Acide

DUMIOT_acide

Prix Maison Rouge 2023
En lice pour le Prix Sade 2023
En lice pour le Prix Littéraire de la Fondation de la Vocation

En deux mots
Aussi incompréhensible que révoltant: une jeune femme est victime d’une attaque à l’acide sur un quai de métro. Des années de calvaire s’en suivront pour tenter de lui redonner un visage. Alors que l’enquête piétine, un adepte du darknet découvre une vidéo de l’agression. Ce qu’il voit va dès lors l’obséder.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Une vie sans visage

Pour son premier roman Victor Dumiot frappe fort. Il raconte l’attaque à l’acide d’une jeune femme sur un quai de métro et les années qui suivent. Une horreur qui va fasciner un adepte du darknet. Âmes sensibles s’abstenir.

Camille mène une vie sans histoires. La parisienne de 27 ans s’apprête à retrouver des amis pour la soirée lorsque sa vie bascule. Sur le quai de la station de métro Jussieu un homme se dirige vers elle et l’asperge d’acide sulfurique. En quelques secondes la formule H2SO4 ravage son visage, laissant les voyageurs sidérés tandis que le coupable prend la fuite.
Quelques minutes d’horreur et de longues semaines d’hôpital s’enchaînent. La vie de Camille n’est désormais qu’un chemin de croix. Car il devient très vite évident qu’elle ne retrouvera plus jamais son visage et que ce qui est exagérément appelé reconstruction n’est en fait qu’une série d’opérations, de tâtonnements, d’essais de greffe à l’issue aléatoire et de souffrance autant physique que psychologique. Mettez-vous à sa place…
Il est dès lors impossible de ne pas compatir, de ne pas partager son mal-être et de trouver bien dérisoires tous les messages d’espoir que la famille et les médecins tentent de lui transmettre. Peut-être que les enquêteurs de la police sont les plus réalistes de ses interlocuteurs, expliquant qu’ils ne disposent que de peu d’indices et que, s’ils doutent d’avoir affaire à un acte gratuit, n’en piétinent pas moins. Eux aussi sont partis pour une enquête longue et difficile.
Le film de quelques minutes qui circule sur le darknet leur serait sans doute utile. Il montre l’agression et les secondes qui suivent, un visage en train de fondre. Mais Julien semble bien le seul à s’y intéresser. Il ne sent nullement coupable, pas plus qu’il n’a envie de confier sa trouvaille à la police. Il va même regarder en boucle cet enregistrement, fasciné par cette violence, par cette peau en déliquescence. Et chercher ensuite par tous les moyens à retrouver cette jeune femme monstrueusement défigurée, Dont à peine à écrire qu’il tombe amoureux.
En poursuivant en parallèle le récit du combat de Camille et l’obsessionnelle quête de Julien pour retrouver cette victime, Victor Dumiot ajoute de la tension à la tension, du malaise au malaise. Il choque, mais sans doute pour faire agir la catharsis. Lui qui avoue s’être nourri aux polars, à Maxime Chattam, Jean-Christophe Grangé, Franck Thilliez a aussi lu Foucault et Bataille. Acide pourrait donc être en quelque sorte la rencontre entre Les Rivières pourpres et Histoire de l’œil.
Quoiqu’il en soit, le rédacteur en chef de la revue de Yann Moix, Année Zéro, réussit ici une entrée fracassante en littérature.

Acide
Victor Dumiot
Éditions Bouquins
Premier roman
288 p., 20 €
EAN 9782382924129
Paru le 17/08/2023

Où?
Le roman est situé à Paris puis dans des lieux non précisément spécifiés.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Un premier roman vertigineux et d’une rare puissance.
Camille voit sa vie basculer un jeudi soir dans le métro. Lorsqu’elle se réveille à l’hôpital quelques mois plus tard, elle n’a plus de visage. Son agresseur a disparu sans laisser de traces.
Julien vit enfermé dans son appartement. Solitaire, il passe l’essentiel de son temps à consommer des images pornographiques et à surfer sur le darknet. Un soir, il télécharge par hasard une vidéo de l’agression. Alors qu’il s’enfonce peu à peu dans une spirale de violence et d’autodestruction, il ne pense plus qu’à une chose : retrouver la jeune femme.
Radioscopie radicale de notre époque, fiction sur l’identité et la reconstruction de soi dans notre société de l’image, exploration de l’addiction sexuelle dans les bas-fonds d’Internet : Acide plonge son lecteur au cœur d’une véritable descente aux enfers.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
La Règle du jeu (Félix Le Roy)
Zone critique (entretien avec l’auteur)
Hans & Sandor (Fassery Kamissoko)
CNews (Chloé Ronchin)
Blog Tomabooks


Victor Dumiot présente «Acide» © Production Librairie Mollat

Les premières pages du livre
« J’avais un visage, mais il me fut pris.
C’est arrivé un soir, un soir que je pensais comme les autres, que je croyais léger. Un ciel tranquille, noir, endormi s’étendait au-dessus de ma tête. J’aurais dû me méfier.
Ce soir-là, je m’étais fait belle. Je veux dire : plus belle que d’habitude. Seule, devant le grand miroir de la salle de bain, je m’étais appliquée pendant plus d’une heure avec minutie. Je connaissais bien mon visage, nous étions alliés depuis plus de vingt-sept ans. Je savais quel rouge – rouge à lèvres mat, profond et intense, qui donne cette impression de mise à nu tout en habillant – il me fallait utiliser pour rendre mes lèvres désirables. Quel fard à paupières employer pour sublimer mon regard. Quel mascara, quel fond de teint, quel blush… Des années d’expérience.
Belle, je pensais devoir l’être toujours plus. Toujours supérieurement. La beauté condamne à un effort cosmétique perpétuel.
J’avais enfilé une robe verte en satin piquée à ma mère. J’aimais cette robe pour les étranges mouvements qu’elle opérait autour de mon corps. Collant mes hanches, ma poitrine, mes fesses, puis s’en détachant tout à coup avec amplitude : on aurait dit qu’elle dansait autour d’un feu.
Ce devait être un soir d’ivresse. J’étais prête, j’allais rejoindre des amis rue Jean-Jacques-Rousseau. J’imagine que nous aurions ensuite fait la tournée des bars, en commençant par ce cabaret branché, le Lulu, que nous apprécions tant.
Quelles furent les dernières pensées de ma vie d’avant ?
Je me revois descendre la rue Monge d’un pas rapide, la tête haute, écouteurs vissés dans les oreilles – tant pour éviter d’être importunée que pour arriver joyeuse au rendez-vous –, dans la nuit mordue par l’éclairage puissant de la ville. J’étais impatiente. Je pensais, sans doute, aux verres que j’avalerais bientôt, au vin blanc qui coulerait dans ma gorge, se répandrait dans mon sang, me ferait tourner la tête, pétiller les yeux et rire en posant affectueusement la main sur l’épaule de mes amis.
Je devais penser à l’ivresse, car j’avais envie d’être ivre ce soir-là.
M’enfonçant dans la station de métro Jussieu, marchant jusqu’au quai, je ne vis rien venir.
Aucun pas suspect. Aucun homme étrange à proximité. Rien d’anormal. Le métro devait arriver, ça, je m’en souviens bien, dans les cinq minutes. Cinq minutes à attendre. Je fixai, sur l’autre quai, une publicité surprenante qui ordonnait : « Toi, là, arrête les déplacements inutiles ! Fais-toi livrer en un clic ! » Cinq minutes à attendre. Un couple se disputait à côté. Je regardais l’homme qui regardait son mec avec des airs de reproche. Dans le genre : « Tu m’avais promis, et pourtant… Tu ne tiens jamais parole. » Intérieurement, je me disais que j’étais quand même mieux toute seule. Heureuse de ne pas avoir à me justifier. Heureuse et soulagée d’éviter ce genre de regards, ces discussions lourdes qui vous serrent le cœur et vous assèchent la bouche, comme des cristaux de sel, un jeudi soir.
Quatre minutes.
Me reste en mémoire un cri, peut-être inventé. Comme si quelqu’un, au dernier moment, avait cherché à me prévenir. Trop tard. Je tournai la tête. L’homme, j’imagine que c’est un homme – cela me rassure de penser que c’est un homme, bien que je n’en sache rien, et sans doute n’en saurai-je jamais rien –, me lança de l’acide au visage. Acide sulfurique. Formule H2SO4.
Le jet me toucha en pleine face.
Trois minutes.
Au départ, je crus que c’était de l’eau, je ne comprenais pas bien – je dis au départ, mais cela ne dura que quelques secondes, une très courte éternité. J’étais confuse, je me retournai, je devais même sourire par politesse, voilà, sourire un instant, pour ne pas avoir l’air trop ridicule. Je pensai au maquillage qui devait couler, que j’allais devoir refaire, je pensai à ce verre qui s’éloignait, à mes amis, au métro d’en face dont j’entendais le bruissement métallique, le souffle et le sol trembler, qui annonçait son approche.
Très vite, la douleur me terrassa.
Je tombai d’un coup.
Deux minutes.
L’impression de me prendre à toute vitesse un mur tranchant. Comme si mon visage avait percuté des poignards, une planche cloutée. Comme si je traversais le pare-brise de mon véhicule. L’impression que l’on frottait ma figure avec du verre pilé.
Une minute.
Le choc était terrible, j’en avais le souffle coupé, les tripes retournées. J’avais si mal, là, à quatre pattes, qu’aucun mot, qu’aucune parole ne put sortir de ma bouche. Rien. J’étais juste en train d’agoniser comme une conne, tandis que tout – à commencer par mon visage – se dissolvait. Tout ce qui faisait ma vie, d’un coup englouti.
Zéro minute.
Le métro arriva. J’imagine que ses portes s’ouvrirent pour libérer une cohorte d’individus pressés. J’étais à genoux, non loin de la sortie, ne voyant plus rien que des formes s’activer de-ci de-là et, au loin, l’obscurité tenace.
J’étais là, à mourir au milieu du monde. Et le monde s’en foutait.
La douleur me fit crier encore, par saccades. Je poussais une sorte de cri qui m’était inconnu, qui vous écorche vive, un son qui ne vient pas seulement de la gorge, qui vient de plus profond, du profond des tripes, qui vient de tout en bas.
Ce fut sans doute la sidération qui empêcha les dernières personnes présentes dans la station de me porter secours immédiatement. Moi-même, je ne pouvais pas appeler à l’aide, incapable d’articuler ne fût-ce qu’un seul mot. Mes mains tremblantes se perdaient sur un visage déjà perdu, comme pour sauver encore quelque chose. Je n’y pouvais plus rien.
L’acide, ce n’est pas comme un feu. Au moins, avec le feu, on sait ce que l’on peut éteindre. On sait comment. On sait où chercher. On sait à peu près ce qu’il faut faire. Les bons gestes à adopter.
Mais avec l’acide, le mal se déroule à l’intérieur.
L’acide me pénétrait, entrait en moi, il se répandait peu à peu sous ma peau. Il asséchait tout comme une bouche assoiffée. S’enfonçant plus loin encore, il entra soudainement en réaction, faisant éclater les membranes cytoplasmiques. Ma peau se flétrissait. La nécrose alors se propagea en profondeur. Les réactions en chaîne s’amplifiaient, se répondaient. Ma peau changea de couleur, se couvrit de cloques, glabres et rougeâtres, qui se multiplièrent le long de la surface touchée, comme des petites bosses sur les feuilles d’un arbre. On pouvait suivre la trajectoire du fluide, mon corps faisant office de carte des lésions.
C’est ce que je compris plus tard.
J’avais l’impression qu’une armée entière s’acharnait sur moi, le long de mon visage, sur mon nez, mes lèvres, mon front. Une armée d’ennemis invisibles. Je les entends encore hurler : « Il faut tout retirer ! Allez-y ! Poncez, raclez, mutilez ! Qu’il ne reste plus rien. Rien que la peau sur les os. »
Je me rappelle aussi distinctement le bruit.
Remontait, jusqu’à mon oreille droite, le crépitement de ma chair. Ma peau luttait pour évacuer l’acide, impuissante. Je devenais une sans peau. Pour elle, c’était perdu d’avance. Déjà foutu. Mieux valait quitter le navire, échapper aux lambeaux.
La vie est une affaire de contrastes, n’est-ce pas ?
Quelques instants plus tôt, j’allais quelque part. On m’attendait déjà. D’une certaine façon, la soirée était jouée. Je pouvais en prévoir le déroulement et les possibles prolongations dans un bar surchauffé, imaginer nos voix tapageuses, insolentes, l’amitié en mouvement. J’ai souvent pensé à la façon dont les choses se seraient passées si rien ne m’était arrivé. J’ai revécu mille fois cette soirée, un peu par masochisme. Ce trajet en métro n’aurait dû appartenir qu’au domaine de l’utile.
Ce soir-là, si j’avais pu, je serais sortie de mon corps. Mon âme aurait glissé le long de ma langue nécrosée, comme sur ces tobogans que les avions déploient en cas d’atterrissage d’urgence. Puis elle aurait flotté entre les voies, au milieu des rails, jusqu’à arriver sur l’autre quai. Elle aurait alors sauté dans le premier être venu. J’aurais allègrement pris la place d’un autre. N’importe lequel ! Et je me serais assise sur ces fauteuils jaunes en plastique, peu confortables, et j’aurais regardé de loin ce corps arc-bouté, ce corps de femme. La pauvre. J’aurais regardé ce corps courbé, tordu, plié, déchiré, dévasté, le corps d’une étrangère.
Adios la grande cramée.
Je m’abîmais en moi-même, noyée dans ma chair boursouflée, dans mon sang et mes larmes, mutilée par l’acide qui poursuivait sa route. La douleur me prenait entre ses bras, non comme une mère, mais pour me contraindre, me déchirer, pour me réduire en miettes. J’avais mal jusqu’au bout des orteils, jusqu’à la pointe de mes cheveux fumants. J’avais mal jusqu’au fond des orbites. Comme si la douleur me prenait pour me jeter d’une paroi à l’autre de la station. Sur le sol glacé, j’avais l’impression de fondre. Il y avait un volcan, quelque part en moi.
Tandis que l’acide poursuivait son chemin dans le fond de ma gorge, je perdis connaissance. Trou noir en plein feu.

On se plaint parfois de perdre la mémoire ou d’avoir les choses d’une vie sur le bout de la langue. Mais croyez-moi, il y a des choses qu’il vaut mieux oublier. Notre mémoire nous protège par enfouissement, elle va contre le monde.
Les instants trop douloureux finissent en poussière. Tant mieux !

Il n’y a pas que mon corps qui mourut ce soir-là, mais aussi le temps. On l’avait fait flamber comme mon visage. Ce fut le début d’une longue chute, saccadée, discontinue. Le temps ne pouvait plus exister, puisque je n’existais plus moi-même. Chaque seconde qui s’écoulait sur mon corps, chaque craquelure de ma peau, chaque frisson douloureux, répétait ma mort. Je ne cessais plus de mourir. Je n’étais pas morte pour toujours, je mourais toujours, je mourais encore. Monstre dont la mort ne peut cesser. Monstre condamné à se relever pour s’abattre. Une mort sans fin, une trajectoire infinie. On m’avait éjectée hors du monde, comme la capsule d’un vaisseau spatial. Three, two, one… Ejection. Loin des vivants, loin de ceux qui portent encore leurs visages intacts, dans le noir total, au milieu d’une autre galaxie, d’un cercle laiteux où la vie devient silence.
Je me réveillais par intermittence, et le décor tournait, et mes yeux abîmés ne voyaient plus que des formes indistinctes, fondues entre elles, des ombres, quelques couleurs. Des uniformes.
J’aurais préféré mourir. Ce fut ma seule malchance : je n’ai pas été tuée ce jeudi soir. Je fais partie des « survivantes », ainsi que s’en réjouirait plus tard la presse. Vous lisez ce genre de nouvelles, et vous êtes heureux, n’est-ce pas ? Une vie a été sauvée… Quelle joie ! Pensez-vous réellement que l’on jette de l’acide pour tuer ? Pour enlever une vie, il existe mille façons. Un flingue. Une lame. Du poison. On aurait aussi pu me pousser sur les rames du métro. Celui qui m’avait jeté de l’acide au visage espérait que je m’en sortirais. Ce qui le faisait bander, ce n’était pas l’instant de ma mort. Pas l’agression elle-même, mais l’après. Savoir que je serais marquée à vie. La marque de son œuvre.
C’était comme si mon cœur avait cessé de battre ce soir-là. J’étais coincée dans une chute infinie vers la mort, mais celle-ci reculait à chaque mètre gagné. Ma mort ne viendrait pas, je venais de passer à travers.

« Mademoiselle, quand vous êtes arrivée, vous étiez en état d’urgence absolue. Nous vous avons prise en charge immédiatement. Nous avons tout fait, je dis bien tout, pour limiter la pénétration de l’acide et l’aggravation de vos lésions. Mais il faut que vous compreniez… Mademoiselle… Vos blessures sont graves… Très graves… Elles présentent encore des risques d’infection que nous devons surveiller… Et il y a des atteintes fonctionnelles sérieuses, des atteintes esthétiques qui, pour certaines, sont irréversibles. Ce sont des choses difficiles à annoncer, surtout à une personne de votre âge… Mais nous ferons tout pour… »
Je n’ai cessé d’entendre ce genre de phrases ensuite.
J’avais à la fois de la chance – laquelle ? celle de vivre ? celle de ne pas être allée pleinement, totalement, au bout de la gravité, du potentiel maximal des lésions ? celle d’avoir encore quelques maigres et miraculés morceaux de peau sur le visage ? – et très peu de chance. Parce que mon cas était définitif, mon destin, scellé. Certains sont morts avant même de mourir, moi j’étais revenue morte parmi les vivants. Pas de bol.

Les blessures ne laissent aucun répit.
Elles se réveillent, se donnent la main, se relaient. Tout n’est plus qu’une succession de douleurs ininterrompues, du plus infime picotement à la plus atroce déchirure. C’est infini.
Les médecins, les infirmiers, les kinésithérapeutes, les ergothérapeutes, tous avaient l’air grave, avec leurs sourcils froncés. Tous prononçaient leurs phrases bien apprises comme un discours solennel. Avec plus ou moins de sincérité. Je me souviens aussi de leurs silences. Ces longs silences qui exprimaient le reste, le plus important, le vide et la chute qui m’attendaient, et toutes ces autres choses qu’ils ne pouvaient pas dire. Il faut se mettre à leur place, le simple battement de mon cœur ne pouvait pas entièrement, ne pouvait pas, à lui tout seul, les réjouir.
On avait beau le tourner dans tous les sens, mon sauvetage était, en soi, une erreur vitale.
Ce fut ma première pensée, au réveil : les médecins m’ont tuée, sinon qui d’autre ? Y pensaient-ils eux aussi ?
Bien sûr, nous avons tous notre conscience qui parle à l’intérieur de nous, parfois nous aide à tenir, souvent nous perd. Les médecins les plus lucides devaient avoir envie de s’excuser, en m’observant, là, sur le lit d’hôpital, comprenant bien que cette prise en charge « rapide », dont ils saluaient l’efficacité, ne m’avait sauvé la vie que sur leur papier. Eux, devaient avoir besoin de trouver un prétexte – l’après, la vie qui se poursuit, les fameux jours heureux retrouvés – pour justifier mon sauvetage et continuer cette comédie. Moi, malgré les bandes qui protégeaient ma face, tulles gras, compresses stériles et filets, je savais que ma peau n’allait pas survivre, que mon visage, lui, était mort.
Que pouvaient bien se dire les docteurs, en silence, dans les toilettes, à côté de la machine à café ?
— On ne peut ignorer qu’en la sauvant nous maintenons cette jeune femme vivante dans la mort !
— Pour le moment, notre rôle n’est pas d’agir en fonction des possibilités de réadaptation. On fait avec ce qu’on a ! Et puis, sinon, quoi ? Il nous faudrait trier les tétraplégiques, les estropiés, pourquoi pas les aveugles et les sourds ? Sauvable, pas sauvable… Pensez à sa souffrance… Ce serait indigne. Les urgences, ce n’est pas le tri sélectif. Nous sauvons, nous soignons et nous accompagnons. Le futur, c’est du secondaire. Pour y penser, il faut déjà vivre !
Que pouvais-je bien y faire ? Je leur imposais mes blessures, je n’allais pas non plus espérer qu’un soir, tandis que l’on me plongeait dans un coma artificiel, quelqu’un vienne renforcer les doses de sédatifs et d’antidouleurs pour m’éviter de souffrir davantage, comme on euthanasie un chien. Si je m’étais réveillée là, prise en charge sur le bloc… Je n’aurais pas laissé faire. Premier réflexe ? Vomir ma douleur. Oui, j’aurais rattrapé les cris étouffés, tout dégueulé d’un coup, de quoi tacher les blouses vertes, les kimonos ridicules, les masques et l’inox dans la pièce. En foutre partout, le plus possible, pour qu’ils comprennent. J’aurais crié : « Stop, une minute ! Laissez-moi, mais laissez-moi ! J’ai quand même le droit de choisir ! Un coup de scalpel ! Une surdose de morphine ! Faites-moi une petite injection, personne n’en saura rien. Laissez tomber ! Ça ne sert à rien ! Pas d’acharnement ! Laissez-moi mourir. » De rage, je les aurais suppliés, j’aurais essayé de négocier. 24Et sans fin, j’aurais répété : « Tuez-moi ! Tuez-moi ! Finissez le boulot ! Je ne peux pas, je ne peux plus vivre. C’est fini. »
J’ai longtemps eu le sentiment que les médecins avaient profité de mon inconscience, de mon sommeil, pour faire ce qu’ils avaient à faire.
Évidemment, on ne peut demander à ces hommes qui ne parlent jamais de mort, ou toujours par périphrases, tant ils redoutent le pronostic vital, d’achever le travail. Il aurait fallu qu’un aréopage s’exprime sur le sujet, qu’on laisse de vieux hommes, bien installés, des professeurs bien aguerris, bien moustachus, réfléchir des journées entières en confrontant leur éthique à la bonne morale.
Ils auraient au moins pu me filer quelques grammes d’ecstasy, ou bien du LSD, pour faciliter mon voyage. Afin que tout se trouble, que le difforme devienne beauté. Je n’aurais plus été un corps, mais une sorte d’esprit, j’aurais traversé les briques et le ciment, volé loin de l’hôpital. J’aurais gravité entre les lampadaires et plané au-dessus de Paris. De là-haut, j’aurais observé ces milliers de crânes qui flânent, avancent comme des bêtes, éructent sous la lune. J’aurais vu mes amis, un peu plus loin, qui ne m’attendaient plus, qui ne se doutaient de rien, vu les bateaux-mouches glisser comme des limaces et leur flot d’immondes touristes absorbés par la contemplation du paysage. Je serais restée là, mieux qu’ailleurs, pur délire d’opium, à me fondre dans l’existence continue.
Mais il n’y eut rien de tout cela, on me plongea dans le coma.
En me sauvant, on décida à ma place que j’allais vivre.
Sans eux, je serais morte. Avec eux, je devenais un monstre.

Selon le procès-verbal, la première brigade est arrivée environ sept minutes après l’agression.
Sept minutes.
Quatre cent vingt secondes.
Deux métros étaient passés entre-temps. J’avais été vue, aperçue, entraperçue, par une bonne centaine de personnes. La foule horrifiée avait fait un cercle autour de moi. Certains se sont même blessés aux mains en essayant de m’aider. J’étais un cadavre à la robe retroussée.
Quelle fut la réaction de l’équipe médicale ? Le mot « acide » a-t-il été prononcé ? Avant de déterminer la nature exacte du mal qui me frappait, cet incendie sans feu, les pompiers ont dû avoir un mouvement de répulsion, d’angoisse. Je les imaginais reprenant leurs esprits, concentrés, effectuant avec sang-froid ces premiers gestes qui sauvent et préparant en urgence mon transport au centre hospitalier.
J’ai passé et repassé mille fois cette scène dans ma tête.
« Bon, on commence par quoi… Attendez, l’oreille, elle est où, l’oreille ? C’est la flaque, là ! Ramassez la flaque… Voilà, c’est bien. Continuez… Compresses ! Gants ! Oxygène ! Masque ! Seringue ! Brancard ! Brancard, tout de suite ! On se laisse pas avoir ! C’est pas une bête, c’est une femme ! Faut la prendre en douceur, les gars ! » Du courage, du courage… Il faut avoir du courage pour mettre en pratique la procédure habituelle.
J’ai fait de chacun, y compris de ceux qui n’étaient pas présents, qui ne pouvaient pas être présents, les personnages de ce non-souvenir. Tous y jouaient leur rôle. L’horreur. La panique. La nausée. Je les entends crier, pleurer, suffoquer, appeler à l’aide, se blottir les uns contre les autres tout autour de moi. Moi, avec la gueule éclatée, vraiment explosée, rouge, de la chair bien nue, bien dénudée, de la chair et des os, une gueule d’Halloween. Ça a dû les secouer ! Je parie que certains en font encore des cauchemars, que d’autres sont allés voir un psy.

Le mot était lâché : j’étais une victime.
« Victime d’une agression, substance indéterminée, probablement de l’acide… »
Une de plus ! Statistique en flèche. J’allais faire dérailler à moi toute seule la courbe officielle. On devait déjà en suer d’angoisse ou de panique dans les bureaux tranquilles de la place Beauvau ! Là-bas, je n’étais qu’un chiffre qui finirait dans une note. Avec une flèche noire, en gras. Qui serait lu par des imbéciles en costume-cravate ou en tailleur moche. « Monsieur le Préfet… Monsieur le Ministre… Madame la Secrétaire d’État… » La sécurité n’intéresse pas les gouvernants. Ce qui compte pour eux, ce sont les courbes, les indicateurs, les ratios. Ce sont les quotients, des cases remplies par des numéros énigmatiques, retranscrits en graphiques, ce sont les bosses, les hausses, les baisses. Dans l’esprit de ces technocrasseux, je représentais un problème épineux. Un cas d’école. Une emmerde, quoi… « Ça va faire du bruit… Vous me préparez un discours ! » « Oui, Monsieur, bien sûr, Monsieur. » Ce qui compte, pour eux, c’est le respect médiatique, l’apparence télévisuelle, l’aplomb dans l’élocution pour dire que des engagements seront pris, que des politiques seront menées, que des plans de prévention seront lancés, que les choses sont en train de bouger, qu’elles avancent, bien qu’en même temps… Puisque je n’étais pas morte, ils avaient dû trouver des éléments de langage pour me ranger dans une autre catégorie. « Ouf, on a évité le féminicide ! Manquait plus que ça, à deux semaines des élections… »

À partir de quel moment, de quel moment précis, suis-je passée de cette jeune fille d’avant, communicante diplômée d’une école de commerce plutôt moyenne, à cette sorte de femme d’après ? Femme qui n’a plus d’âge.
Cette espèce de métamorphose vers le pire m’intrigue encore. Après tout, il s’agissait de moi, de ma gueule, de ma vie, de ma douleur ! J’aurais aimé me tenir, me coincer dans le temps, marquer une pause, tandis que ma peau était dévastée. Qu’étais-je devenue ? J’ai longtemps cru que je serais incapable de répondre à cette question. Que seule mon imagination colmaterait les brèches.

On pense que le visage avec lequel on naît durera toute la vie. Même si on en est plus ou moins fier, plus ou moins satisfait. (Ne faites pas semblant ! Nous cultivons tous une liste secrète des choses qu’on haït, que l’on essaie de cacher, avec un foulard, du maquillage, en tournant la tête lors des photos, de profil, plutôt de dos, en se cassant la nuque. On se laisse toujours trop contaminer par soi-même.
Moi : mon nez pâteux, mes narines grassouillettes, gonflées et arrondies. Je me disais : « Il n’est pas féminin, ce nez ! » Les mêmes narines que mon père… Le même putain de nez… Comme si on l’avait moulé à l’identique. En me voyant, les amis disaient toujours : « Toi, t’es bien la fille de ton père ! » Mon père… Il était resté silencieux en apprenant l’agression, il n’avait pas accouru à l’hôpital comme dans les films, il n’avait pas non plus cherché à retrouver le salopard qui avait fait ça. Sans doute s’était-il contenté de hocher la tête, l’air vague, comme sachant déjà que ça arriverait un jour. Mon père a toujours été l’excessif de la maison. Drôle parfois, il s’emportait souvent à table ou dans son canapé vieillissant, en parlant de politique, en remuant une à une les idées qu’il avait attrapées dans des livres. L’incomplétude du monde, la révolution qui n’avait pas eu lieu, autant que sa vie d’ouvrier moyen qui avait passé son temps à attendre, le rendaient colérique. Il n’était pas méchant, mais toujours à deux doigts de vous coller une gifle. C’était un buffle. Il pouvait être tendre et attentif, et exploser d’un coup. Attentats domestiques à la parole explosive. Souvent, nos dîners de famille tournaient à l’affrontement. Tandis que nous mangions dans un silence uniquement troublé par la télévision, il me lançait : « Tu ne vas pas sortir comme ça ce soir, c’est pas carnaval. On dirait une pute, tu comprends ? Tu peux pas sortir comme ça. Je ne devrais même pas avoir à te le dire ! Tu imagines ce que les gens vont penser ? Ce que les gens peuvent faire ! Moi, je ne te laisse pas sortir comme ça. » Mon père n’a jamais manqué d’arguments, surtout lorsque sa bouche, encore imbibée d’un vin rouge bon marché (le moins cher possible, règle d’or à la maison) recrachait comme autant de miettes des phrases destinées à me corriger, à m’apprendre à vivre. Je crois qu’il se sentait surtout dépassé, dépassé par ma mère, dépassé par sa femme, dépassé dans son rôle de père, dépassé par sa fille. Par moi, l’adolescente. »

À propos de l’auteur
DUMIOT_victor_©Alexandre_LebracVictor Dumiot © Photo Alexandre Lebrac

Né en 1996, Victor Dumiot a grandi dans le nord de la France. Ancien élève de l’École normale supérieure, il a travaillé sur les œuvres de Georges Bataille et de Michel Foucault. Il est actuellement rédacteur en chef de la revue littéraire Année Zéro. (Source: Éditions Bouquins)

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En deux mots:
Victor Marlioz est un écrivain célèbre dont l’œuvre se nourrit d’événements vécus, quitte à les provoquer lui-même. Une sorte de monstre qu’un critique littéraire est bien décidé à confondre, s’appuyant aussi sur les témoignages de l’éditeur et de l’épouse. Mais à ce jeu pervers, qui manipule qui?

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

L’écrivain assoiffé de drames

En mettant en scène un écrivain capable de tout pour nourrir son œuvre, Jean-Luc Barré dresse un portrait au vitriol du couple auteur-éditeur. Avec quelques dégâts collatéraux.

À chaque rentrée littéraire son lot de scandales. Untel se reconnaît dans un personnage de roman, une autre voit sa vie de famille vilipendée. Souvent aussi la justice est chargée de trancher le débat entre la liberté de création et le respect de la vie privée. Faute de jurisprudence constante, on se dit que les jugements tiennent davantage de la loterie – voire du talent des avocats de l’une ou l’autre partie – que d’une doctrine bien établie. Il arrive aussi bien souvent que le parfum de scandale serve les intérêts de l’auteur et attise la curiosité des lecteurs. Un effet pervers en quelque sorte. Et surtout un adjectif qui nous amène au premier roman de Jean-Luc Barré que l’on connaissait jusque-là pour ses biographies. Celui qui est par ailleurs responsable de la collection «Bouquins» chez Robert Laffont campe avec justesse et sans doute avec autant de plaisir des personnages à la psychologie tourmentée, qu’il s’agisse de Victor Marlioz l’écrivain, de Durban son éditeur et de Julien Maillard, le critique littéraire qui est aussi le narrateur de ce drame.
Si l’on en croit Jérôme Garcin et Bernard Pivot, c’est François Nourissier qui a servi de modèle au personnage de Victor Marlioz. Mais plutôt que d’essayer de trier le bon grain de l’ivraie, je vous conseille de vous concentrer sur le cœur de ce roman, sur la volonté de nourrir une œuvre littéraire avec tous les événements forts, avec les moments de crise, avec les drames qui donnent leur intensité aux belles histoires. Quitte à les provoquer. Comme l’a dit Boileau il y a déjà quelques siècles:
« Mais c’est un jeune fou qui se croit tout permis,
Et qui pour un bon mot va perdre vingt amis. »
Julien Maillard, l’un des critiques qui connaît le mieux la vie et l’œuvre de Marlioz est destinataire d’une lettre anonyme aussi brève qu’explicite: « C’est Marlioz qui l’a tuée. Alexia est morte pour les besoins de la cause. » Alexia n’est autre que la fille de Marlioz, découverte morte quelques jours plus tôt. À partir de là commence une partie d’échecs prenante qui met aux prises le critique et l’écrivain. Chacun avance ses pions d’abord avec prudence, de peur de trop se dévoiler. Puis viennent les coups plus offensifs menés notamment par les fous. Derrière l’un d’eux, le lecteur découvrira l’éditeur bardé de certitudes et à l’égo presque aussi surdimensionné que celui de son auteur-phare. Sans oublier un échec à la reine, l’épouse de Marlioz qui a choisi l’alcool comme compagnon d’infortune. Qui finira par l’emporter? C’est tout l’enjeu et le morceau de bravoure qui vous mènera au bout d’un suspense très habilement construit. Âmes sensibles s’abstenir!

Pervers
Jean-Luc Barré
Éditions Grasset
Roman
216 p., 18 €
EAN: 9782246862642
Paru le 22 août 2018

Où?
Le roman se déroule en France, à Paris mais aussi sur la riviera italienne et en Suisse, à Genève.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
« – Tous les écrivains sont des monstres et, dans mon genre, je suis l’un des pires. Il vaut mieux que je vous prévienne.
Marlioz passait pour cynique et pervers, réputation qu’il avait lui-même entretenue par vice ou par jeu. Mais en quoi pouvait-il s’être rendu coupable du suicide de sa fille? »
Que cherche le si mythique et secret Victor Marlioz en acceptant de recevoir au crépuscule de son existence, dans un somptueux hôtel italien puis dans son antre de Genève, le directeur des pages littéraires d’un grand hebdomadaire parisien venu enquêter sur lui ?
Se livrer à une ultime confession à charge qui achèverait d’authentifier sa vérité d’écrivain du mal, s’exempter de ses fautes, traquer son chasseur ?
Un vertigineux tête-à-tête avec le monstre.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
BibliObs (Jérôme Garcin)
Actualitté (Félicia-France Doumayrenc)
Livres Hebdo (Maïa Courtois)
Blog Prestaplume (Nathalie Gendreau)


Jean-Luc Barré présente Pervers © Production Hachette France

Les premières pages du livre
« À la longue, on ne distinguait plus que ses yeux. Il se séparait rarement en public, et même en privé, d’un chapeau de feutre qu’il portait enfoncé jusqu’au bas du front. Le reste du visage était devenu comme invisible, enfoui sous une barbe grise qui semblait épaissir avec le temps. Le nez plutôt petit, la bouche aux lèvres effilées se remarquaient à peine. Seul le regard, d’une intensité presque brutale, concentrait tout ce qui chez lui ne paraissait pas dissimulé.
Je ne l’ai compris qu’après coup: c’est pour mieux m’observer qu’il était resté tapi à l’arrière de sa voiture rangée sur le parking de la gare où il m’avait donné rendez-vous. Son chauffeur serait là pour m’accueillir à l’arrivée du train, m’avait-il annoncé la veille au soir. Il avait même pris soin de me le décrire pour que je puisse le repérer plus facilement. Mais personne ne m’attendait sur le quai ni à la sortie. Une mise en scène qui lui ressemblait. Il avait fait en sorte que je me trouve seul pendant quelques minutes, un peu décontenancé, pour scruter mes réactions, se forger une première idée du genre d’homme auquel il aurait affaire. Au bout d’un moment, je le vis qui m’adressait un signe de la main à travers la vitre baissée de son véhicule, une Mercedes bleu métallisé. Le chauffeur descendit pour m’ouvrir la portière et m’inviter, de manière un peu cérémonieuse, à prendre place auprès de l’écrivain, calfeutré comme un chat dans cet habitacle capitonné de cuir blanc.
Victor Marlioz s’excusa, prétextant un retard involontaire. Je n’en croyais pas un mot, mais fis comme si j’étais dupe de son stratagème. Après m’avoir épié à distance, il gardait les yeux fixés sur moi, pendant que nous commencions à bavarder, et continuait de m’examiner, à bout portant cette fois, avec la même attention dévorante. Il détaillait avec minutie la physionomie studieuse et austère de ce visiteur aux traits émaciés, au teint trop pâle, au sourire un peu froid, comme il avait dû scruter, de loin, sa silhouette ascétique, son allure placide et sa tenue passe-partout. Jamais je n’avais ressenti l’emprise immédiate d’un regard aussi pénétrant. Une telle capacité d’envelopper les êtres, de les cerner, de détecter leurs failles, de percer leurs secrets les mieux enfouis.
Durant le trajet qui nous menait à son hôtel, alors qu’il m’interrogeait sur ce que j’attendais de lui, se déclarant « prêt à tout mettre en œuvre » pour m’aider dans ma tâche, il tint à me préciser, en guise de préambule :
— Tous les écrivains sont des monstres et, dans mon genre, je suis l’un des pires. Il vaut mieux que je vous prévienne, si vous ne le saviez déjà.
Une mise en garde glissée comme un simple rappel, presque de routine. Je ne réagis pas sur l’instant, me demandant ce que signifiait au juste ce semblant d’aveu. Provocation, tentative d’intimidation?
Cette façon de se dépeindre faisait partie de la légende noire qu’il s’était construite. Personne n’était plus doué que lui pour instruire son propre procès. Traître et mystificateur, fils indigne, mauvais père et mauvais mari, il aimait à s’accuser de tous les travers. À l’en croire, tout n’avait été que tromperies, échecs ou manquements dans sa vie. Il prenait plaisir à se dénigrer comme à se vieillir et s’enlaidir. À soixante-quinze ans, il en paraissait dix de plus, après s’être affublé du physique le plus ingrat et inquiétant. Il ne s’épargnait pas. Aussi peu, laissait-il entendre, qu’il avait ménagé celles et ceux – celles surtout – qui avaient eu à pâtir de ses méfaits. Donnant donnant, en quelque sorte. Comme si le jeu était à ce prix, dont lui seul avait fixé les règles.
— Vous pouvez me citer naturellement, crut-il bon d’ajouter. Je n’y vois aucun inconvénient.
Je feignis d’acquiescer, intrigué de le voir si empressé de me livrer des mises au point présumées nécessaires. Aujourd’hui, il ne me paraît plus improbable qu’il ait tout prémédité : les circonstances de notre rencontre, l’étrange connivence qui s’est établie entre nous, les révélations auxquelles il s’est prêté, l’inévitable affrontement qui a suivi… Peut-être a-t-il même été le véritable instigateur de cette lettre anonyme qui a tout déclenché, où il dénonçait ses propres agissements comme s’ils concernaient le plus trouble de ses personnages. Hypothèse qui, s’agissant de lui, n’avait rien d’invraisemblable.
La lettre en question m’était parvenue quelques semaines auparavant. Au début du mois d’août, alors que la plupart de mes confrères journalistes avaient déjà quitté la capitale. J’aurais pu faire comme eux, m’envoler pour une de mes destinations estivales favorites : les îles grecques, Capri ou le Sud marocain. Rien ni personne ne me retenait à Paris. J’assurais la direction des pages littéraires des Échos parisiens, dont l’édition spéciale consacrée aux ouvrages de la rentrée était quasiment bouclée. Il ne me restait qu’à peaufiner ma propre chronique, « Les valeurs de saison », où je passais au crible les romans à lire ou à proscrire. Par scrupule, je ne la remettais qu’au tout dernier moment, soucieux de ne commettre aucun oubli. D’ici là, je disposais de tout le temps nécessaire pour m’enfuir quelque part. Il ne tenait qu’à moi de décider du lieu et du moment : divorcé par simple lassitude après des années d’un mariage pourtant sans anicroches, j’avais retrouvé l’existence libre et solitaire qui me convenait depuis toujours. Mais alors que rien ne m’en empêchait, j’hésitais curieusement à quitter Paris. Comme si un événement particulier devait se produire, un fait d’actualité qui me concernerait d’autant plus que je risquais d’être un des seuls à le remarquer.
C’est ainsi que j’avais appris et aussitôt annoncé dans un entrefilet le suicide de la fille du « grand romancier » Victor Marlioz. La nouvelle, révélée par une télévision canadienne, était passée quasi inaperçue. On ne connaissait ni les raisons ni les circonstances du drame. Survenu, semble-t-il, au début de l’été, il était resté secret jusque-là.
Le lendemain, je trouvai sur mon bureau une enveloppe barrée de noir, portant mon seul nom, Julien Maillard, en lettres majuscules. Quelqu’un avait dû la déposer à la réception du journal sans se faire remarquer, ou la confier à un familier des lieux qui avait opéré en toute discrétion. L’écriture était appliquée, aussi impersonnelle que possible. À l’intérieur, sur un fragment de papier quadrillé, ces deux phrases superposées, dont les derniers mots étaient soulignés avec insistance:
C’EST MARLIOZ QUI L’A TUÉE
ALEXIA EST MORTE
POUR LES BESOINS DE LA CAUSE
Je me méfiais par principe et par expérience de ce genre de courrier, dont l’intérêt était rarement prouvé et le but assez transparent. Je préférais m’en débarrasser le plus souvent et faire comme si je n’avais rien lu. Pourquoi ai-je eu, en découvrant celui-ci, une réaction différente ? Je fus immédiatement fasciné par un message dont la nature pourtant me répugnait. Son expéditeur avait visé juste. Il avait probablement lu un de mes articles consacrés à l’écrivain qu’il incriminait. J’y décrivais ce « monument de la littérature mondiale » comme un manipulateur hors pair dans l’art de nouer ses intrigues et de pousser à bout ses personnages. Mais sans forcément établir de lien entre fiction et destinée de l’auteur.
C’est bien dans cette direction, celle d’une collusion extrême entre l’œuvre et la vie, que mon correspondant anonyme cherchait à m’entraîner. Tout s’y prêtait apparemment. Marlioz passait pour cynique et pervers, réputation qu’il avait lui-même entretenue par vice ou par jeu. Mais en quoi pouvait-il s’être rendu responsable du suicide de sa fille ? Et pour les « besoins » de quelle « cause » eût-il favorisé un tel dénouement ? Ces mots soulignés à dessein, peut-être aurais-je mieux fait de ne jamais chercher à savoir ce qu’ils signifiaient.
En m’y intéressant de trop près, j’avais conscience de m’aventurer sur un terrain périlleux. L’écrivain entendait détenir seul les clés de sa propre histoire. Pressions, menaces de procès, il userait de tous les moyens pour m’empêcher d’y faire intrusion. Aucun biographe non autorisé ne s’était vraiment risqué à braver les interdits qu’on lui opposait. Et même les journalistes les plus téméraires en avaient été réduits à capituler devant les obstacles de tous ordres auxquels ils se heurtaient.
Cette sorte d’aura maléfique dont Victor Marlioz s’était entouré formait, en réalité, son meilleur rempart. Peu lui importaient les rumeurs, les insinuations qui circulaient à son sujet, puisque, non content de ne pas les démentir, il allait jusqu’à donner raison à ses détracteurs. Et sans doute en serais-je resté là à mon tour, considérant que le pire dans son cas était suffisamment connu pour ne pas avoir besoin d’être démontré, si je n’avais été saisi par la violence des accusations portées contre lui. »

Extrait
« – Vous avez la réputation d’un fouineur peu recommandable, c’est pourquoi j’ai jugé plus prudent de vous aider, m’expliquait-il maintenant, la mine un peu narquoise, tandis que nous longions le bord de mer sous un soleil éblouissant.
Il faisait allusion à des scandales récents que j’avais été le premier à dénoncer. Des affaires de plagiat, notamment, qui impliquaient des « auteurs à succès » curieusement célébrés pour l’originalité de leur style. Ce genre de traque paraissait l’amuser, lui qui avait toujours pris soin de ne jamais s’exposer aux indiscrétions de la presse. Il voulait tout savoir, les pupilles à l’affût, de ces auteurs que j’avais démasqués dans mes articles. Connaître les raisons surtout qui m’avaient conduit au fil du temps à démystifier bien des réputations et me valaient d’être aussi estimé que redouté dans le milieu des lettres. Mais je fus dans l’incapacité de répondre à cette question, faute de l’avoir moi-même résolue. Pourquoi, en effet, fouiller dans la vie des autres à la recherche de ce qu’il y a chez eux de faux, de frelaté, de leur part de mensonge et d’imposture ? Je vis à son regard qu’il n’était pas mécontent de m’avoir mis dans l’embarras, comme s’il avait d’ores et déjà réussi à inverser les rôles.
— Je vous préviens, ajouta-t-il sur le même ton d’ironie feutrée, vous ne trouverez chez moi aucune de ces failles qui vous attirent tant chez mes présumés confrères. La plupart, vous avez raison, sont de petits truqueurs qui méritent bien le sort que vous leur réservez. Mon principal travers est tout l’inverse du leur : c’est mon excès de sincérité. Vous aurez remarqué que je n’ai jamais craint d’en user à mes dépens. »

À propos de l’auteur
Jean-Luc Barré est écrivain et éditeur. Il dirige depuis 2008 la collection «Bouquins» chez Robert Laffont. Auteur de nombreuses biographies dont celle en deux volumes de François Mauriac (Fayard, 2009, 2011), lauréat de la Fondation Bleustein-Blanchet pour la Vocation, il a obtenu à deux reprises le prix de la biographie de l’Académie française. Pervers est son premier roman. (Source : Éditions Grasset)

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Réelle

SIRE_reelle

En deux mots:
Johanna vit au sein d’une famille modeste dans une petite ville de province. Des études médiocres semblent la vouer à un destin tout aussi médiocre, d’autant que son rêve de gloire ne va pas plus loin qu’une audition aux éliminatoires régionaux de Graines de star. Jusqu’au jour où on l’appelle pour participer à la première émission de téléréalité française.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Une autre Loft story

À travers l’histoire de Johanna, jeune fille modeste et sans histoire qui va devenir la vedette de la première émission de téléréalité française, Guillaume Sire nous entraîne dans ce curieux monde où les apparences sont les plus trompeuses.

Jennifer et sa copine Johanna sont à l’âge où elles deviennent femmes et où elles commencent à se poser des questions existentielles. Et si dans leur petite ville de province les perspectives sont toutes autres que réjouissantes, elles se disent que peut-être elles réussiront à accrocher une étoile. Que même leur scolarité médiocre ne les empêchera pas de devenir un jour une vedette.
Nourries par les images proposées par la télévision qui trône dans le salon, elles attendent le petit coup du pouce du destin. Pour Johanna, il pourrait venir des sélections de l’émission Graines de star. Outre un physique agréable, elle a pris des cours de danse classique et s’entraîne à chanter devant le clip de Dieu m’a donné la foi d’Ophélie Winter. Toutefois sa prestation ne convainc pas le jury et elle retrouve sa famille, ses parents Sylvie et Didier Tapiro, sa grand-mère – son premier supporter – et son frère Kevin.
Pour Antoine Dupré, le beau gosse du collège, sa prestation l‘a rendue plus désirable. Du coup, il l’invite à le suivre dans les toilettes du cinquième étage. Un rendez-vous loin d’être aussi romantique que celui de Léonardo di Caprio et Kate Winslet dans Titanic, mais une sorte de rite de passage. L’ironie veut que ce soit Jennifer qui mette son amie en garde – « Et tu crois que la prochaine étape, c’est quoi? Le mariage? Un jour il te fera mal. Les bourges, à un certain stade, il n’y a que ça qui les excite : la douleur. Pour eux, il s’agit d’une vérification. » – alors qu’elle même couche avec Adam qui n’a aucun égard pour elle, réussira à la mettre enceinte. Contraint d’assumer, il finira par frapper sa compagne.
La spirale infernale s’enclenche. Les petits boulots qui s’enchaînent, du McDonald’s à la caisse du supermarché et la fin de sa liaison avec Antoine qui a choisi Pauline Gouhier, plus conforme à son rang.
Le seul élément positif pour Johanna est la signature du bail pour un studio qui lui offre au moins l’illusion de la liberté.
Mais un coup de téléphone inattendu va tout bouleverser. Un producteur l’invite à Paris pour participer à une émission d’un nouveau genre. Intitulée Big Brother, elle mettra en scène des candidats «normaux» dont la mission sera de cohabiter dans un loft durant plusieurs semaines. Johanna accepte d’être l’une des pionnières de la téléréalité à la française. Après tout il s’agit d’une expérience limitée dans le temps et, comme lui souffle sa grand-mère, elle peut «tirer un maximum d’argent de toutes ces conneries».
On connaît la suite de l’histoire et l’hystérie qui s’est emparée de la France. Guillaume Sire n’a qu’à nous rafraîchir la mémoire en replaçant les épisodes forts de Loft story, saison 1 (Big Brother étant le nom d’origine du concept importé des Pays-Bas) dans son roman, utilisant même les mêmes prénoms pour certains des candidats tels que Laure ou Aziz. Johanna (que l’on rapprochera de Loana Petrucciani) et Édouard (on se souvient de la scène de la piscine avec Jean-Édouard) vont tomber amoureux et réussir à tenir presque jusqu’au bout. Mia qu’importe, car ils sont alors effectivement célèbres au point que Jean-Édouard va finir par se transformer en agent de Johanna.
Si ce roman est très réussi, c’est parce qu’il montre toute la perversité du système sans jamais se faire donneur de leçons. Johanna et Édouard ont par exemple compris que dans le loft ils ne peuvent pas tout se dire, surtout les épisodes de leur vie qui pourraient éventuellement se retourner contre eux. Du coup, ils conservent des parts d’ombre qui vont finir par les perdre. Le même jeu pervers va heurter la famille, les amis et même la production.
À vouloir trop se rapprocher du soleil, on finit – presque toujours – par se brûler les ailes…

Réelle
Guillaume Sire
Éditions de l’Observatoire
Roman
320 p., 20 €
EAN : 9791032902431
Paru le 22 août 2018

Où?
Le roman se déroule en France, d’abord dans une ville de province vers l’ouest, puis à Paris, à la Plaine Saint-Denis et à Issy-les-Moulineaux, à Leucate et sur les hauteurs de Saint-Tropez.

Quand?
L’action se situe des années 80 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Enviée, choisie, désirée : Johanna veut être aimée. La jeune fille ne croit plus aux contes de fée, et pourtant… Pourtant elle en est persuadée : le destin dans son cas n’a pas dit son dernier mot.
Les années 1990 passent, ses parents s’occupent d’elle quand ils ne regardent pas la télé, son frère la houspille, elle danse dans un sous-sol sur les tubes à la mode, après le lycée elle enchaîne les petits boulots, et pourtant…
Un jour enfin, on lui propose de participer à un nouveau genre d’émission. C’est le début d’une étrange aventure et d’une histoire d’amour intense et fragile. Naissent d’autres rêves, plus précis, et d’autres désillusions, plus définitives.
L’histoire de Johanna est la preuve romanesque qu’il n’y a rien de plus singulier dans ce monde qu’une fille comme les autres.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com 
Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger)
Blog Les livres de Joëlle 
Blog éternelle transitoire (Quentin Perissinotto)

Les premières pages du livre
« Didier Tapiro avait emmené sa famille en forêt lorsqu’une pierre maintenue par un bourrelet de béton creva le pneu arrière droit.
— Johanna, tu vas devoir m’aider.
Il n’avait pas demandé à Sylvie, trop fragile, ni à Kevin, encore jeune, mais à sa fille, sur les épaules de laquelle reposeraient désormais la survie et la dignité des siens. Elle l’aida à positionner le cric conservé dans un compartiment dont tout ce temps elle avait ignoré l’existence. Non loin de là, un buisson de houx tremblotait comme si un lapin ou n’importe quel rouge-gorge avait essayé d’en sortir. Aucune rivière. La forêt s’assombrissait dans ses hauteurs mais le sous-bois était clair et presque fluorescent par endroits. Soutenue par le cric, la voiture ressemblait à ces herbivores dangereux (au zoo oui, au cirque non) en train de célébrer leur territoire. Quant aux rayons du soleil, ils patrouillaient dans l’entrelacs d’un cèdre pendant que Didier jouait les maréchaux-ferrants.
— Merci, ma chérie, sans toi je n’y serais pas arrivé.
Johanna eût été moins fière si sa mère et son frère n’avaient pas eux aussi remercié. Le buisson de houx avait cessé de trembloter. Sans elle, il aurait probablement fallu construire une cabane et ingurgiter l’eau de pluie, la vase, des racines, peut-être renoncer à certains principes ; il y a des films, après tout, où les secours n’arrivent jamais. Dans son cœur furent consignés le cèdre au tronc mauve, ses croisées d’ogives et sa fraise espagnole garnie d’aiguilles bleues ; sur la pulpe de ses doigts la bave violacée du cambouis et dans son regard le regard d’un père qui viendrait à son secours s’il fallait (un jour il faudrait).
En rentrant, Kevin, le petit frère, avait vomi sur la banquette. Il y avait des morceaux, et l’odeur, l’odeur !… De cela aussi, elle se souviendrait.
Les dimanches en forêt, deux ou trois par an, étaient aux Tapiro ce que pour une nation sont les moments d’unité. Le reste de la semaine, l’amour avait lieu, mais à distance raisonnable. On cochait sans conviction les cases d’un calendrier acheté à la police pour les étrennes et punaisé de guingois sur l’aggloméré de la cuisine.
Dans l’appartement où ils avaient emménagé après la naissance de Kevin, les meubles, les fenêtres, le coucou suisse fabriqué en Chine et les trois chambres existaient autour de la télévision.
— On dirait que l’architecte a travaillé pour elle, avait expliqué un jour Mamie. Ou pire, avait-elle ajouté sans que Johanna saisisse l’allusion.
À cette époque les télévisions étaient des caissons de bois et de plastique équipés d’un ventre de verre et remplis de luminophore. L’interrupteur de celle des Tapiro étant cassé, il n’y avait pas d’autre solution pour l’allumer et l’éteindre que de brancher et débrancher la prise, ce qui exigeait une contorsion digne des meilleurs danseurs à laquelle on ne procédait que quatre fois par jour, pour l’allumer au réveil et quand Didier rentrait du travail (il rentrait avant Sylvie), puis pour l’éteindre le matin avant de quitter l’appartement et la nuit lorsque les parents se couchaient. À cause des murs trop minces, Johanna s’endormait au son des mitraillettes des films de guerre et des saxophones des comédies romantiques, auquel elle était tellement habituée que, si elle se réveillait après que Didier eut débranché, elle actionnait le volume de son radio-réveil et se rendormait en écoutant des insomniaques parler de sauter par la fenêtre pendant qu’une femme à la voix caféinée leur suggérait de « profiter » (un jour l’un d’eux, un Bordelais, avait agressé sa voisine en direct). Mise en joue par les cauchemars et accrochée aux voix du radio-réveil comme d’autres enfants à leurs peluches bousillées, elle cherchait le sommeil ; puis le jour venait, Didier rebranchait la télévision, un oiseau chantait si le matin était brumeux et finalement la voix liquide et intelligente de William Leymergie se chargeait pour ainsi dire d’ouvrir les volets. »

Extrait
« Johanna se procura un portrait d’Ophélie Winter qu’elle accrocha au-dessus de son lit. Dans le magazine d’où elle le détacha se trouvait également une photo de Filip, le chanteur des 2be3, ornée d’une signature imprimée, comme si le poster avait vraiment été dédicacé.
Ça faisait plus d’un an qu’elle n’avait plus assisté au cours de danse classique de Mme Merzeau. Ses anciennes camarades avaient ébloui une trentaine de parents au spectacle de fin d’année. L’une d’elles avait obtenu une espèce de prix. La professeure avait essayé d’appeler les Tapiro mais elle avait fini par croire que le numéro de l’annuaire n’était pas le bon puisque personne, jamais, ne décrochait.
Dans la cave où Johanna dansait le mercredi – au « Club » –, le DJ passait une chanson d’Ophélie Winter quatre ou cinq fois par heure. On y installa une télévision pour diffuser les clips en même temps qu’on dansait devant les miroirs.
— Qu’est-ce que vous pensez d’Ophélie Winter ? demanda un jour Johanna à ses parents.
— Elle a une de ces poitrines, s’extasia Didier. On dirait une Américaine.
— Ils sont faux, ricana Sylvie.
— Et alors ?
— Moi, je trouve qu’elle ressemble à Jennifer, dit Kevin. »

À propos de l’auteur
Guillaume Sire est écrivain et enseignant à l’université Toulouse I Capitole. Il a publié des essais et deux romans, Les Confessions d’un funambule (La Table ronde, 2007) et Où la lumière s’effondre (Plon, 2016). (Source : Éditions de l’Observatoire)

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Ariane

LEROY_Ariane
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En deux mots:
Quand la narratrice rencontre Ariane, elle a 13 ans. Entre la «plouc» et la bourgeoise une relation fusionnelle s’installe. Les années qui vont suivre les marqueront à jamais.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

« On va s’aimer, à toucher le ciel, se séparer, à brûler nos ailes »

Quand la narratrice rencontre la belle Ariane, elle a treize ans et toute la vie devant elle. Pour ses débuts en littérature, Myriam Leroy revisite le roman initiatique.

« Quel est l’intérêt de se replonger dans cette mésaventure vieille de vingt ans, dont les protagonistes se sont pratiquement tous évanouis dans la nature? Possiblement aucun. Mais peut-être que si, comme je le crois, elle a eu des répercussions prégnantes sur ma vie et celle de ceux qui m’ont approchée ensuite, l’explorer pourrait permettre quelque chose de l’ordre de la purgation. Voire de la libération. Thérapie classique par l’écriture. On est loin de la littérature. Peut-être qu’à force de spéléo dans les galeries accidentées de la mémoire apprendrais-je qu’Ariane est la raison pour laquelle j’ai toujours préféré me tenir sur le seuil du grand amour plutôt qu’y entrer de plain-pied. » Au moment de raconter son histoire, la narratrice va se poser de nombreuses questions qui vont courir, comme un fil rouge, tout au long d’un livre incandescent, dérangeant, bouleversant. Comment la raconter? Faut-il utiliser les vrais noms des protagonistes ? Jusqu’où aller ? Faut-il mentir un peu pour mieux dire le vrai ? Les réponses sont sans doute entre les lignes crues et cruelles de cette initiation.
Ce premier roman débute en 1994 dans le Brabant wallon, «une province au sud de Bruxelles située dans l’angle mort de l’analyse sociale et de la production littéraire : elle n’avait jamais inspiré qui que ce soit.» C’est peu dire que la narratrice s’y ennuie, coincée entre une famille désespérante, un père expert-comptable et une mère au foyer, et un physique ingrat : « blafarde, binoclarde et pleine de spasmes donc, mais aussi invraisemblablement habillée. Je portais des pulls de seconde main avec des chats, des cerfs, des faisans. Des pantalons fuseaux boulochés, élastiqués sous le pied, des bottillons en Skaï fourrés. Entre le clown de cirque et la jeune paysanne communiste. » Les seules vacances se passent dans la masure des grands-parents, toute sortie au restaurant est proscrite, ainsi que les cadeaux de Noël.
Mais elle va finir par sortir de son trou, car pour suivre son école secondaire, elle intègre le collège Saint-Sauveur à Braine-l’Alleud où elle va commencer par se sentir totalement ringarde avant de se lier d’amitié avec cette Ariane qui donne son titre à ce premier roman. « Ariane, elle était belle. Dans la classe, je ne voyais qu’elle. C’était une curiosité, une exception dans cette école de blonds, blancs, beiges. Elle avait la peau foncée, elle était indienne : ses parents l’avaient adoptée quand elle avait trois ans. »
Entre les deux jeunes filles, il n’y aura bientôt plus de secrets. Leur amitié indéfectible va les faire se sentir plus fortes, plus courageuses, plus audacieuses. Y compris sur le plan physique. « Je convainquis mes parents de me faire confectionner des lentilles de contact, je laissai pousser mes cheveux (ils prirent une demi-douzaine de centimètres durant les mois d’été, le carré champignon que j’arborais confinait au grotesque mais c’était au moins une coupe de fille) et j’achetai mes premiers habits d’adolescente. Un Levi’s 501, un top blanc en coton côtelé Levi’s et une chemise en jean Levi’s. Mon apprentissage des marques était encore un peu gauche, mais je supposais qu’avec Levi’s je pouvais difficilement me tromper. Aux pieds, j’enfilai des Doc Martens. Et puis j’entrepris de bronzer. »
L’air d’émancipation qui souffle ici va cependant se charger de quelques relents troublants. Quand Ariane raconte les mœurs familiales un peu trop libres, quand elle laisse entrevoir une sexualité débridée alors qu’elle est encore prépubère. Si ce n’est dans les actes, c’est dans les paroles qu’elles laissent libre cours à leurs fantasmes:
« T’es une grosse coinçoss, ma fille. Baise un peu, ça te fera du bien. Un bon gros coup dans la rondelle pour te déstresser. Faut te la faire péter un jour ou l’autre. T’as pas envie de te taper mon frère ? Je peux t’arranger le coup, tu sais. »
Au fur et à mesure que leur pouvoir de séduction s’affirme, les deux jeunes filles vont se sentir «invisibles, invincibles, immortelles», n’hésitant pas à se livrer à de petits jeux ou l’humiliation et la perversité le dispute à un sentiment de supériorité dont garçons et filles vont faire les frais.
Jusqu’au jour où ces jeux vont lézarder leur belle entente, ou l’incompréhension puis la haine vont faire place à l’amitié fusionnelle. Où de coupables, elles vont devenir les victimes, où on ne saura plus qui manipule qui…
On se doute que les choses vont mal à finir, mais on ne s’imagine pas à quel point cette relation va être toxique. Je vous laisse le découvrir à la lecture des dernières pages de ce premier roman parfaitement maîtrisé, habilement construit et troublant jusqu’à l’épilogue. Histoire d’en revenir aux questions initiales.

Ariane
Myriam Leroy
Éditions Don Quichotte
Roman
208 p., 16 €
EAN : 9782359496758
Paru le 4 janvier 2018

Où?
Le roman se déroule en Belgique, en Brabant wallon, plus précisément à Nivelles, Lesne, Louvain-la-Neuve, Braine-l’Alleud, Waterloo et Bruxelles.

Quand?
L’action se situe de 1995 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
« Quand j’ai eu douze ans, mes parents m’ont inscrite dans une école de riches. J’y suis restée deux années. C’est là que j’ai rencontré Ariane. Il ne me reste rien d’elle, ou presque. Trois lettres froissées, aucune image. Aucun résultat ne s’affiche lorsqu’on tape son nom sur Google. Ariane a vécu vingt ans et elle n’apparaît nulle part. Quand j’ai voulu en parler, l’autre jour, rien ne m’est venu. J’avais souhaité sa mort et je l’avais accueillie avec soulagement. Elle ne m’avait pas bouleversée, pas torturée, elle ne revient pas me hanter. C’est fini. C’est tout. »
Elles sont collégiennes et s’aiment d’amour dur. L’une vient d’un milieu modeste et collectionne les complexes. L’autre est d’une beauté vénéneuse et mène une existence légère entre sa piscine et son terrain de tennis. L’autre, c’est Ariane, jeune fille incandescente avec qui la narratrice noue une relation furieuse, exclusive, nourrie par les sévices qu’elles infligent aux autres. Mais leur histoire est toxique et porte en elle un poison à effet lent, mais sûr.
Premier roman sur une amitié féroce, faite de codes secrets et de signes de reconnaissance, à la vie à la mort.

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Myriam Leroy présente son premier roman Ariane. © Production TV5 Monde

Les premières pages du livre:
« Quand j’ai eu douze ans, mes parents m’ont inscrite dans une école de riches. J’y suis restée deux années. C’est là que j’ai rencontré Ariane. Il ne me reste rien d’elle, ou presque. Trois lettres froissées, aucune image. Elle est morte juste avant l’émergence des réseaux sociaux. Aucun résultat ne s’affiche lorsqu’on tape son nom sur Google. Ariane a vécu vingt ans et elle n’apparaît nulle part. Ma mémoire se purge peu à peu de tous les souvenirs qui la concernent. Quand j’ai voulu en parler, l’autre jour, rien ne m’est venu. J’avais souhaité sa mort et je l’avais accueillie avec soulagement. Elle ne m’avait pas bouleversée, pas torturée, elle ne revient pas me hanter. C’est fini. C’est tout. Je faisais souvent ce rêve étrange et ragaillardissant : mes parents m’annonçaient que j’avais été adoptée. Et soudain, tout prenait sens : l’abîme entre leur tête et la mienne, le décalage entre l’incubateur malgracieux qui m’avait vue grandir et ma belle âme raffinée, nos empoignades dantesques…
Dans cette thèse, tout se tenait. Malheureusement, elle était infirmée par les principaux intéressés qui prétendaient que je ressemblais au paternel si on regardait bien. Voilà qui achevait de me démoraliser tant je trouvais mon père affreux avec son nez plein de couperose et son menton fuyant. Je souhaitais que la note discordante que je jouais dans la symphonie familiale soit sanctifiée par un certificat, un label, une estampille qui dirait que je n’étais pas née de la chair de ces deux êtres ternes et ennuyeux. Ma légende personnelle avait en outre besoin d’être rempaillée par un vrai drame, une tragédie qui pourrait être revendiquée publiquement, susciter le respect, la compassion voire l’admiration de mes semblables. Je jalousais mes camarades de classe orphelins ou battus que je voyais nimbés d’une grâce mystérieuse, auréolés d’une douleur que personne ne s’aviserait de contester. Seulement moi, j’étais tristement banale. Enfant délavée, sans la plus minuscule catastrophe à valoriser. J’ai été élevée dans une ascèse qui aurait pu être qualifiée de luthérienne si mes parents n’avaient été de fervents catholiques. Par conviction pour mon père, qui allait s’engager pour le séminaire au moment où il rencontra ma mère, et par obligation pour cette dernière, que la religion avait à vrai dire toujours emmerdée mais dont elle ne questionnait pas le bien-fondé des prescrits. Elle était catholique parce que c’était ce qu’on était à son époque, dans un milieu qui ne tolérait aucune excentricité. Là-bas, mettre une veste en cuir témoignait déjà d’un douteux processus de marginalisation : ma mère portait des cols Claudine.
À la fin des années soixante-dix, ils se marièrent, achetèrent une maison, se mirent en ménage, eurent des enfants, et se prirent ensuite à espérer que ceux-ci deviennent aussi conventionnels qu’eux, car enfin les conventions n’existaient pas pour rien. Ma mère était une grande femme sèche comme une merluche, noueuse comme un saule, née fâchée, comme en attestait la ride profonde entre ses sourcils. Mon père, de son côté, rasait les murs tel un moine capucin et ne parlait pour ainsi dire jamais, sauf pour donner l’heure à ma mère qui persistait à ne pas porter de montre pour entretenir sa dépendance à son époux. À la maison, nous vivions à moitié dans le noir car c’était ainsi que l’intimait notre culture domestique, tenant d’une certaine esthétique de la prostration et parce que l’électricité coûtait cher. Ma sœur et moi ne manquions de rien, sauf du superflu.

Extraits
« Je voudrais me rappeler avec précision les premières paroles échangées avec Ariane, la manière dont on s’est rapprochées, elle et moi, comment j’ai abandonné mon statut de péquenaude ainsi que Tomas et Lisa, mes deux coreligionnaires de quarantaine, mais je ne me souviens pas. Il y eut pourtant un avant et un après : son personnage éclipsa tous les autres, qui se muèrent en figurants silencieux et flous. J’ai beau me creuser la tête et retourner dans tous les sens mes douze, treize et quatorze ans, avant que les choses tournent à l’aigre entre Ariane et moi, j’y trouve à peine mes parents en version silhouettes et quelques gêneurs, vagues obstacles à notre idylle. »

« Ils périrent dans un accident de voiture au retour de la chorale. Mon père avait pris l’autoroute à contresens phares éteints: ils furent percutés par un quadra bourré qui s’en tira avec une côte froissée. Il ne restait de la petite Opel de mes parents que quelques débris éparpillés des deux côtés du terre-plein centralh qui s’en tira avec une côte froissée. Il ne restait de la petite Opel de mes parents que quelques débris éparpillés des deux côtés du terre-plein central. »

« Arthus passa devant moi sans un regard. Stefano refrénait son hilarité. C’était bien un pari. Fin de l’idylle. Le cœur raviné par de pudiques larmes de désespoir, je me demandai si je pourrais aimer à nouveau, un jour, quand je me serais reconstruite. »

« Maintenant, dans une béatitude toute raëlienne, elle trouvait tout formidable, Élodie « carrément géniale « , et notre trio « dément ». Car il s’agissait bien d’un trio aujourd’hui, peu importait que cela m’agrée ou non, les lignes avaient bougé en mon absence, pendant que j’allais me faire tripoter par ce con à mèche, pardon, vivre une histoire d’amour poignante dans le bois, je n’allais quand même pas imaginer que le monde attendrait que je décolle ma bouche de la sienne pour tourner quand même, si? »

« Je souhaitais à présent être appréhendée comme une jeune femme insaisissable, émouvante et dangereuse à la fois, je voulais qu’on me voie ardente et raffinée, qu’on m’aborde comme une fille dont on espère, à force d’offrandes et de serments, palper le grand secret dans les replis compliqués de l’âme. À cet effet, pour la rentrée, je décidai de m’habiller en noir de pied en cap, ongles et lèvres lie-de-vin, dans une tentative d’occuper un créneau subtil entre la veuve sicilienne et la jeune gothique de cimetière. De mes origines culturellement prolétaires je ne dirais rien, et la découverte de mes racines difficiles par les plus téméraires de mes camarades allait forcer le respect pour l’éternité. »

À propos de l’auteur
Myriam Leroy est journaliste en radio, télévision et presse écrite à Bruxelles. Ariane est son premier roman. (Source : Éditions Don Quichotte)

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Ressentiments distingués

CARLIER_Ressentiments_distingues

En deux mots
Un corbeau jette son dévolu sur les habitants d’une petite île. Une lettre anonyme après l’autre sème l’émoi dans la population et entraîne une enquête mêlée de suspicion généralisée et de révélations gênantes. Fini la quiétude, bonjour l’angoisse!

Ma note
etoileetoileetoile (beaucoup aimé)

Ressentiments distingués
Christophe Carlier
Éditions Phébus
Roman
176 p., 16 €
EAN : 9782752910837
Paru en janvier 2017
Sélectionné pour le Prix Charles Exbrayat 2017 et pour le Prix Orange du livre 2017

Où?
Le roman se déroule sur une île qui n’est pas précisément située.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Sur l’île, le facteur ne distribue plus de lettres d’amour. Mais des missives anonymes et malveillantes qui salissent les boîtes aux lettres.
Un corbeau avive les susceptibilités, fait grincer les armoires où l’on cache les secrets. Serait-ce Tommy, le benêt ? Irène, la solitaire ? Ou bien Adèle qui goûte tant les querelles ? Ou encore Émilie, Marie-Lucie ou Félicien ? Bien vite, les soupçons alimentent toutes les conversations. Et l’inquiétude s’accroît. Jusqu’où ira cet oiseau maléfique ?
Avec L’assassin à la pomme verte, Christophe Carlier avait séduit les amateurs de polars sophistiqués. Il nous offre ici une réjouissante histoire de rancœurs, pleine de sel et vent.

Ce que j’en pense
Après L’assassin à la pomme verte, revoici Christophe Carlier dans lancé dans une nouvelle intrigue qui met cette fois aux prises les habitants d’une petite île et un corbeau qui a décidé de troubler leur quotidien à coup de lettres anonymes. Si la première missive choque, elle est pourtant prise pour une mauvaise plaisanterie.
Mais au fil des jours et avec l’arrivée d’autres courriers énigmatiques, c’est tout le microcosme qui s’excite. Au bar de La Marine, on laisse tomber les avis de tempête et les niveaux de marée pour cette affaire autrement plus sérieuse : « L’existence d’un corbeau était un fruit autrement plus savoureux. On mordit dedans avec appétit. »
Gabriel, Valérie, René et les autres vont très vite devenir des obsédés du scénario noir, des hypothèses de plus en plus tordues, de conjectures dans lesquelles ils vont se perdre. Car si sur le continent, à force d’avancer, on aboutit parfois, sur une île on ne peut guère que tourner en rond : « On s’envoie des cartes par désœuvrement, par lassitude, pour débusquer l’inavouable. Chacun songe aux secrets de familles, aux liaisons douces et maudites, aux penchants inavoués, que le temps finit parfois par mettre au jour. »
L’auteur sait, chapitre après chapitre, comment faire monter la tension, emmener le lecteur sur des chemins de traverse et distiller de petits indices. Il a aussi l’art d’accommoder son scénario de quelques trouvailles assez savoureuses, à l’image de cette initiative d’Émilie qui choisit la technique du contre-feu. Face au vilain corbeau, elle décide «de devenir la bonne corneille. Vous verrez que dans quelques temps, on parlera beaucoup plus de moi que de lui.» Ou encore cette lettre de vœux somme toute banale, mais qui sème toutefois la peur, car elle est signée: «Il s’agissait de Carole, une jeune femme qui était née sur l’île, qui y avait grandi et qui s’était noyée deux ans plus tôt. »
Le ton devient du coup plus dramatique. Un enquêteur est dépêché sur place pour faire la lumière sur cette sombre histoire. À La Marine, les visages s’allongent, les mines se crispent. « Depuis que la première carte a été envoyée, l’île a changé. Les falaises se sont acérées, les flots sont plus violents, le vent se plaint, la nuit, avec des sanglots humains. »
Jusqu’au dénouement, on suivra cette métamorphose avec attention. Si les amateurs d’enquête policière et d’énigmes savamment construites resteront sur leur faim, il en ira bien différemment de ceux qui aiment sonder la psychologie des personnages. La semeuse de scrupules, la tourmenteuse de consciences, la moraliste perverse enveloppe toute l’île… « Son manteau s’étend d’une falaise à l’autre, fluide, cape d’encre aux noirs replis. »
Une belle réussite !

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Présentation du livre par l’auteur – Production Librairie Mollat

Les premières pages du livre

Extrait
« La première enveloppe arriva le 13 octobre, qui ne tombait pas un vendredi. Elle ne constitua un événement que pour Théodore, qui vivait seul et ne recevait jamais de courrier. Imaginant qu’elle contenait une bonne nouvelle, il l’ouvrit avec curiosité et en tira une carte postale au dos de laquelle figuraient deux phrases.
Les ayant parcourues, il déchira ce courrier malencontreux, de sorte qu’aucun de ses proches n’en soupçonna l’existence. On ne parle pas de ce genre d’envoi. Interrogé, Théodore aurait nié l’avoir reçu, mais il passa des heures à se demander qui en était l’auteur. »

A propos de l’auteur
Christophe Carlier a reçu, entre autres, pour L’Assassin à la pomme verte le prix du premier roman 2012. Il a publié en 2013 un livre sur les dessins de Sempé, en forme d’hommage (Happé par Sempé, Serge Safran éditeur). Son second roman, L’Euphorie des places de marché (Serge Safran éditeur), est paru en 2014. Après avoir travaillé dix ans à l’Académie française, il a consacré un livre aux lettres que les candidats ont adressées à l’institution pendant plus de quatre siècles (Lettres à l’Académie française, Les Arènes, 2010). (Source : Éditions Phébus)

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Décousue

RACHEL-decousue

 

 

 

 

 

-18ans

Décousue
Maryssa Rachel
5 sens éditions
Roman érotique
224 p., 15 €
ISBN 9782970104124
Paru en août 2015

Où?
Le roman se déroule principalement à Paris

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
À la manière d’un journal intime, Maryssa Rachel nous emmène à travers les chemins sinueux du libertinage, révélant ainsi toute la complexité de l’être humain et de ses désirs les plus profonds. Déroutant ou dérangeant, ses mots tantôt doux tantôt acerbes continueront de provoquer ou simplement d’exister, sans même se retourner, sous le regard conformiste d’une société en plein questionnement.

Ce que j’en pense
***

Ce roman – à ne pas mettre entre toutes mains, comme il convient de l‘écrire – est avant tout une déclaration de liberté. Celle de Rose, une femme qui entend bien mener sa vie comme elle l’entend, sans notamment subir les humeurs des hommes qui, presque tous, vont le décevoir à un moment ou à un autre : « Dès le premier coup de bite donné, ils se sentent surpuissants et pensent qu’ils pourront enfin m’enfermer, me posséder. Je déteste l’étouffement, je suis indépendante et je compte bien le rester encore longtemps ».
Une déclaration d’indépendance qui se heurte toutefois bien vite à un petit problème : la narratrice, qui est une hédoniste, aime la bonne chère et la bonne chair, la champagne, les entrecôtes saignantes et le sexe. Et pour parvenir à ses fins, elle n’a «pas besoin de phrases ni de longs discours, seuls les corps s’expriment. Exit hypocrisie, mensonge et bla-bla inutile.»
Car le parcours de Rose était jusque là assez classique, depuis la découverte de la sexualité à l’école, puis chez les bonnes-sœurs jusqu’à la rencontre avec Mickael, son premier copain, avec laquelle elle restera sept ans, histoire de faire ses classes.
Histoire aussi de se lasser en découvrant à la fois les servitudes de la vie de couple et la facilité qu’elle a à séduire : « Un homme, c’est mécanique. Un homme, il suffit de la regarder avec envie pour qu’à son tour il ait envie. Un homme, il suffit de lui dire ce qu’il veut entendre pour qu’il nus mange dans la main. Un homme, c’est simple. »
Commence alors le petit catalogue de ses rencontres et de ses fantaisies jusqu’aux clubs échangistes, en passant par la rencontre fortuite ou la fille du bar au regard de braise… qui ne va pas tarder à enlever son «r» au mot braise. Ajoutons une mention pour la scène de la bibliothèque, fantasme commun à de nombreux amateurs de littérature.
Cette addiction va peu à peu l’entraîner sur des chemins un peu plus risqués. Comme pour une droguée en manque, elle va devoir satisfaire sa boulimie de sexe avec des partenaires de moins en moins attirants, des objets plus ou moins vibrants, des pervers plus ou moins violents. Un peu n’importe où et n’importe quand. Nous voilà entraînés vers un remake d’Histoire d’Ô plutôt que vers une Emmanuelle 2.0. Quand Eros s’approche de Thanatos. Quand la douleur, l’humiliation, l’insulte accompagnent la jouissance.
C’est du reste là que réside, à mon sens, l’intérêt de ce roman. On comprend avec la narratrice que la quantité ne saurait se substituer à la qualité : « J’ai trente-cinq ans, un peu fatiguée, usée, blasée par la multitude de ces relations qui s’additionnent chaque jour un peu plus. Je n’ai toujours pas trouvé la personne qui puisse me combler, j’ai toujours peur lorsque je frôle l’amour. »
Rose sent que son chemin est parsemé d’épines. Désormais, c’est avec toutes ses expériences et sa nouvelle lucidité qu’elle affronte la vie.

Autres critiques
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Blog Le monde enchanté de mes lectures (Eloradana2303)
Blog Esprits libres

Extrait
« Combien de fois ai-je entendu des hommes ou des femmes traiter des nanas qui aiment le sexe de nymphomanes ; des jaloux, des envieux sans nul doute, des coincés, des frustrés, des malheureux. Des gens qui n’arrivent tout simplement pas à assumer entièrement leurs propres envies. Il est tellement plus facile de mettre en avant chez l’autre ses propres névroses et de les discriminer. Je suis donc une hypersexuelle, une séductrice, une prédatrice, peu importe en fait les mots qu’on me colle sur la peau. Je me sers de mon corps pour communiquer, les mots ne sont que des mots, il est plus facile de parler que d’agir. Je préfère agir que parler car je déteste la facilité. »
Extrait en vidéo (p. 63-65)

A propos de l’auteur
Ecrivaine, Photographe, Chroniqueuse (LP MAG paris) et scénariste est née dans la Drôme en 1976. Certains la qualifient de « photo_thérapeute ». Elle aide majoritairement les gens qui la sollicitent à retrouver confiance en eux.
Elle jongle entre écrits et travail photographique. Ses expositions sont réalisées aussi bien dans la Drôme, en PACA que sur Paris. Elle a participé à l’illustration de la brochure «Tomber la culotte» financée par l’INPES ainsi que l’article « D’économe je suis devenue écolo » sur TF1 NEWS, en octobre 2011. Son premier roman « Shemale » est sorti en octobre 2012 aux Ed. Kirographaires.
En février 2012, elle est invitée sur le plateau de « la nouvelle édition » sur canal+ pour parler du documentaire d’A.Rawlins. La chaîne W9 la contactera également pour photographier l’héroïne d’une émission TV.
Maryssa Rachel travaille principalement sur des sujets qui dérangent et par le biais de ses œuvres tous supports son but est de faire réagir, d’amener à réfléchir. (Source: 5 sens éditions)

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