du comptoir.
« Vous avez du gin?
— Ah non, on ne vend pas d’alcool.
— Mais vous avez de la bière? »
Juliette a eu un léger haussement d’épaules. Avec un sourire résigné, la vieille s’est dirigée vers le frigo et en a sorti une canette de 33 cl, ce qui a soulagé Juliette. 33 cl, ce n’est pas 50 cl. 33 cl, la personne a juste envie de se désaltérer. 50 cl, elle cherche autre chose. Juliette sait bien qu’avec 50 cl de bière elle n’est plus en état de conduire. À tous les coups elle repense aux paroles de Renaud, « Morts les enfants de la route, dernier week-end du mois d’août, papa picolait sans doute, deux ou trois verres, quelques gouttes ». Puis la chanson s’embourbe dans sa tête pour le reste de la nuit, comme un cerf pris dans un marécage. Et ça lui charcute le moral. Mais la vieille a choisi la canette de 33 cl. Ça va. Elle a payé puis est sortie. Tout ce qu’elle voulait, c’était du silence et de l’alcool.
Elle a longé le restaurant fermé, aux fenêtres hexagonales sur lesquelles étaient placardées des photos de boulettes sauce tomate et de frites. Délavées les photos, grises les boulettes, blanches les frites. À l’extrémité du bâtiment, quelques tables en plastique jaune, délavées elles aussi. Et des parasols repliés dans leurs housses bleues, comme des bougies éteintes sur un gâteau rassis. La vieille a salué Julianne et Alika, a choisi la table la moins sale et s’est assise.
Elle a été surprise par le calme de l’endroit. Si on lui avait demandé de décrire une station-service de nuit, elle aurait évoqué le vacarme, instinctivement. Vacarme des camions sur l’autoroute, vacarme d’une grosse Harley, vacarme de types qui crient d’un bout à l’autre du parking: « Des Winston ou des Marlboro? » – « Quoi??? » – « Des Winston ou des Marlboro ? » – « Non, des camel. » – « Ah OK! » « Light! » – « Quoi ? » – « Light! » Addition de tout un tas d’éléments qui, sans qu’elle ne les identifie individuellement, devaient créer un brouhaha à vous perforer le lobe préfrontal. Or non. Le bruit de l’autoroute ressemblait à une forme de ressac régulier et plutôt doux. Et les gens qui y passaient murmuraient plus qu’ils ne parlaient, comme s’ils avaient peur de réveiller un voisinage imaginaire. Il y avait presque du recueillement dans leurs gestes et dans leurs pas. Peut-être que la route, la chaleur invitaient à un état méditatif qu’ils essayaient de préserver pendant le ravitaillement.
La vieille observait la procession de ces voyageurs nocturnes, en pensant à leurs combats, à leurs peurs, à cet enchevêtrement d’événements aléatoires qui dessinent une vie, unique et irremplaçable. Elle aurait aimé leur demander à chacun de raconter. Cette jeune femme en survêt qui se dirige vers la cafétéria? Et ce type qui sort des jerricans de sa dépanneuse ? Lui, elle pouvait le deviner sans peine. C’était facile.
Un homme est descendu d’une Citroën immatriculée en Suisse, qui tirait un van dans lequel un cheval piaffait. Un type efflanqué, avec un visage qui fascina la vieille. Des yeux bleus très clairs, des cils longs qui donnaient l’impression d’un léger trait d’eye-liner sous la paupière, une bouche pleine, des cheveux noirs un peu ondulés. Il y avait quelque chose de délabré chez cet homme. Et de dangereux. Quand il s’est agenouillé pour vérifier la pression de ses pneus, la vieille a noté qu’il ne se servait que de son bras gauche, le droit se balançant inerte, comme un pendu au bout de sa corde.
Ça sentait l’essence, l’asphalte amolli par la canicule, mais aussi, porté par une brise glissant des hauts plateaux ardennais, le parfum des bruyères, de la roche humide et des tourbières.

À 23h13, la vieille a franchi le garde-fou. Elle s’appelle Monica.

Chelly
Chelly avait besoin de se calmer. Elle inspira un grand coup et décida de faire une pause. Elle aimait les stations-service de nuit, sans trop savoir pourquoi.
Ça lui évoquait Dire Straits.
Elle s’imaginait sur une route poussiéreuse du Montana, au volant d’un pick-up sans âge, la voix rocailleuse et la guitare électrique de Mark Knopfler dans les oreilles, roulant libre et sans attache, vers une destination où il serait question de chevaux, d’un ranch et d’une fête au milieu d’une prairie, avec un grand feu sur lequel grilleraient des spare ribs et des marshmallows.
Dans le feu de l’action, elle remplaçait l’arc à flèche par un fusil à canon scié et elle jouissait.
Et il y aurait ce gars qui jouerait de la guitare, un peu Mark Knopfler, un peu Robert Redford dans L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, un peu Clint Eastwood sur la route de Madison.
Un homme solide, fort, solitaire.
Un type à qui on ne la fait pas, qui aurait vécu une histoire douloureuse, une femme et un gamin morts dans un accident de la route ou quelque chose comme ça…
Un cœur un peu triste qui arpenterait la plaine sur son cheval Appaloosa, menant son troupeau de vaches vers l’abattoir. Elle l’imaginait endormi sous un ciel étoilé, la tête posée sur sa selle western, ses cheveux blonds caressés par le vent qui se lèverait sur le lac Missoula.
La peau de son cou sentirait le cuir souple, l’herbe sèche et la résine de cèdre.
Il la remarquerait, elle, Chelly.
Sans cesser de jouer de la guitare, il poserait les yeux sur ses fesses moulées dans un Levi’s low waist taille 26. Son ventre tendu sous une chemise à carreaux nouée juste au-dessus du nombril, ses bras sculptés par des années de pole dance.
Et son cœur sauvage de cow-boy solitaire recommencerait à battre un peu.
Pour elle, Chelly.
Chelly rêvassait à tout ça en se garant sous le néon du panneau de sécurité routière « Toutes les 2 heures, une pause s’impose ! » sur lequel un type souriait, une petite fille dans les bras. Un type qui avait l’air bêtement heureux avec sa gamine et sa calvitie naissante.
En descendant de sa voiture, Chelly sentit une pointe d’agacement lui chatouiller la gorge. Ce type sur le panneau lui faisait penser à Nicolas, son mari. Et ces derniers temps, penser à Nicolas éveillait systématiquement une forme d’animosité chez Chelly.
En traversant le parking, elle nota le reflet orangé des lampadaires sur son bras. Ça mettait en valeur le galbe de son deltoïde et de son biceps. Elle prit une photo et la posta sur Instagram. « Come on girls ! That’s the way you should look like ! #motivation #hardwork #power #muscles #polefitness ».
Chelly était prof de pole dance. Mais avant tout, Chelly était bloggeuse. ChellyPoleFitness, son compte Instagram, comptait pas moins de 43,7 K abonnés.
Quelques heures plus tôt, en rentrant chez elle, Chelly s’était sentie fatiguée, démotivée, comme si toute sa vitalité était aspirée par un vortex dont elle ne connaissait que trop le point d’origine.
Elle avait poussé la porte de son pavillon de banlieue avec la sensation d’entrer dans la gueule d’un monstre à l’haleine de soufre. Elle s’était souvenue des détraqueurs dans Harry Potter, ces créatures fantomatiques qui se nourrissent du bonheur des gens, les vidant de toute pensée positive, de toute énergie vitale.
Et elle avait retrouvé Nicolas. Ils étaient mariés depuis onze ans. Nicolas était régisseur adjoint sur les plateaux de cinéma. Un métier difficile, rigoureux, aux horaires aléatoires, qui exige d’être débrouillard, résistant au stress et à la fatigue.
Onze ans plus tôt, ce qui avait séduit Chelly chez Nicolas c’était un peu tout ça.
Avec son Leatherman et un peu de scotch, Nicolas pouvait transformer n’importe quelle maison délabrée en un endroit vivable.
La première fois qu’elle l’avait vu, c’était à un barbecue chez des amis qui vivaient dans une casse automobile. Nicolas était en train de fabriquer des canapés avec quelques vieux pneus et des ceintures de sécurité récupérées dans les carcasses de voiture. En moins d’une heure, il avait transformé ce trou sordide en un joli petit salon d’extérieur, avec quelques phares usagés en guise de lampions.
Chelly s’était dit qu’en cas de guerre nucléaire c’était exactement avec un homme comme Nicolas qu’elle choisirait de se lancer dans la grande aventure de la survie. Elle l’imaginait bien dans leur campement de fortune, torse nu, avec un pantalon à poches kaki et un arc à flèche artisanal sur le dos, disparaître dans la forêt en lui disant: « Reste avec les enfants, je vais chercher à manger. »
Et elle le verrait revenir quelques heures plus tard portant la dépouille fumante d’un cerf sur ses épaules musclées, des filets de sang de l’animal égorgé s’écoulant sur son torse glabre, à la peau tannée par un soleil impitoyable.
Et quand elle l’imaginait comme ça au début de leur relation, elle lui sautait dessus pour lui faire l’amour. Ce qui pouvait arriver plusieurs fois par jour. Et pendant qu’il était en elle, dans le feu de l’action, elle remplaçait l’arc à flèche par un fusil à canon scié et elle jouissait.
Leur mariage avait été prononcé à la maison communale, suivi d’une fête dans la buvette d’un club de sport qui sentait le potage froid.
Ils avaient acheté une petite maison grise dans une rue grise d’un quartier gris du nord de la ville, parce que les prix y étaient abordables.
La petite maison était propre, fonctionnelle, avec du carrelage et des matériaux bas de gamme. Dénuée de charme, mais ils s’en foutaient tous les deux du charme…
Ils avaient été heureux au début. Ils se disputaient parfois mais ils s’aimaient et plus que tout, ils étaient fiers l’un de l’autre.
Chelly ne demandait pas grand-chose à Nicolas. Juste de la force, de la discipline et de la rigueur. Elle croyait en ça, Chelly. Comme d’autres croient en Dieu ou au syndicalisme. Elle se voyait comme un animal évoluant dans un écosystème soumis à la loi du plus fort. Les gagnants, les perdants. C’était simple à comprendre. Même un gosse de quatre ans était capable de palper cette réalité: tu bosses, tu survis, tu bosses pas, tu crèves. La sélection naturelle, les plus forts s’en sortent, tant pis pour les autres. C’est la loi de la nature. Limpide, nette et implacable. C’est si simple à comprendre.
Elle se voyait comme un animal évoluant dans un écosystème soumis à la loi du plus fort.
En une décennie de travail acharné, Chelly avait creusé son trou, s’était forgé une réputation, surpassant ses concurrentes les plus tenaces.
43,7 K abonnés sur Instagram.
Merde, 43,7 K abonnés sur Instagram c’était une performance de guerrière. Se constituer une telle audience était une chose, encore fallait-il la maintenir. Poster quinze, vingt photos par jour, motiver ses troupes, être au top de sa forme. Elle était un modèle, une icône, une référence. Elle régnait sur sa communauté comme une louve sur sa meute. Elle était une meneuse née, elle avait ça dans le sang, c’était inné, elle le savait.
Nicolas, lui, voyait son travail comme un truc qu’il devait faire pour ne pas avoir d’ennuis. Des parents satisfaits, des factures payées, un emprunt remboursé… Ça n’avait rien d’amusant mais il fallait le faire.
Au début il avait aimé son métier. C’était nouveau, valorisant. Il avait l’impression de ressembler un peu à son idole d’enfance, MacGyver. Puis la lassitude s’était installée.
Aujourd’hui, tout ce qu’il restait de MacGyver, c’était un gars un peu bedonnant qui gaspillait sa petite flaque d’énergie vitale à se plaindre de son travail. Le boulot de Nicolas se résumait à une source intarissable de frustrations, de vexations, de complots, de mesquineries et de coups bas.
Quand il avait commencé à se plaindre, Chelly s’était demandé pourquoi il ne changeait pas de métier, puis elle avait compris que Nicolas aimait ça, se plaindre. Elle l’avait décelé dans sa façon de raconter ses journées : il ménageait ses effets, se soulageait de ses ressentiments avec le plaisir béat d’un nourrisson qui remplit sa couche.
Il servait à Chelly sa ration quotidienne de lamentations complaisantes avec un petit sourire de fouine. Ça commençait toujours par un « Ah, je ne t’ai pas encore raconté? » (sachant pertinemment que non), suivi d’un « Attends, ça vaut de l’or ».
Et il prenait son temps. Il baissait un peu la voix, plantait ses yeux dans ceux de Chelly tout en penchant son visage vers le sol dans une attitude de soumission, la tête rentrée dans ses épaules. Chelly l’observait en se disant que si le mot « sournois » devait avoir un visage, ça serait celui de Nicolas. Elle avait l’impression que son vocabulaire s’était déformé, privilégiant les mots contenant un maximum de S pour rendre son discours plus persiflant. Même son visage semblait avoir changé. Son nez s’était allongé, son menton avait reculé, ses yeux s’étaient tapis au fond de leurs orbites comme deux petits roquets prêts à aboyer.
Et ce sourire… Cette jubilation dans l’auto-apitoiement, c’était sans aucun doute l’origine du vortex qui aspirait la vitalité de Chelly.
Ce soir-là en tout cas, elle s’était sentie lasse. Et la lassitude n’avait pas sa place dans le répertoire émotionnel de Chelly.
Quand elle était rentrée, Nicolas était déjà à la maison. Il avait fini tôt aujourd’hui. Il l’attendait en grignotant des chips aux pickles assis sur son tabouret haut, accoudé au bar de la cuisine.
Elle l’avait embrassé sans affection. Un réflexe automatique, dénué de sens. Leurs baisers, c’était ça désormais. Et quand ils faisaient l’amour, c’était ça aussi. Un truc clinique, qu’ils accomplissaient moins par envie que parce que ça faisait partie de la panoplie du couple.
T’es en couple, tu fais l’amour. C’est comme ça. Si tu le fais pas, ça devient un truc bizarre, un problème qu’il faudra gérer à terme.
Et puis, côté physiologique, faire l’amour c’était excellent à de multiples points de vue. Elle s’était renseignée sur Internet. Un très bon exercice cardiovasculaire, une manière efficace de brûler les graisses et d’augmenter la production de dopamine, une hormone qui améliore les performances physiques.
Elle avait posé ses affaires et était montée prendre une douche. Elle s’était déjà lavée au club de sport, mais c’était une façon de gagner du temps.
L’idée de rejoindre Nicolas dans la cuisine la séduisait autant que la perspective d’un tête-à-tête avec un cadavre de phoque en décomposition. »

À propos de l’auteur
DIEUDONNE_Adeline_©Andreu-DalmauAdeline Dieudonné © Photo Andreu Dalmau

Adeline Dieudonné est née en 1982, elle habite Bruxelles. Elle a remporté avec son premier roman, La Vraie Vie, un immense succès. Multi-primé, traduit dans plus de 20 langues, ce livre a notamment reçu en 2018 le prix FNAC, le prix Renaudot des lycéens, le prix Russell et le prix Filigranes en Belgique ainsi que le Grand Prix des lectrices de ELLE en 2019. Il s’est vendu à 250 000 exemplaires. (Source: Éditions de l’Iconoclaste)

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Chroniques d’une station-service

LABRUFFE_chroniques_dune-station_service

  RL_automne-2019

Prix de la Maison Rouge 2019

En deux mots:
Derrière le comptoir et devant les pompes à essence d’une station-service de la banlieue parisienne, c’est le spectacle du monde qui attend l’employé-narrateur. Il va nous le raconter en courtes séquences. Une galerie de personnages qui reflètent l’état de la société.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Si vous voulez faire le plein…

…d’histoires cocasses, philosophiques, économiques, sentimentales, alors rendez-vous dans la station-service de la banlieue parisienne où travaille le narrateur du premier roman de Alexandre Labruffe.

Quoi de plus banal et de plus ennuyeux que le travail dans une station-service? Comme le dit le narrateur de ce roman très original, la plupart des automobilistes ignorent jusqu’à l’existence de l’employé qui n’est plus pompiste. Mais à bien y regarder, cet endroit offre un point d’observation privilégié sur le monde, à condition d’élaborer une stratégie pour tromper la routine et l’ennui. Car, que l’on soit riche ou pauvre, en déplacement professionnel ou pour touriste, que l’on soit seul au volant ou en famille, tous se retrouvent un jour à devoir faire le plein ou effectuer un achat de dernière minute et laissent transparaître un bout de leur vie derrière les pompes à essence.
Le jeune homme que met en scène Alexandre Labruffe aime autant l’odeur de l’essence que son poste situé en banlieue parisienne, près de Pantin. Il se voit comme une «vigie sociétale» qui voit passer le monde devant lui «partir ou arriver, excité ou épuisé». La galerie de personnages qui défile là nous donne en effet de quoi nous divertir ou nous faire réfléchir sur des sujets aussi variés que la famille, la politique, l’environnement, les médias ou encore les relations hommes-femmes.
Plus pu moins sérieuses, les notations sur le Coca zéro, le plus produit qu’il vend le plus, sur les films de série B ou de science-fiction qu’il passe en boucle sur son écran ou encore sur les manies des habitués vont le rapprocher de son mentor, lui qui aurait aimé être Baudrillard.
Les mini-chroniques, qui sont autant de choses vues, vont prendre un tour plus intime quand apparaît la jeune femme asiatique: «Cette femme est un mirage. Elle vient probablement d’une autre galaxie. Tous les mardis à la même heure, vers 18 heures, habillée invariablement de talons hauts, de collants (noir ou chair) et d’une jupe à pois (ce qui renforce son innocence et son éclat), elle achète un paquet de chips à l’oignon et repart. Tétanisé, je la regarde pénétrer dans le magasin. Je retiens mon souffle. Tout se contracte, se fige. Le temps. La station. L’espace. Mon cœur.» Que les lecteurs à la recherche d’un plan de drague infaillible passent leur chemin… À moins qu’ils cherchent la confirmation que pour peu que la volonté soit là, il est possible que des miracles se réalisent. Mais je vous laisse découvrir les charmes de la relation qui va se nouer avec Seiza pour en venir aux autres relations de notre employé-sociologue, Ray, Jean Pol, Nietzland et les autres. Cet ami qui divorce sans vouloir quitter sa femme, ce patron qui voit d’un mauvais œil ses initiatives artistiques – transformer la station en galerie d’art – ou encore cette Cassandre qu’il retrouve dans son lit. Un vrai régal de «choses vues», avec un œil pétillant de malice.

Chroniques d’une station-service
Alexandre Labruffe
Éditions Verticales / Gallimard
Premier roman
144 p., 15 €
EAN 9782072828379
Paru le 22/08/2019

Où?
Le roman se déroule en France, en banlieue parisienne, du côté de Pantin. On y évoque aussi Joinville-le-Pont et des vacances à Malte ainsi qu’une virée vers la forêt des Landes.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
«Je me dis que si la station-service explosait par accident, si je mourais sur mon lieu de travail et qu’un archéologue découvrait, dans cent ans, sur les ruines de son chantier, les morceaux de mon squelette d’athlète, mon crâne atypique, ma gourmette en or, à moitié calcinée, agrégée de pétrole et d’acier, il me déclarerait trésor national et je serais exposé au musée des Arts premiers.»
Pour tromper l’ennui de son héros pompiste, Alexandre Labruffe multiplie les intrigues minimalistes, les fausses pistes accidentelles et les quiproquos
érotiques. Comme s’il lui fallait sonder l’épicentre de la banalité contemporaine – un commerce en panne de sens, sinon d’essence – avant d’en extraire les matières premières d’une imagination déjantée.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
lelittéraire.com (Jean-Paul Gavard-Perret)
Livres Hebdo (Alexiane Guchereau)
Voir.ca 
Kroniques.com 

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« 1
Dans le brouillard, comme un phare, à peine visible : le néon HORIZON bleu déglingué du hangar qui clignote devant moi.
2
C’est la nuit. Un client ivre, au comptoir, titube, éructe :
— Où on va, merde? Où sont les poètes, putain?
Que répondre? Que dire? Il a raison. Où sont passés les poètes? Deux clients qui cherchent leur bonheur au rayon FRAÎCHEUR lui jettent un coup d’œil suspicieux. L’homme hurle :
— Barbara! Reviens! Au secours!
Alors qu’ils étaient en train de saisir un sandwich au poulet, les deux autres clients se figent. L’homme ivre me paie son plein et sa bière, en marmonnant je ne sais quoi. Je l’observe partir. Via les écrans de vidéosurveillance : sa démarche de flamant rose claudicant. Chuintement des portes automatiques. Il zigzague jusqu’à sa voiture, qui se trouve à la pompe nº 5.
Le chiffre 5, en Chine, c’est le chiffre du Wu, du rien, du vide. À l’origine et à la fin de toute chose. C’est le chiffre du non-agir, du non-être, du pompiste.
3
Il démarre et part en trombe. Sa Land Rover disparaît dans la nuit américaine qui enveloppe la banlieue de Paris.
4
Je fume une cigarette dehors. Sans client. Libéré. Léger. Enfin désœuvré. Il est minuit. J’aperçois, malgré tout, dans la brume, la forme d’un 35 tonnes. Un camion garé sur le parking poids lourd, au fond de la station-service.
Brusquement : un meuglement. C’est une vache. Une vache meugle dans la nuit. Puissance étrange et poétique de ce meuglement dans la ouate. Je m’immobilise. À l’affût. Des volutes de nuages bas se déplacent lentement, se posent sur le toit de la station. Un autre troupeau de moutons de brume caresse la pompe nº3, recouvre les halos des lumières, des néons, des réverbères, engloutit le tout.
La station n’est plus qu’un souvenir, enfoui dans le brouillard.
Passé quelques minutes, deux vaches meuglent à nouveau. Cela provient du 35 tonnes qui les convoie. Le bruit des voitures filant à toute allure sur le périphérique : étouffé. Un souffle. La fumée de ma cigarette, à mes lèvres, suspendue. Nouveau meuglement. Je me dis que c’est déchirant une vache qui meugle dans la nuit, que c’est comme une bouteille à la mer. J’ai presque envie de pleurer. Je souris. J’exhale un nuage de fumée. Je suis trop sentimental.
5
Aujourd’hui, c’est un jour comme un autre. Il est 17 heures. Je ne fais rien de particulier. Sur le téléviseur installé derrière le comptoir, j’ai mis Mad Max, la version de 1979, que je regarde en boucle depuis ma prise de fonction, essayant d’en extraire sa quintessence, ses enseignements métaphysiques, philosophiques, religieux.
Un client boit un café, absorbé lui aussi par le film. Le soleil se couche. Un rayon lèche l’écran. Une Renault Espace se gare devant la pompe no 2. Je suis disposé de telle façon que je peux regarder et la télé et l’entrée, les gens qui débarquent.
Musique Max Decides On Vengeance.
Une famille sort de l’Espace. Deux enfants, un couple. Ils semblent heureux, rentrent dans la station. La femme achète une bouteille de Coca Zéro tandis que le père accompagne les enfants aux toilettes. Elle dicte, en chuchotant, quelque chose à son téléphone. Envoie ce qu’elle vient de chuchoter. Range son portable à la hâte. Le père et un des enfants reviennent. Elle paie. L’autre enfant surgit en courant. Ils s’en vont.
À la télé, Mad Max : «I’m gonna blow him away!»
Je me dis que la Renault Espace, c’est une certaine idée érodée de la famille.
Une voiture utilitaire se range devant la pompe no 1. Un homme obèse en sort, au téléphone, il entre, prend une canette de Coca Zéro, vient me payer et repart, toujours sur son portable. M’a-t-il seulement vu ?
Rares sont les clients qui me voient ou me parlent. Je suis transparent pour la plupart des gens. Certains se demandent sans doute pourquoi j’existe encore, pourquoi je n’ai pas été remplacé par un automate. Des fois, je me le demande aussi.
Max : «They say people don’t believe in heroes anymore.»
6
Lieu de consommation anonyme, la station-service est le tremplin de tous les instincts.
Ce que je vends le plus: le Coca Zéro.

Le Coca Zéro. Les chewing-gums. Les chips. Les magazines érotiques ou d’automobiles. Les cartes de France. Les sandwichs. L’alcool. Les barres chocolatées (Mars en tête). Et évidemment l’essence.
Une certaine idée du monde en fait : un monde totalement junkie, dont je serais le principal dealer.
6 bis
Je pense à la cocazéroïsation de l’humanité.
7
Combien de barils ai-je vendus depuis mon embauche?
7 bis
Combien de litres y a-t-il dans un baril? Combien je vends de litres par jour? Depuis combien de temps je travaille ici? Disons qu’à raison de 25 litres par client, de 100 clients par jour, en moyenne, depuis 182 jours – vu qu’un baril, c’est 159 litres –, j’ai écoulé au total 455 000 litres, soit exactement 2 861 barils.
8
Je représente le socle de la société moderne. Je suis au sommet de la pyramide de la mobilité en quelque sorte: le rouage essentiel de la mondialisation. (Sans moi, la mondialisation n’est rien.)
Mais mon sommet est fragile. À l’heure du déclin de la production, j’ai parfois l’impression d’appartenir déjà à la préhistoire.
Je me dis que si la station-service explosait par accident, si je mourais sur mon lieu de travail et qu’un archéologue découvrait, dans cent ans, sur les ruines de son chantier, les morceaux de mon squelette d’athlète, mon crâne atypique, ma gourmette en or, à moitié calcinée, agrégée de pétrole et d’acier, il me déclarerait trésor national et je serais exposé au musée des Arts premiers.
Je cherche mon paquet de cigarettes Red Apple.
Cette sensation d’appartenir au passé se renforce. Comme si j’étais un vestige, le dernier dinosaure du monde carbone, la dernière sentinelle d’une époque (pétrochimique) bientôt révolue. Le dernier gardien du phare d’un siècle (le XXe) qui roulait sur l’or: noir.
La fin programmée de l’énergie fossile me mettra au chômage, dans cent cinquante ans exactement.
9
Bien que située en périphérie urbaine, entre un hôtel et un HLM à l’abandon, ma station-service est au centre du monde. Lieu de ravitaillement, de passage, de transit. Début ou fin de route : je suis à la croisée des chemins (à l’orée des possibles ?) que j’observe, la plupart du temps, avec la nonchalance d’un zombie mélancolique. Parfois, avec le sérieux d’un anthropologue hypocondriaque.
Depuis mon poste d’observation, vigie sociétale, je le vois (le monde) passer devant moi, partir ou arriver, excité ou épuisé.
Vortex de trajectoires qu’elle aspire et expulse, trou noir de chemins différents et variés, multiples et indéchiffrables, la station-service est la clef de voûte de la routo-sphère. Sa cheville ouvrière. »

Extrait
« Alors que je suis en train de décrocher les cadres, en équilibre précaire sur un escabeau, une jeune femme asiatique arrive à vélo et se parque devant la vitrine de la capsule. C’est mon moment de grâce. Mon épiphanie hebdomadaire, extrême-orientale. Cette femme est un mirage. Elle vient probablement d’une autre galaxie. Tous les mardis à la même heure, vers 18 heures, habillée invariablement de talons hauts, de collants (noir ou chair) et d’une jupe à pois (ce qui renforce son innocence et son éclat), elle achète un paquet de chips à l’oignon et repart. Tétanisé, je la regarde pénétrer dans le magasin. Je retiens mon souffle. Tout se contracte, se fige. Le temps. La station. L’espace. Mon cœur. » p. 26

À propos de l’auteur
Né à Bordeaux en 1974, Alexandre Labruffe s’est vite réfugié dans les Landes. Après avoir fui la forêt, travaillé dans des usines et des Alliances françaises en Chine puis en Corée du Sud, il collabore désormais à divers projets artistiques et cinématographiques. Chroniques d’une station-service est son premier roman. (Source : Éditions Verticales)

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